Cardinal c. Dir. de l’Établissement Kent

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Jugements de la Cour suprême
Intitulé : Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent
Collection : Jugements de la Cour suprême
Date : 1985-12-19
Recueil : [1985] 2 RCS 643
Numéro de dossier : 17364
Juges : Dickson, Robert George Brian; Beetz, Jean; Estey, Willard Zebedee; McIntyre, William Rogers; Lamer, Antonio; Wilson, Bertha; Le Dain, Gerald Eric
En appel de : Colombie-Britannique
Sujets : Droit administratif
Droit criminel
Notes : Renseignements sur les dossiers de la Cour : 17364

Cardinal c. Directeur de L’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643

Real Cardinal et Eric Oswald Appelants;

et

Directeur de l’établissement Kent Intimé.

No du greffe: 17364.

1984: 11, 12 octobre; 1985: 19 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

Prisons ‑‑ Ségrégation ou isolement administratifs ‑‑ Ségrégation imposée après une participation alléguée à une prise d’otage ‑‑ Ségrégation maintenue par le directeur malgré la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation ‑‑ Directeur n’indiquant pas aux détenus les motifs de son refus de suivre la recommandation et ne leur accordant pas d’audition sur la question ‑‑ Le directeur a‑t‑il ou non violé l’obligation d’agir équitablement rendant illégal le maintien de la ségrégation des détenus? ‑‑ Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251, art. 40.

Contrôle judiciaire ‑‑ Brefs de prérogative ‑‑ Habeas corpus avec certiorari auxiliaire ‑‑ Ségrégation imposée après une participation alléguée à une prise d’otage ‑‑ Ségrégation maintenue par le directeur malgré la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation ‑‑ Directeur n’indiquant pas aux détenus les motifs de son refus de suivre la recommandation et ne leur accordant pas d’audition sur la question ‑‑ Le directeur a‑t‑il ou non violé l’obligation d’agir équitablement rendant illégal le maintien de la ségrégation des détenus? ‑‑ Une cour supérieure provinciale a‑t‑elle compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus? ‑‑ Des affidavits sont‑ils recevables en cas d’habeas corpus simple pour établir une erreur de compétence? ‑‑ Peut‑on recourir à l’habeas corpus pour contester la validité d’une forme particulière d’incarcération dans un pénitencier? ‑‑ Compétence en matière d’examen judiciaire de la Cour fédérale du Canada ‑‑ Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251, art. 40 ‑‑ Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18.

Les appelants étaient des détenus qui auraient participé à une prise d’otage à l’établissement de Matsqui. Ils ont été accusés de saisie de force et de tentative d’évasion. Ils ont été transférés à l’établissement Kent où, sur les instructions verbales du directeur, ils ont été placés en ségrégation ou isolement administratifs, conformément à l’art. 40 du Règlement sur le service des pénitenciers, parce que c’était nécessaire au maintien de l’ordre et de la discipline dans l’établissement. Le directeur n’a pas fait d’enquête indépendante sur la participation alléguée des appelants à la prise d’otage, mais s’est fondé sur ce qu’il avait appris du directeur de l’établissement de Matsqui et du personnel du bureau central régional. Le Conseil d’examen des cas de ségrégation, qui a examiné la ségrégation des appelants chaque mois conformément à l’art. 40 du Règlement, a recommandé leur réintégration dans la population carcérale générale. Le directeur a refusé de suivre la recommandation du Conseil parce que la levée de la ségrégation des appelants avant la décision sur les accusations criminelles pendantes contre eux aurait comme conséquence “probable” ou “possible” d’amener un élément perturbateur dans la population carcérale. Le directeur n’a pas indiqué aux appelants pourquoi il refusait de suivre la recommandation du Conseil et il ne leur a pas accordé la possibilité de se faire entendre sur le point de savoir s’il devrait suivre la recommandation.

Les appelants ont contesté le maintien de leur incarcération en ségrégation ou isolement administratifs par des demandes d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire. En Cour suprême de la Colombie‑Britannique, le juge en chef McEachern a décidé que la cour avait compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus, malgré la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada en matière de certiorari en vertu de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale , et qu’on pouvait recourir à l’habeas corpus pour déterminer la validité de l’incarcération en ségrégation administrative. Sur le fond des demandes, il a statué que le maintien de la ségrégation, malgré la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation, était illégal à cause d’une violation de l’obligation de respecter l’équité dans la procédure. Il a ordonné la réintégration des appelants dans la population générale du pénitencier. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que la Cour suprême avait compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus, que, lors d’une demande d’habeas corpus simple, elle pouvait examiner la preuve par affidavit pour déterminer s’il y avait eu défaut ou excès de compétence et qu’on pouvait recourir à l’habeas corpus pour déterminer la validité de l’incarcération en ségrégation administrative. Toutefois la Cour d’appel à la majorité a décidé que la violation de l’obligation d’équité dans la procédure ne rendait pas illégal le maintien de la ségrégation des appelants. L’appel a donc été accordé.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Pour les motifs donnés dans l’arrêt R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, la Cour d’appel a eu raison de conclure a) que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus; b) qu’elle pouvait, lors d’une demande d’habeas corpus simple, examiner la preuve par affidavit pour déterminer s’il y avait défaut ou excès de compétence et c) qu’on pouvait recourir à l’habeas corpus pour déterminer la validité de l’incarcération d’un détenu en ségrégation administrative et, si cette dernière était jugée illégale, ordonner sa réintégration dans la population générale du pénitencier.

Le directeur avait l’obligation de respecter l’équité dans la procédure en exerçant le pouvoir que lui confère l’art. 40 du Règlement à l’égard de la ségrégation ou de l’isolement administratifs. En common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, les privilèges ou les biens d’une personne. L’obligation de respecter l’équité dans la procédure s’applique en principe aux procédures disciplinaires dans un pénitencier et, bien que la ségrégation administrative se distingue de la ségrégation punitive ou disciplinaire prévue au Règlement, l’effet sur le détenu est le même et est de nature à donner lieu à une obligation d’agir avec équité. Il faut toutefois aborder avec prudence la portée qu’on donne aux exigences de procédure dans le milieu carcéral.

L’imposition de la ségrégation administrative à l’origine constituait un exercice légal du pouvoir discrétionnaire du directeur et n’a pas été faite inéquitablement. Vu la nature pressante ou urgente de la décision, on ne pouvait exiger ni un avis ni une audition préalables. Étant donné la décision du directeur de maintenir la ségrégation des appelants malgré la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation qu’ils soient réintégrés dans la population générale du pénitencier, l’équité dans la procédure exigeait que le directeur fasse connaître aux appelants les motifs de sa décision prochaine et qu’il leur donne la possibilité, même informelle, de faire valoir leurs arguments en faveur de leur réintégration. Ces exigences minimales d’équité dans la procédure sont tout à fait compatibles avec le souci de ne pas alourdir ou bloquer indûment le processus de l’administration carcérale, vu sa nature et ses besoins spéciaux, par l’imposition d’exigences de procédure déraisonnables ou impropres.

Quant à la suggestion dans la décision de la majorité en Cour d’appel que la violation de l’obligation de respecter l’équité dans la procédure, le cas échéant, n’avait pas de conséquences suffisantes pour rendre illégal le maintien de la ségrégation des appelants, la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l’audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition.

En omettant d’offrir aux appelants une audition équitable sur la question de savoir s’il devrait suivre la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation, le directeur a rendu illégal le maintien de la ségrégation des appelants. Ils avaient donc droit en vertu d’un bref d’habeas corpus à la levée de leur ségrégation ou isolement administratifs et à leur réintégration dans la population générale du pénitencier.

Jurisprudence

Arrêt suivi: R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613; arrêts mentionnés: Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui (No 2), [1980] 1 R.C.S. 602; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735; R. v. Hull Prison Board of Visitors, ex parte St Germain, [1979] 1 All E.R. 701.

Lois et règlements cités

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18.

Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P‑6.

Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251, art. 40(1), (2).

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, [1982] 3 W.W.R. 593, 137 D.L.R. (3d) 145, 67 C.C.C. (2d) 252, 35 B.C.L.R. 201, qui a accueilli l’appel à l’encontre des ordonnances du juge en chef McEachern de la Cour suprême qui avait accueilli les demandes d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire et ordonné la levée de la ségrégation administrative des appelants et leur réintégration dans la population carcérale générale. Pourvoi accueilli.

B. A. Crane, c.r., pour les appelants.

W. B. Scarth, c.r., et Mary Humphries, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le Juge Le Dain‑‑La question générale soulevée par le présent pourvoi est de savoir si on peut demander à une cour supérieure provinciale un bref d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire en vue d’obtenir la levée de la ségrégation ou de l’isolement administratifs d’un détenu incarcéré dans un pénitencier fédéral et sa réintégration dans la population générale du pénitencier pour le motif que la ségrégation a été imposée ou prolongée en violation des exigences de l’équité dans la procédure.

2. Ce pourvoi, autorisé par cette Cour, vise l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique rendu le 31 mars 1982, [1982] 3 W.W.R. 593, 67 C.C.C. (2d) 252, lequel a accueilli l’appel des ordonnances du juge en chef McEachern de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique rendues le 30 décembre 1980 qui accordaient le recours demandé sur requêtes en habeas corpus avec certiorari auxiliaire et ordonnaient la levée de la ségrégation ou de l’isolement administratifs des appelants à l’établissement Kent pour qu’ils puissent réintégrer la population générale du pénitencier, sous réserve de tous les pouvoirs du directeur énoncés à la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P‑6, et son règlement d’application.

I

3. Les appelants étaient détenus à l’établissement de Matsqui lorsque, le 27 juillet 1980, ils ont été mêlés à une prise d’otage au cours de laquelle ils auraient détenu un garde sous la menace d’un couteau et l’auraient illégalement séquestré pendant cinq heures. Des accusations de saisie de force et de tentative d’évasion ont été portées contre eux et, le 28 juillet 1980, ils ont été transférés à l’établissement Kent, un pénitencier à sécurité maximale, où ils ont été placés en ségrégation ou isolement administratifs sur les instructions verbales du directeur de l’établissement en application de l’al. 40(1)a) du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, chap. 1251. L’article 40 est ainsi rédigé:

40. (1) Si le chef de l’institution est convaincu que,

a) pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l’institution, ou

b) dans le meilleur intérêt du détenu,

il est nécessaire ou opportun d’interdire au détenu de se joindre aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d’un détenu ainsi placé à l’écart doit être étudié, au moins une fois par mois, par le Comité de classement qui recommandera au chef de l’institution la levée ou le maintien de cette interdiction.

(2) Un détenu placé à l’écart n’est pas considéré comme frappé d’une peine à moins qu’il n’y ait été condamné, et il ne doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments, sauf ceux

a) dont il ne peut jouir qu’en se joignant aux autres détenus; ou

b) qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte tenu des limitations du lieu où le détenu est ainsi placé à l’écart et de l’obligation d’administrer ce lieu de façon efficace.

4. L’isolement administratif ou la ségrégation administrative, expression que le directeur de l’établissement Kent a employé dans son témoignage et que nous allons utiliser ci‑après, est une forme d’incarcération comportant des restrictions graves à la mobilité, aux activités et aux contacts avec les autres détenus. Elle est ainsi décrite dans les motifs de jugement du juge en chef McEachern de la Cour suprême:

[TRADUCTION] La liberté d’un détenu en ségrégation est encore plus réduite, et l’isolement cellulaire (un terme que le directeur refuse) est l’expression utilisée par les détenus pour décrire la ségrégation.

Les cellules qui servent à loger les prisonniers en ségrégation ont 6 pieds de large, 10 pieds de long et 8 pieds de haut. On y entre par une porte pleine comportant une petite fenêtre. Il y a une fenêtre dans le mur donnant sur l’extérieur. La cellule comprend un appareil radio, un lit et un combiné lavabo‑toilette.

La routine, pour ces détenus lorsqu’ils n’ont pas de visite de l’extérieur ou de consultation avec leur avocat, etc. consiste à être sous clef dans leur cellule 23 heures par jour, avec une heure d’exercice. Ils peuvent recevoir quotidiennement des visites du lundi au vendredi. En règle générale, ils peuvent recevoir la visite de leur avocat les mardi et mercredi. Les détenus en ségrégation ont accès à une cantine, mais il y a des limitations à ce qu’ils peuvent y acheter. Ils reçoivent une allocation (le montant n’a pas été précisé) égale à celle qu’ils recevaient avant d’être en ségrégation. Je mentionne ces points, parce que le directeur a souligné que l’isolement administratif n’est pas la même chose que ce qu’on appelle souvent l’isolement cellulaire.

5. La ségrégation des appelants était révisée une fois par mois, conformément à l’art. 40 du Règlement, par un comité de classement appelé Conseil d’examen des cas de ségrégation composé de membres du personnel du pénitencier. Les appelants ont comparu devant le Conseil. Le 7 octobre 1980, le Conseil a recommandé au directeur la réintégration des appelants dans la population carcérale générale. Le directeur a refusé de suivre cette recommandation. Dans ses révisions subséquentes du cas des appelants, le Conseil a maintenu sa recommandation favorable, mais le directeur a continué de les maintenir en ségrégation. Au moment de l’audition de leurs demandes d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire, en novembre 1980, ils avaient été en ségrégation pendant quatre mois, et tout indiquait que le directeur les y maintiendrait jusqu’à la décision relative aux accusations criminelles portées contre eux.

6. Dans les affidavits produits en réponse aux demandes d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire des appelants et dans sa déposition en contre‑interrogatoire, le directeur a indiqué qu’il avait ordonné la ségrégation des appelants à cause de ce qu’il avait appris du directeur de l’établissement de Matsqui et du personnel du bureau central régional à propos de la prise d’otage et qu’en dehors de ces conversations il n’avait ni mené ni n’avait l’intention de mener une enquête indépendante au sujet de la participation des appelants à cet incident. Il a décidé de ne pas suivre la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation parce que, même s’il acceptait l’opinion favorable du Conseil à propos de la conduite des appelants à l’établissement Kent, il croyait que la levée de leur ségrégation avant la décision sur les accusations criminelles portées contre eux aurait comme conséquence “probable” ou “possible” d’amener un élément perturbateur dans la population générale de l’établissement et, en conséquence, ne favorisait pas le maintien du bon ordre et de la discipline dans l’établissement. Il n’a pu donner de motif précis de cette conviction, mais il l’a fondée sur son évaluation personnelle de la “dynamique” de l’établissement, une appréciation qu’il a qualifiée à un moment donné de “réaction instinctive” et qui, a‑t‑il reconnu à un autre moment, pouvait se décrire comme une “réaction viscérale”. Il a indiqué que la considération première de sa décision était la gravité de la prise d’otage à laquelle les appelants auraient participé et il n’a pu faire état d’un motif qui l’amènerait vraisemblablement à changer d’avis avant que la question de leur participation à l’incident n’ait été clarifiée par une décision sur les accusations criminelles. Il ne lui appartenait pas de trancher cette question alors qu’elle était soumise aux tribunaux.

7. Bien que le directeur ait parlé aux appelants, il ne leur a pas indiqué pourquoi il refusait de suivre la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation de lever leur ségrégation pour les réintégrer dans la population générale de l’établissement ni ne leur a accordé la possibilité de se faire entendre sur le point de savoir s’il devrait suivre la recommandation.

II

8. Dans leurs requêtes en habeas corpus avec certiorari auxiliaire et dans les affidavits à leur appui, les appelants contestent la ségrégation administrative qu’on leur a imposée à l’origine et son maintien, en dépit de la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation, pour le motif qu’elle n’était pas nécessaire au maintien du bon ordre et de la discipline dans l’établissement. À l’audition de leurs requêtes, cependant, la question de compétence qui s’est posée est celle de savoir s’il y avait eu manquement à l’équité dans la procédure à leur égard en raison de l’imposition et du maintien de la ségrégation. Il est aussi ressorti deux questions au sujet de la compétence de la cour d’entendre une requête en habeas corpus avec certiorari auxiliaire en vue d’obtenir la levée de la ségrégation administrative d’un détenu d’un pénitencier fédéral et sa réintégration dans la population générale de l’établissement: a) savoir si, étant donné la compétence exclusive de la Cour fédérale du Canada en vertu de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, de délivrer un certiorari contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus; et b) savoir si l’on peut recourir à l’habeas corpus pour contester la validité de l’incarcération d’un détenu en ségrégation administrative et, si cette incarcération est jugée illégale, pour ordonner sa réintégration dans la population générale de l’établissement.

9. En Cour suprême de la Colombie‑Britannique, le juge en chef McEachern a statué que la cour avait compétence pour délivrer un certiorari auxiliaire d’un habeas corpus contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral et que l’on peut recourir à l’habeas corpus pour libérer un détenu de la ségrégation administrative et ordonner sa réintégration dans la population générale de l’établissement. Sur le fond, il a statué que tandis que l’imposition de la ségrégation à l’origine ne comportait pas d’injustice, son maintien malgré la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation de réintégrer les appelants dans la population générale de l’établissement était illégal à cause d’un manquement à l’équité dans la procédure.

10. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (le juge en chef Nemetz et les juges Macdonald et Anderson) a été unanimement d’avis, pour les motifs exposés par le juge Anderson, que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a compétence pour délivrer le certiorari auxiliaire de l’habeas corpus; que de toute façon une cour pouvait, lors d’une demande d’habeas corpus simple, examiner la preuve par affidavit pour déterminer s’il y avait eu défaut ou excès de compétence lorsqu’on a ordonné la détention; et que l’on peut recourir à l’habeas corpus pour contester la validité de l’incarcération en ségrégation administrative et ordonner la levée de cette ségrégation, si elle est jugée illégale, et la réintégration du détenu dans la population générale de l’établissement. Ils ont également été d’avis qu’en exerçant le pouvoir que lui accorde l’art. 40 du Règlement en matière de ségrégation administrative, le directeur a une obligation de respecter l’équité dans la procédure, mais la Cour d’appel à la majorité (le juge en chef Nemetz et le juge Macdonald) le juge Anderson étant dissident, a conclu qu’il n’y avait pas eu violation de cette obligation. Le juge en chef Nemetz a décidé que, s’il y avait eu violation de cette obligation de respecter l’équité dans la procédure, elle n’avait pas suffisamment d’importance pour constituer un excès de compétence. Sur ce moyen, ils ont accueilli l’appel et infirmé l’ordonnance du juge en chef McEachern de la Cour suprême qui ordonnait la réintégration des appelants dans la population générale de l’établissement.

11. Les appelants se pourvoient contre l’arrêt de la Cour d’appel sur la question de savoir si le maintien de leur ségrégation, malgré la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation, viole l’obligation de respecter l’équité dans la procédure. Tout en demandant la confirmation de la conclusion majoritaire de la Cour d’appel sur cette question, l’intimé soutient que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique n’avait pas compétence pour délivrer le certiorari auxiliaire de l’habeas corpus et que l’on ne peut pas recourir à l’habeas corpus pour obtenir la levée de la ségrégation administrative d’un détenu dans un pénitencier et sa réintégration dans la population générale de l’établissement.

12. Il y a lieu de souligner qu’au moment où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a entendu l’appel, les appelants avaient été libérés de l’établissement Kent. La Cour d’appel a cependant estimé qu’il y avait lieu d’entendre l’appel à cause de l’importance générale des questions soulevées. Cette Cour a entendu le pourvoi pour le même motif.

III

13. Pour les motifs donnés dans l’affaire R. c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613, qui a été entendue en même temps que le présent pourvoi, je suis d’accord avec les conclusions de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique exposées dans les motifs du juge Anderson, avec lesquels le juge en chef Nemetz et le juge Macdonald sont d’accord, sur les trois questions relatives à la compétence de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique: a) que la cour a compétence pour délivrer le certiorari auxiliaire de l’habeas corpus; b) que la cour pouvait, lors d’une demande d’habeas corpus simple examiner des affidavits pour déterminer s’il y avait défaut ou excès de compétence; et c) qu’on peut recourir à l’habeas corpus pour déterminer la validité de l’incarcération d’un détenu en ségrégation administrative et si celle‑ci est jugée illégale, pour ordonner la levée de la ségrégation et la réintégration du détenu dans la population carcérale générale. Il n’y a pas de différence importante, pour ce qui est de la dernière question, entre l’incarcération en isolement ou en ségrégation administratifs conformément au par. 40(1) du Règlement sur le service des pénitenciers, et l’incarcération dans une unité spéciale de détention, comme dans l’arrêt Miller, précité. Les deux sont des formes de détention beaucoup plus restrictives et sévères que celle qui est imposée à la population carcérale générale. En réalité, comme l’indiquent les motifs de jugement dans l’arrêt Miller, précité, la directive no 274 du commissaire en date du 1er décembre 1980 prévoit que la première phase d’incarcération dans une unité spéciale de détention consistera en une période d’évaluation en ségrégation administrative.

IV

14. Il ne peut y avoir de doute, ainsi que l’ont conclu le juge en chef McEachern et la Cour d’appel, que le directeur avait une obligation de respecter l’équité dans la procédure en exerçant le pouvoir que lui confère l’art. 40 du Règlement à l’égard de la ségrégation ou de l’isolement administratifs. Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne: Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui (No 2), [1980] 1 R.C.S. 602; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735. Dans l’arrêt Martineau (No 2), précité, la Cour a jugé que l’obligation de respecter l’équité dans la procédure s’applique en principe aux procédures disciplinaires dans un pénitencier. Bien que la ségrégation administrative se distingue de la ségrégation punitive ou disciplinaire en vertu de l’art. 40 du Règlement sur le service des pénitenciers, l’effet sur le détenu est le même dans les deux cas et est de nature à donner lieu à une obligation d’agir avec équité.

15. Évidemment, il s’agit de déterminer ce que l’obligation de respecter l’équité dans la procédure peut raisonnablement exiger des autorités en tant que droit précis en matière de procédure dans un contexte législatif et administratif donné et ce qui devrait être considéré comme une violation de l’équité dans des circonstances particulières. Cette Cour a souligné, dans l’arrêt Martineau (No 2), précité, la prudence avec laquelle il faut aborder cette question dans le contexte de l’administration carcérale. Le juge Pigeon, aux motifs duquel les juges Martland, Ritchie, Beetz, Estey et Pratte ont souscrit, dit à la p. 637:

Je dois cependant souligner que l’ordonnance rendue par le juge Mahoney ne porte que sur la compétence de la Division de première instance, non sur la question de savoir si le redressement devrait être accordé dans les circonstances de l’espèce. Cela dépendra de l’exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire et, à cet égard, il sera essentiel de garder à l’esprit les exigences de la discipline carcérale, tout comme il est essentiel de garder à l’esprit les exigences de l’administration efficace de la justice pénale lorsqu’on traite de demandes de certiorari avant le procès, comme cela vient d’être souligné dans Le procureur général de la province de Québec c. Cohen ([1979] 2 R.C.S. 305). Il est particulièrement important de n’accorder ce redressement que dans des cas d’injustice grave et de bien veiller à ce que ces procédures ne servent pas à retarder le châtiment mérité au point de le rendre inefficace, sinon de l’éviter complètement.

Le juge Dickson (alors juge puîné) aux motifs duquel le juge en chef Laskin et le juge McIntyre ont souscrit, exprime la même mise en garde à la p. 630 dans les termes suivants:

Il faut souligner que les cours n’interviendront pas dans tous les cas de violation des règles de procédure carcérale. La nature même d’un établissement carcéral requiert que des décisions soient prises “sur‑le‑champ” par les fonctionnaires et le contrôle judiciaire doit être exercé avec retenue. Une intervention ne sera pas justifiée dans le cas d’incidents triviaux ou purement théoriques. Il ne s’agit pas de savoir s’il y a eu une violation des règles carcérales, mais plutôt s’il y a eu une violation de l’obligation d’agir équitablement compte tenu de toutes les circonstances. Les règles ont leur importance pour répondre à cette question: elles révèlent le degré de protection procédurale dont doivent jouir les détenus, de l’avis des autorités carcérales.

Dans l’arrêt R. v. Hull Prison Board of Visitors, ex parte St Germain, [1979] 1 All E.R. 701, la Cour d’appel souligne la même prudence dont les juges Pigeon et Dickson ont parlé dans l’arrêt Martineau (No 2), précité. Dans cet arrêt le lord juge Megaw dit, à la p. 713, à propos du contrôle judiciaire des décisions disciplinaires prises dans les prisons:

[TRADUCTION] Ce ne sont certainement pas tous les manquements aux règles de procédure qui justifieront ou requerront l’intervention des cours. À mon avis, cette intervention ne sera requise et justifiée que s’il y a quelque omission d’agir équitablement, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, et si ce manque d’équité peut être considéré comme la cause d’une injustice importante, susceptible de redressement plutôt qu’une injustice banale ou simplement technique.

V

16. Bien que le juge en chef McEachern ait sévèrement critiqué l’imposition de la ségrégation administrative par instructions verbales non suivies dès que possible de la raison de la décision par écrit, il a jugé, comme je l’ai déjà indiqué, qu’en l’espèce, l’imposition de la ségrégation administrative à l’origine constituait un exercice légal du pouvoir discrétionnaire du directeur en vertu du par. 40(1) du Règlement sur le service des pénitenciers et qu’elle n’avait pas été faite inéquitablement. Cette conclusion n’a pas été sérieusement contestée en appel et, d’ailleurs, il ne semble pas qu’on puisse la contester. À cause de la nature apparemment pressante ou urgente de la décision d’imposer la ségrégation dans les circonstances particulières du cas, il ne pouvait y avoir d’exigence ni à l’égard d’un avis préalable ni à l’égard d’une audition préalable à la décision.

17. Le manque d’équité dans la procédure constaté par le juge en chef McEachern a consisté à maintenir la ségrégation administrative des appelants, malgré la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation de les réintégrer dans la population générale de l’établissement, sans leur communiquer les motifs du refus de suivre cette recommandation ni leur accorder d’audition comportant la possibilité de présenter leur version de la prise d’otage. Le juge en chef McEachern a également conclu qu’il y avait une apparence de manque d’équité dans l’intransigeance apparente du directeur relativement au maintien de la ségrégation malgré la recommandation favorable du Conseil et même une possibilité que le maintien de la ségrégation visât à forcer les appelants à inscrire un plaidoyer de culpabilité aux accusations criminelles portées contre eux. Il a dit que le directeur était tenu de procéder à une enquête indépendante sur les circonstances de la prise d’otage, d’examiner les dossiers des appelants et de vérifier si le maintien de la ségrégation nuisait à leur possibilité de consulter leur avocat comme ils l’ont prétendu. L’essentiel de sa conclusion sur la question de l’équité dans la procédure se trouve dans le texte suivant:

[TRADUCTION] Le directeur avait compétence pour écarter la recommandation du Conseil d’examen, mais, pour le faire avec équité, il me semble qu’il aurait fallu que les requérants soient informés des motifs pour lesquels le directeur maintenait leur ségrégation et qu’on aurait dû leur accorder une possibilité raisonnable de contredire la preuve présentée contre eux.

18. En Cour d’appel, le juge en chef Nemetz a dit qu’il n’était pas de l’avis du juge en chef McEachern selon lequel le directeur avait l’obligation de procéder à un supplément d’enquête sur la prise d’otage et d’accorder aux détenus la possibilité d’être entendus à propos de leur participation à l’incident. Après avoir fait état de la nécessité, soulignée dans l’arrêt de cette Cour Inuit Tapirisat, précité, de considérer le plan législatif dans son ensemble, il dit:

[TRADUCTION] Cet arrêt m’aide à analyser l’espèce. Bien que le rôle du directeur soit essentiellement de nature administrative, il a des pouvoirs étendus en vertu de l’art. 40 du Règlement. Il n’est assujetti à aucune norme ni directive dans l’exercice de son pouvoir d’ordonner la ségrégation d’un détenu. Aucune norme de procédure n’a été imposée de façon implicite ou explicite. Il doit avoir suffisamment de latitude pour satisfaire aux exigences de la sécurité de la prison selon son jugement. Cela est spécialement applicable dans les cas de violence comme une prise d’otage.

Après avoir cité les passages précités des motifs des juges Pigeon et Dickson dans l’arrêt Martineau (No 2), précité, à propos de la prudence qu’il faut exercer à l’égard de l’imposition d’exigences de procédure dans le milieu carcéral, le juge en chef Nemetz conclut comme suit sur la question de l’équité:

[TRADUCTION] Le paragraphe 40(1) confère au directeur un pouvoir discrétionnaire étendu. Pour décider de la ségrégation d’un détenu, il doit être convaincu qu’elle est nécessaire au maintien de l’ordre et de la discipline ou qu’elle contribue à l’intérêt d’un détenu.

J’estime que son témoignage démontre que c’est la première considération qui l’a amené à écarter la recommandation du comité de classement pour le mois d’octobre. était‑il justifié de le faire? Je crois que oui. La gravité de l’incident et les circonstances de celui‑ci de même que la situation générale dans son établissement ont joué un rôle important dans sa décision. L’avis du comité de classement a surtout trait à l’évaluation de la conduite des deux détenus pendant leur ségrégation. Cependant, le directeur devait aussi tenir compte de sa responsabilité à l’égard de la bonne marche de l’établissement et de sa sécurité. À mon avis, à moins qu’il n’y ait preuve de mauvaise foi ou d’inéquité, il faut confirmer son évaluation. Il n’y a pas de preuve de mauvaise foi. S’il y a inéquité dans la procédure, elle n’a pas suffisamment d’importance pour m’amener à conclure que le directeur a excédé sa compétence.

19. Le juge Macdonald a été d’avis qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité dans la procédure parce que les appelants connaissaient les causes de l’imposition et du maintien de leur ségrégation administrative. Il dit:

[TRADUCTION] Avec égards, je ne puis conclure qu’il y a eu manquement à l’équité dans la procédure en l’espèce. Les requérants savaient qu’ils étaient en ségrégation à l’établissement Kent à cause de l’incident survenu à l’établissement de Matsqui au cours duquel ils avaient, selon les allégations, tenu un garde en otage sous la menace d’un couteau. Lorsqu’ils ont comparu devant le comité de classement en juillet, on leur a dit expressément qu’ils étaient en ségrégation à cause de cet incident. Or, il y a plusieurs facteurs en faveur des requérants. Ces facteurs ont compté auprès du comité de classement et l’ont amené, en octobre, à recommander leur réintégration dans la population carcérale générale. Ces facteurs n’ont cependant pas convaincu le directeur. Il n’a pas suivi la recommandation. Il ne s’agit pas d’une décision prise sous l’influence réelle ou possible d’éléments inconnus des deux détenus. Le directeur a subi un contre‑interrogatoire exhaustif quant à ses motifs. Il a souligné que le comité de classement se préoccupait des deux personnes alors que sa responsabilité portait sur le fonctionnement de l’ensemble de l’établissement. Il a dit qu’il a tenu compte de la gravité de l’incident auquel les deux hommes avaient été mêlés, des conséquences des allégations pendantes et de l’effet général sur la population carcérale, notamment le groupe d’endurcis et du facteur de dissuasion. Tenant compte de ces facteurs, le directeur a décidé de maintenir la ségrégation. Je ne puis voir de manquement à l’équité dans la procédure. Je crois que la contestation porte essentiellement en l’espèce sur la décision elle‑même plutôt que sur les circonstances dans lesquelles elle a été prise. Je suis d’avis que le directeur a agi dans le cadre de sa compétence.

20. Le juge Anderson qui a été dissident sur la question de l’équité dans la procédure s’est dit d’accord avec les motifs du juge en chef McEachern. Après avoir mentionné les mises en garde exprimées dans l’arrêt Martineau (No 2), précité, au sujet de l’application des exigences de la procédure en milieu carcéral, il dit:

[TRADUCTION] … quoique la protection en matière de procédure dont jouit l’intimé fût limitée de la façon décrite par tous les juges de la Cour suprême dans l’arrêt Martineau, précité, j’estime que le juge en chef McEachern a eu raison de conclure que le directeur n’a même pas observé les normes les moins exigeantes d’équité dans la procédure. Bien que l’intimé n’ait droit ni à une audition complète, ni de contredire les témoins, ni à un avocat, il aurait dû avoir au moins la possibilité de faire valoir pourquoi il devrait sortir de l’isolement cellulaire. Je ne puis faire mieux que répéter ce que le juge en chef McEachern a dit dans ses motifs de jugement quant à cette question:

“Le directeur avait compétence pour écarter la recommandation du Conseil d’examen, mais, pour le faire avec équité, il me semble qu’il aurait fallu que les requérants soient informés des motifs pour lesquels le directeur maintenait leur ségrégation et qu’on aurait dû leur accorder une possibilité raisonnable de contredire la preuve présentée contre eux. Ils n’auraient pas dû être obligés de présenter leur cas à quelqu’un dont l’idée était déjà arrêtée ou presque. Maintenir leur ségrégation après la recommandation du Conseil d’examen dans les circonstances de l’espèce soulève une crainte raisonnable qu’ils doivent plaider coupable, ce qui, en soi, suffit à donner une forte apparence de manque d’équité en l’espèce. De plus, bien qu’une décision fondée sur une politique (telle celle qui s’applique aux détenus qui attendent leur procès ou aux détenus qui ont participé à une prise d’otage) puisse être parfaitement légale, l’équité exige la reconsidération au moment opportun de la situation particulière de chaque détenu et des personnes dont les droits et privilèges résiduels sont défavorablement touchés.”

VI

21. La question est donc de savoir ce que l’équité dans la procédure exigeait du directeur dans l’exercice de son pouvoir, en application de l’art. 40 du Règlement sur le service des pénitenciers, de maintenir la ségrégation ou l’isolement administratifs des appelants, malgré la recommandation du Conseil, s’il était convaincu qu’elle était nécessaire ou souhaitable pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l’établissement. Je suis d’accord avec le juge en chef McEachern et le juge Anderson de la Cour d’appel qu’à cause des effets graves de la décision du directeur pour les appelants, l’équité dans la procédure exigeait qu’il leur fasse connaître les motifs de sa décision prochaine et leur donne la possibilité, même de façon informelle, de lui présenter des arguments relatifs à ces motifs et à la question générale de savoir s’il était nécessaire ou souhaitable de maintenir leur ségrégation pour assurer l’ordre et la discipline dans l’établissement. Avec égards, je ne crois pas que l’on ait satisfait à l’exigence d’avis et d’audition incombant au directeur, comme le suggère le juge Macdonald, parce que les appelants savaient par suite de leur comparution devant le Conseil d’examen des cas de ségrégation pourquoi ils avaient été mis en ségrégation. Ils avaient le droit de savoir pourquoi le directeur n’avait pas l’intention de suivre la recommandation du Conseil et d’avoir la possibilité d’exposer devant lui leurs arguments en faveur de leur réintégration dans la population générale de l’établissement. Je ne crois pas que le directeur ait eu l’obligation de tenir une enquête indépendante sur la participation des appelants à la prise d’otage. Il pouvait se fier aux renseignements relatifs à l’incident qui lui avaient été communiqués par le directeur de l’établissement de Matsqui et le personnel du bureau central régional. En même temps, il avait l’obligation d’entendre les appelants et de tenir compte de ce qu’ils avaient à dire à propos de leur participation alléguée à l’incident, de même que de tout autre sujet qui pouvait avoir trait à la question de savoir si la levée de leur ségrégation pouvait introduire un élément perturbateur dans la population carcérale générale et avoir ainsi des conséquences néfastes sur le maintien de l’ordre et de la discipline dans l’établissement.

22. Ce sont là, à mon avis, les exigences minimales ou essentielles de l’équité dans la procédure dans les circonstances et elles sont tout à fait compatibles avec le souci de ne pas indûment alourdir ou bloquer le processus de l’administration carcérale, vu sa nature et ses besoins spéciaux, par l’imposition d’exigences de procédure déraisonnables ou impropres. Rien n’indique que l’obligation du directeur en matière d’avis et d’audition, lorsqu’il n’entend pas donner suite à une recommandation d’un Conseil d’examen des cas de ségrégation de lever la ségrégation d’un détenu, imposerait un fardeau excessif à l’administration carcérale ou mettrait la sécurité en danger.

23. Il reste la question évoquée dans les motifs de jugement du juge en chef Nemetz, savoir s’il faut conclure que la violation de l’obligation d’agir avec équité en l’espèce n’a pas entraîné d’excès ou de perte de compétence ni rendu illégal le maintien de la ségrégation des appelants parce que, compte tenu du bien‑fondé de la question de fond, elle n’a pas entraîné d’injustice importante ou, selon les mots mêmes du juge en chef Nemetz, elle était sans [TRADUCTION] “importance suffisante”. Le juge en chef Nemetz et le juge Macdonald ont étudié la question de fond de savoir s’il y avait lieu de lever la ségrégation des appelants et ont paru conclure que les motifs du refus du directeur de suivre la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation étaient justes et raisonnables. Une implication possible de leur analyse est qu’ils ont estimé que, vu les motifs du refus du directeur de suivre la recommandation du Conseil, il aurait été inutile qu’il accorde une audition aux appelants. L’omission d’accorder une audition équitable, qui est de l’essence même de l’obligation d’agir avec équité, ne peut jamais être considérée en elle‑même sans “importance suffisante” à moins que ce ne soit à cause de son effet perçu sur le résultat ou, en d’autres mots, à cause du tort réel qu’elle a causé. Si c’est là la façon correcte de voir les implications de l’analyse adoptée par la majorité de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique sur la question d’équité dans la procédure en l’espèce, j’estime nécessaire d’affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l’audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat de l’audition.

24. Pour ces motifs, je suis d’avis qu’en omettant d’offrir aux appelants une audition équitable sur la question de savoir s’il devrait suivre la recommandation du Conseil d’examen des cas de ségrégation de lever leur ségrégation administrative et de les réintégrer dans la population générale de l’établissement, le directeur a rendu illégal le maintien de la ségrégation des appellants. Ils avaient donc droit, en vertu d’un bref d’habeas corpus, à la levée de leur ségrégation ou isolement administratifs et à leur réintégration dans la population générale du pénitencier. En conséquence je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement du juge en chef McEachern de la Cour suprême.

Pourvoi accueilli.

Procureur des appelants: John W. Conroy, Abbotsford.

Procureur de l’intimé: Roger Tassé, Ottawa.

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Date de la dernière modification : 2015-12-29

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 — Mauro Cappelletti dans Louis Favoreu (dir.), Le pouvoir des juges, Paris, Economica, 1990, p. 115.
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— “The Education of an Organizer”, p. 75, Rules for Radicals, A Practical Primer for Realistic Radicals by Saul Alinsky, Random House, New York, 1971.

I am no fan of Saul Alinsky's whose methods are antidemocratic and unparliamentary. But since we are fighting a silent war against the subversive Left, I say, if it works for them, it will work for us. Bring on the ridicule!  And in this case, it is richly deserved by the congeries of judicial forces wearing the Tweedle suits, and by those who are accurately conducting our befuddled usurpers towards the Red Dawn.

— Admin, Judicial Madness, 22 March 2016.
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