2008-10-14 Committee on Institutions

Journal des débats (Hansard) of the Committee on Institutions
Version finale

38th Legislature, 1st Session
(May 8, 2007 au November 5, 2008)
Tuesday, October 14, 2008 – Vol. 40 N° 62

Consultations particulières sur le projet de loi n° 99 – Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics

Table des matières

Auditions (suite)

M. Hubert Reid
Les Ami-e-s de la Terre de Québec (ATQ)
Confédération des syndicats nationaux (CSN)
Conseil du patronat du Québec (CPQ)
Association pour la protection des automobilistes (APA)
Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ)

Autres intervenants

Mme Lise Thériault, présidente
M. Pierre Marsan, président suppléant
M. Jacques P. Dupuis
M. Daniel Turp
M. Claude L’Écuyer
M. Tony Tomassi
M. Pascal Beaupré
M. Simon-Pierre Diamond
* M. Serge Mongeau, ATQ
* M. Louis Roy, CSN
* M. François Lamoureux, idem
* Mme Anne Pineau, idem
* M. Michel Kelly-Gagnon, CPQ
* M. Daniel Audet, idem
* M. George Iny, APA
* Mme Caroline St-Jacques, FCCQ
* M. Marc Paradis, idem
* Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures trente-deux minutes)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre! À l’ordre, s’il vous plaît! À l’ordre, s’il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir fermer la sonnerie de leurs téléphones cellulaires ou de les mettre en mode vibration, s’il vous plaît.

La commission est réunie afin de procéder à des auditions publiques dans le cadre de consultations particulières à l’égard du projet de loi n° 99, Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, Mme la Présidente. M. Benjamin (Berthier) est remplacé par M. Diamond (Marguerite-D’Youville); M. Desrochers (Mirabel) est remplacé par M. L’Écuyer (Saint-Hyacinthe).

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, l’ordre du jour pour aujourd’hui: nous entendrons, ce matin, M. Hubert Reid, qui sera suivi par Les Ami-e-s de la Terre de Québec et par la suite la Confédération des syndicats nationaux, qui sera suivie d’une suspension. À 14 heures, nous reprendrons avec le Conseil du patronat du Québec; à 15 heures, Association pour la protection des automobilistes; à 16 heures, la Fédération des chambres de commerce du Québec.

Avant de passer la parole à M. Reid, je reconnais le député de Mercier.

M. Turp: Mme la Présidente, je voudrais faire le point, pour les membres de la commission, sur les mémoires parce que je constate que nous n’avons pas tous les mémoires des groupes qui se présentent, aujourd’hui, devant la commission. Alors, je comprends qu’on a un mémoire de M. Reid depuis longtemps. Vous êtes le premier. Je crois comprendre que nous n’en avons pas pour Les Ami-e-s de la Terre. C’est exact? La CSN, nous avons le mémoire. Conseil du patronat, nous avons un mémoire. L’Association pour la protection des automobilistes, nous n’avons pas de mémoire?

La Présidente (Mme Thériault): Nous l’avons reçu ce matin. Il va être distribué aux membres ce matin.

M. Turp: Ah! Et, la Fédération des chambres de commerce, nous avons le mémoire.

La Présidente (Mme Thériault): C’est ça, oui.

M. Turp: Alors donc, il y a un mémoire qui nous sera donné aujourd’hui, puis, l’autre, nous sommes sans mémoire?

La Présidente (Mme Thériault): L’organisme ne l’a pas fait parvenir à la commission.

M. Turp: O.K. Très bien. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Ça vous va? D’accord. Merci.

Auditions (suite)

Donc, je vous rappelle nos règles, M. Reid: vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter votre mémoire, et par la suite il y aura des échanges avec les trois formations politiques. Donc, bienvenue à l’Assemblée nationale. La parole est à vous.

M. Hubert Reid

M. Reid (Hubert):  Bon, Mme la Présidente, M. le ministre, MM. les membres de la commission, je vous remercie de m’avoir invité à vous présenter mon point de vue concernant le projet de loi n° 99. En me présentant devant vous, je ne cherche pas à m’immiscer dans le débat politique, car d’autres personnes sont plus compétentes et mieux placées que moi pour tenir des discours à ce sujet. J’interviens, aujourd’hui, à titre personnel parce que j’ai consacré l’essentiel de ma vie professionnelle au droit judiciaire tant par l’enseignement et la recherche que par la mise en application de mes connaissances en matière de législation et d’avis juridique à des praticiens.

Je suis bien conscient que mes propos seront contestés par les personnes qui endossent sans réserve le contenu actuel du projet de loi n° 99. De plus, il est possible que des juristes interprètent différemment les textes de loi et la jurisprudence. Je demande seulement aux personnes qui sont en désaccord avec ma position de me donner le bénéfice du doute et de reconnaître que j’exerce tout simplement ce droit fondamental qu’est la liberté d’expression. Et disons qu’une des raisons pour lesquelles j’ai fait carrière, pendant de nombreuses années, à l’université, c’est parce que je pouvais exercer mes libertés fondamentales, entre autres ma liberté de pensée, ma liberté d’expression, et puis ça, je continue encore à le faire aujourd’hui, comme vous allez pouvoir le constater.

Mon intervention dans ce débat se divise en quatre parties. Je vais tout simplement vous donner une synthèse un peu des positions que je défends dans mon exposé, puis après ça, lors de l’échange, il sera possible peut-être de… j’espère être en mesure de vous fournir plus de précisions sur certaines de mes craintes et aussi sur les propositions que je vais faire. Et je tiens à vous dire que, la semaine dernière, j’ai passé ma journée à écouter les débats, et puis, à la lumière des débats, disons que j’ai décidé de préciser certaines de mes propositions qui, j’espère, pourraient être plus intéressantes que celles que j’ai mises dans le mémoire.

Sur la première partie, c’est un bref rappel théorique sur les fondements de notre procédure civile. Là, ce n’est pas un cours de, comme on dit, judiciaire 101, là, que je vais vous donner, c’est seulement quelques éléments fondamentaux. C’est que je me réfère, moi, à la décision de la Cour suprême que je vous ai donnée en annexe, où on a précisé que, bien que mixte, la procédure civile du Québec demeure un droit écrit et codifié régi par la tradition civiliste. Elle s’inscrit dans une tradition juridique différente de la common law, car le droit fondamental en cette matière demeure celui qu’édicte l’Assemblée nationale. Il s’ensuit que les tribunaux québécois ? puis c’est ce que la Cour suprême nous a dit ? n’ont pas la même marge de liberté que ceux des autres provinces et qu’ils n’ont pas le même pouvoir créateur qu’une cour de common law.

Que conclure de ce bref rappel de théorie? Toute modification à notre Code de procédure, si elle s’inspire de la common law, doit se faire avec d’infinies précautions, car nos deux systèmes juridiques ne sont pas toujours compatibles. Le législateur québécois l’a fait à plusieurs reprises en ajoutant au code des recours tels que l’habeas corpus, l’injonction, le recouvrement des petites créances et le recours collectif, mais à chaque fois les mesures adoptées ont tenu compte de notre particularisme et se sont bien intégrées dans notre droit. Aussi faut-il faire preuve d’une extrême prudence si l’on veut éviter que les modifications proposées se fassent au détriment des justiciables et de l’institution. On verra tout à l’heure qu’il y a certaines suggestions qui nous proviennent carrément de la common law dans le projet de loi, puis c’est ce qui, mettons, soulève des interrogations de ma part.

Quant aux principes fondamentaux de la procédure, je pense que tout le monde les connaît, c’est que les parties sont maîtres de leurs dossiers. Dans leurs actes de procédure, elles allèguent des faits et en tirent des conclusions. Devant le juge, elles doivent faire la preuve, documentaire ou testimoniale, de leurs prétentions, et le juge gère le déroulement de l’instance, entend la preuve, délibère, s’il y a lieu, et rend jugement.

n (9 h 40) n

Des amendements apportés au code en 2003 ont précisé les rôles respectifs du juge et des parties, on a précisé le rôle, mais, depuis 1867, c’est toujours la même chose, ce sont les mêmes principes fondamentaux qu’on a, où ce sont les parties qui mènent le jeu. Le juge est là pour s’assurer que le procès est bien géré et il peut intervenir pour améliorer la gestion, s’assurer qu’il n’y a pas d’abus de la part de certaines parties, puis après ça, comme arbitre, un peu un arbitre impartial, il rend jugement.

En 2003, pourquoi ont été ajoutés les articles 4.1 à 4.3? C’est parce qu’il y a eu un long débat au comité de révision du Code de procédure civile, là, qui était présidé par celui qui était mon collègue à ce moment-là, Denis Ferland. Il y a eu de longs débats et il y a eu des consultations, consultations et du milieu juridique et du milieu socioéconomique au cours desquelles il a été question justement, là, de l’espèce d’équilibre des pouvoirs entre le juge et les parties, et c’est pour ça que le 4.1, ce n’est pas l’effet du hasard. Le 4.1 voulait à tout prix maintenir un équilibre. Il ne faut pas que les parties puissent faire tout ce qu’elle veulent. Par contre, il ne faut pas non plus confier au juge des pouvoirs que la loi ne lui a pas accordés ou bien des pouvoirs qu’il va s’arroger parce que la loi est silencieuse. Ça fait que c’est pour ça que le 4.1, on le voit: «Les parties à une instance sont maîtres de leur dossier.» Donc, ce sont les parties qui mènent le débat. Par contre: «Le tribunal veille au bon déroulement de l’instance.» Ça fait que ce sont des pouvoirs de gestion qui sont donnés au juge.

Ce qui me gêne un peu dans le projet de loi n° 99, c’est qu’on accorde au juge des pouvoirs de décision et non pas des pouvoirs de gestion. Et je ne veux pas entrer dans tout le détail ici, je pense qu’on va pouvoir en discuter tout à l’heure, mais, quand on regarde, par exemple, à 54.1, qu’il peut déclarer à tout moment et même d’office, déclarer d’office qu’une demande ou un acte de procédure est abusif, ça veut dire que, là, on dit au juge: Vous regardez le déroulement de l’instance. D’après moi, telle procédure est abusive. Là, le juge va dire: Oui, c’est abusif. Vous allez, mettons, radier ça. Là, ça veut dire que le juge, là, il s’immisce dans le débat. Il n’est plus un arbitre impartial, il s’immisce dans le débat, et c’est là d’après moi qu’il y a un danger très sérieux à ce qu’on accorde des pouvoirs trop étendus au juge.

Et puis même j’ai l’occasion, comme on dit, d’échanger avec des confrères de la pratique et puis aussi des juges. Les juges ne demandent pas tous ces pouvoirs-là. Là, c’est le législateur qui se trouve à les leur donner, puis, moi, je pense que, dans notre régime à nous, le législateur doit garder le contrôle de la procédure civile et non pas laisser ça dans les mains des juges. Moi, j’ai la chance, comme on dit, de voter pour mes élus à tous les quatre ans, alors que je ne peux pas voter pour les juges.

Une voix: …

M. Reid (Hubert): Oui, oui. Ça va se faire tout à l’heure.

Bon, sur les objectifs du projet de loi n° 99, disons que ça touche trois choses. Il y a les abus, c’est-à-dire qui sont dans le cadre des poursuites-bâillons. Ça, c’en est un. Ensuite, il y a tout ce qui touche les abus de procédure, abus d’ester en justice, et tout ça. Là, c’est très large, ça. Et puis ensuite il y a le plaideur quérulent.

Bon, le plaideur quérulent, je n’en parlerai pas beaucoup, ou bien, si vous voulez, on pourra en discuter, si vous voulez. D’après moi, il y a des règles maintenant qui ont été établies par les tribunaux. On peut les ajouter dans le code. Et puis les règles sont claires, maintenant. Que ce soit en vertu des règles de la Cour d’appel ou de la Cour supérieure, c’est clair, les critères sont là. Par contre, pour les cas d’abus, comme vous allez le voir, moi, je suggère qu’on reporte ça, je veux dire, la réforme qui est en préparation, parce que c’est une porte qu’on ouvre, et les avocats vont entrer dans cette porte-là, puis je pense qu’il y en a beaucoup qui vont s’amuser à tout simplement faire de la procédure en disant: Bon, bien, là, il y a telle chose qui est… telle demande qui est faite, on veut entendre tant d’experts, on veut faire telle procédure, tel interrogatoire. Là, tout de suite, il y en a un qui va dire: Abus. Et là, à ce moment-là, le débat recommence et les journées d’audition vont se multiplier. Disons que ça, c’est ma crainte à cet égard-là.

Sur la preuve que la demande ou la procédure est abusive, là, ici, j’ai un problème avec le 54.2. Le problème est le suivant, c’est que j’ai beau y penser… Peut-être que je manque d’imagination, mais, j’ai beau y penser, je vois difficilement comment 54.2 va être mis en application. Parce que, là, on dit: «Si une partie établit que la demande en justice [...] constitue, à sa face même, un abus…» Bon, je sais que M. le ministre a trouvé une expression différente, là, c’est «sommairement» ou quelque chose comme ça, là, qu’on peut… parce que le mot «établit», disons, est trop exigeant. Bon. Même si c’est sommaire, qu’on fait une démonstration sommaire, il y a quand même une preuve à apporter.

Et je vais prendre l’exemple, mettons, du plaideur quérulent. Le plaideur quérulent, c’est facile d’apporter la preuve parce qu’il est allé souvent devant les tribunaux, puis, bon, c’en est un qui se présente toujours soit avec des procès nouveaux ou des interventions dans des procès parce qu’il a décidé qu’il aurait raison. Ça, on en a des exemples à profusion, de plaideurs quérulents. Là, à ce moment-là, on a une base qui est juridique, c’est-à-dire qu’il y a eu des discussions devant les tribunaux, et on s’aperçoit que ce plaideur-là fait en sorte que tout ce qu’il veut, c’est d’utiliser, à des fins indues, l’appareil judiciaire. Ça fait que, ça, prenez l’exemple de Fabrikant, c’en est un, là, qui est très clair, l’autre aussi qui s’occupe des pères divorcés, là. Je ne me souviens plus de son nom. Ça, on en a, on en a un certain nombre. Ça fait que, là, ici, moi, je vois des problèmes de preuve. On pourra en discuter tout à l’heure, si vous voulez.

Et puis ensuite, là, on dit: Mettons qu’il a franchi la première étape, le défendeur. Il a dit: Bon, bien, ça constitue une procédure abusive, là. On dit à l’autre: Tu dois prouver ta bonne foi. Sur quoi il va s’appuyer pour prouver sa bonne foi? Tout ce qu’on a dans le dossier de la cour, c’est une requête introductive. C’est tout ce qu’on a. Là, il va dire: Ma bonne foi, ça va être quoi? Je poursuis parce que je crois avoir raison. Donc, on s’en va au fond. C’est là que j’ai de la misère, c’est qu’on force les gens à aller au fond du litige, alors qu’il y a rien que la requête introductive qui est présentée. Disons que ça me rend inconfortable, je ne vous le cache pas. On pourra en reparler tout à l’heure, si vous voulez.

Il me reste…

La Présidente (Mme Thériault): Deux minutes.

M. Reid (Hubert): …deux minutes? Parfait.

J’ai parlé plus ouvertement de la provision pour frais parce qu’il y a certaines personnes… Moi, je ne vous cache pas que j’ai lu, je suis allé sur Internet, j’ai regardé tout ce qui a été dit, là, au cours des derniers mois sur les poursuites abusives. Là, j’ai écouté la semaine dernière. Moi, je pense qu’il y a des gens qui s’illusionnent un peu en pensant qu’avec la provision pour frais ils vont pouvoir aller en cour, puis c’est la partie adverse qui va payer ou le gouvernement qui va payer, puis là ça va être presque un bar ouvert. Si on regarde la jurisprudence, ce n’est pas ça. Quand c’est un conflit qui est privé, à date la porte est à peu près fermée. Si on parle d’intérêt public, d’une cause d’intérêt public, la porte est entrebâillée, pas plus que ça, parce qu’on a un principe chez nous, c’est qu’il n’y a personne qui doit subventionner la partie adverse. Si on veut le changer, c’est très bien, mais, moi, je me dis, à ce moment-là, c’est un changement radical par rapport à la politique que l’on défend depuis 1867.

Ça fait que c’est pour ça que je vous ai donné en annexe tout ce qui a été dit essentiellement sur la provision pour frais, et vous voyez que la porte n’est presque pas ouverte. Est-ce qu’on doit l’ouvrir plus? Moi, je pense que c’est au législateur, à ce moment-là, de le dire, qu’il veut l’ouvrir plus, et de préciser dans quel contexte la porte… jusqu’à quel point elle pourrait être ouverte puis dans quel contexte.

n (9 h 50) n

Et, pour terminer, je pense que j’avais un point à souligner, là, c’est sur la personne morale et l’administrateur. Je sais que, la semaine dernière, il y a eu des discussions là-dessus. Moi, la question que je vous pose, parce que j’ai regardé la jurisprudence, c’est que, dans le cas, mettons, d’Hétu, de la cause Hétu, où le conseil municipal a décidé d’y aller, là, d’appel en appel parce qu’ils avaient… dans cette cause-là ? je ne sais pas si vous vous en souvenez ? ils avaient congédié le directeur général puis ils ont décidé, comme on dit en bon français, de l’écoeurer et puis de ne pas lâcher. Et puis là il y a eu, bon, appel, des contrôles judiciaires, et tout ça. Là, est-ce que, dans ce cas-là, la loi s’appliquerait à un conseil municipal? Parce qu’il y a eu des condamnations des conseils municipaux qui ont été abusifs. Donc là, à ce moment-là, est-ce que ça pourrait s’appliquer à un conseil municipal ou même des fois peut-être à des organismes du gouvernement? Est-ce que ça pourrait s’appliquer à des organismes du gouvernement, où les administrateurs pourraient être poursuivis personnellement et condamnés personnellement? Je vous laisse la réponse parce que je ne l’ai pas nécessairement.

Alors, mes conclusions, bien je vais avoir l’occasion peut-être de vous en reparler tout à l’heure, parce que je n’aurai pas le temps. Moi, ce que je suggère en gros, c’est très simple, c’est qu’on bonifie les pouvoirs de gestion du tribunal. On peut aller beaucoup plus loin. Et il y aurait un élément, comme je vous disais… J’ai modifié un peu, là, mes conclusions: pour éviter que le juge ne soit pris en otage et puis qu’on n’invoque le fait qu’il n’est pas impartial en prenant des positions sur la question de l’abus, moi, je suggérerais, à ce moment-là, que ces questions-là soient débattues devant le juge en chef, de sorte que ce n’est pas le juge qui entendrait la cause, c’est le juge en chef qui verrait ça. Et c’est probablement le juge en chef qui pourrait également faire… je veux dire, se prononcer sur le droit à la provision pour frais, de sorte que le juge qui serait saisi du litige n’aurait qu’une chose à faire, c’est de gérer le litige, et puis là il n’y aurait pas… Moi, je ne verrais pas de problème majeur qui pourrait survenir de la part d’une partie qui soulèverait la partialité du juge puis qui soulèverait le fait que le juge a un comportement qui est discutable. Alors, j’arrête là-dessus.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Reid. Donc, sans plus tarder, nous allons aller aux échanges, et je vais céder la parole au ministre de la Justice. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Dupuis: Oui. Alors, évidemment, M. Reid, vos lumières sont toujours les bienvenues. Ne croyez pas que le fait que vous n’ayez eu que 15 minutes pour expliquer votre mémoire soit un bâillon en soi. Ce n’est pas un bâillon puisque je vous invite très ouvertement à continuer d’avoir des contacts avec nous, au ministère, si vous avez d’autres représentations à faire. Votre mémoire est bien sûr considéré de façon sérieuse parce que vous êtes une sommité dans le domaine de la procédure.

Je disais à Marie-José, je demandais à Marie-José Longtin: Est-ce que tu t’es bien entendue avec M. Reid au cours de vos carrières mutuelles?, elle bien sûr étant beaucoup plus jeune que vous, et elle m’a répondu: Je m’entendais très bien avec le Pr Reid. On n’était pas toujours d’accord, mais je m’entendais très bien avec lui. Alors, je vous invite bien sûr à communiquer… Marie-José va rester au dossier jusqu’à la fin des procédures, de telle sorte que vous pourrez communiquer avec elle sans aucun problème.

D’autre part, mon chef de cabinet, Pierre Moreau, a été l’un de vos étudiants à l’Université Laval. Il se souvient de vous avec beaucoup de bonheur, d’autant plus qu’il n’a jamais coulé son cours de procédure civile.

M. Reid (Hubert): Ha, ha, ha!

M. Dupuis: Alors, ça aide à aimer son professeur, c’est évident.

Vous savez, Pr Reid, le ministre de la Justice est bien sûr le gardien ? là, je ne parle pas de la personne qu’est le ministre de la Justice mais l’institution qu’est le ministre de la Justice et Procureur général ? est bien sûr le gardien du droit, le gardien du droit substantif, le gardien du droit de la procédure, mais c’est aussi, comme institution, le ministre de la Justice, quelqu’un qui doit être en contact avec la réalité juridique et judiciaire. Or, dans cette réalité juridique et judiciaire, j’ai été obligé de constater, moi, avec mes collègues du côté ministériel, et là, par suite de la commission parlementaire, je vois aussi, avec mes collègues de l’opposition, que toute cette question des poursuites-bâillons devient en quelque sorte suffisamment importante, le phénomène devient suffisamment important, quoiqu’il n’y ait pas eu beaucoup de poursuites, là ? je ne parle pas en termes de quantité mais en termes de conscience sociale ? ça devient suffisamment important pour qu’on se soit sentis obligés de réagir de façon urgente en prévention plutôt qu’en curatif comme on le fait souvent, malheureusement, dans ces matières-là. C’est la raison pour laquelle on a déposé ce projet de loi là devant l’Assemblée nationale.

Toute la question de confier au juge la gestion de l’instance dont vous parlez dans votre mémoire et dont vous avez parlé ce matin a aussi été envisagée en fonction du grand principe de l’accessibilité à la justice. Il y a des avocats qui sont venus devant la commission parlementaire, celle-ci et d’autres, le Jeune Barreau, le Barreau du Québec, il y a des articles qui se sont écrits dans Le Devoir, aux mois de mai et juin derniers, sur toute cette question d’accessibilité à la justice, et les justiciables, je pense que vous le notez, vous aussi, parce que vous lisez les journaux, vous écoutez la télé, etc., les justiciables ont un certain sentiment que la justice est moins accessible qu’elle ne l’était, pour toutes sortes de raisons, pour toutes sortes de raisons. Il y a bien sûr ? on en entend parler, il faut écouter ces représentations-là ? la question des honoraires des avocats bien sûr qui est une des questions discutées, mais il y a aussi toute cette multiplication des procédures.

Vous savez, l’abus par des justiciables, ou par des entreprises, ou peu importe, par des parties devant le tribunal, c’est quelque chose qui existe, et malheureusement je pense que je suis en mesure de dire que c’est même en recrudescence, de telle sorte qu’on s’est sentis obligés de réagir rapidement en étendant la question des abus dans les amendements qu’on dépose. Donc, je reçois avec intérêt vos représentations sur la tradition ? appelons-le comme ça ? entre «les parties sont maîtres de leur dossier» et «les juges sont là pour régler les litiges et gérer du bout des doigts ? enfin, c’est une expression que j’emploie, moi; du bout des doigts ? la gestion de l’instance». Je pense que résolument… Et je suis prêt à vous écouter là-dessus. Je pense que résolument il faut commencer à se rendre au désir des avocats, où les avocats souhaitent que les juges s’impliquent encore plus dans la gestion de l’instance, dans la gestion de l’instance et plus tôt dans l’instance aussi pour permettre que les procédures soient raccourcies, pour que le temps où le justiciable attend que son dossier soit résolu soit plus court, et je pense que ça fait partie, ça, de l’accessibilité à la justice. C’est un premier point. Je vous promets que je vais vous laisser répondre.

Sur 54.2, je vais passer tout de suite à 54.2. Vous m’avez entendu, la semaine dernière, dire que nous étions ouverts, nous entendions les critiques sur 54.2. Effectivement, la façon dont il est rédigé actuellement peut poser sans aucun doute des problèmes. On va l’ouvrir. Moi, je suis prêt à recevoir toutes les suggestions. J’en ai suggéré une, mais je ne pense pas que je possède la vérité infuse. Le député de Mercier travaille sur un possible projet, je vous invite à faire la même chose. Mais je dis simplement que je suis ouvert à vos suggestions.

Je termine en disant: La provision pour frais, honnêtement, Pr Reid, je suis sensible aux représentations qui me sont faites par un certain nombre de personnes qui ont été poursuivies, qui prétendent que la poursuite est une poursuite pour les faire taire, et ces personnes-là malheureusement n’ont pas les moyens de se pourvoir parce qu’elles n’ont pas les moyens financiers de se pourvoir. Je suis assez sensible à ça. La décision que j’avais à prendre, professeur, c’est: Est-ce qu’on ouvre la provision pour frais de façon très franche, et très directe, et très limpide, on ouvre la provision pour frais, comme vous l’avez suggéré, ou est-ce que je crée un fonds qui permettrait aux gens de venir s’y approvisionner?

J’ai opté pour la provision pour frais, le gouvernement a opté pour la provision pour frais parce qu’on estime que les gens qui… en fait le SLAPPer, pour employer une expression qui a été employée la semaine dernière… Là, je sais qu’elle n’est pas très juridique. Elle a dû vous faire chauffer les oreilles, là, mais je l’emploie pour les fins de la discussion. Le SLAPPer-payeur, je pense que c’est un principe qu’il faut retenir, d’une part. D’autre part, créer un fonds demanderait d’aller au Conseil du trésor, au ministère des Finances. Ce serait une procédure qui serait longue, sur laquelle je ne suis pas certain de réussir et qui ferait en sorte qu’on retarderait tout le dossier. Moi, je préfère aller à la provision pour frais. Ça me semble être un bon principe puis ça me semble être plus rapide.

n (10 heures) n

Là, je me tais parce qu’il ne doit pas rester beaucoup de temps, j’ai parlé longtemps, mais je vous écoute.

La Présidente (Mme Thériault): Vous avez sept minutes à votre disposition.

M. Dupuis: Ah! Bien, O.K., on a pris chacun la moitié.

M. Reid (Hubert): Bon, je vais le prendre par ordre. Sur l’implication du juge dès le début, moi, tant et aussi longtemps qu’on confie des pouvoirs de gestion au juge, je n’ai aucun problème parce que c’est de la gestion. C’est quand on lui demande de prendre des décisions sur certains éléments de la demande. Entre autres, et c’est pour ça que je l’ai soulevé dans mon mémoire, quand on dit qu’il peut… Excusez, là, je vais le…

Une voix: …

M. Reid (Hubert): Oui. Je vais le ressortir ici. Bon, à 54.1, bien, ici, «accorde au juge de première instance le pouvoir de déclarer à tout moment», ça veut dire «à n’importe quelle étape du procès». Un bon coup que c’est abusif? Là, là, le juge, il n’est plus impartial, un bon coup, là, c’est lui qui commence à gérer le procès, du début jusqu’à la fin quasiment, parce qu’il va entendre les parties puis il va dire: Bien ça, c’est abusif, parce qu’on lui donne le pouvoir de le faire d’office. Si c’était sur demande, encore ça va, mais «d’office», ça veut dire: de sa propre initiative, il peut décider que ça est abusif. Moi, j’ai de la misère avec ça.

Et puis, l’autre point, quand on dit qu’il peut supprimer une conclusion, là il touche au fond. Là, s’il supprime… Je vais prendre un exemple: action en dommages-intérêts, mettons, avec injonction. Il décide, pouf! qu’il fait sauter dommages-intérêts. Qu’est-ce que vous pensez qu’il va arriver? Appel. Puis qu’est-ce qui va arriver? La Cour d’appel va probablement aller dans le sens de sa tradition. C’est-à-dire, elle va dire: Attendez une minute, là. C’est très important, on supprime une conclusion. Et puis je pense qu’il faut avoir à l’esprit que nos tribunaux ? je pense à la Cour suprême, la Cour d’appel ? ne changeront pas leur jurisprudence, à moins que le législateur leur ait dit bien clairement qu’ils doivent le faire. Mais autrement, là, c’est la bonne vieille jurisprudence qui va continuer à s’appliquer. Ça fait que c’est pour ça que, quand on dit: Vous pouvez supprimer une conclusion, je trouve que ça va beaucoup trop loin, et ce qu’il faut, c’est concentrer les pouvoirs du juge sur la gestion de l’instance, mais, peut-être dans le cas où l’ordre public est impliqué, que, là, on accroisse ses pouvoirs.

M. Dupuis: Mais vous ne trouvez pas, Pr Reid, que le législateur est très, très clair dans les amendements qu’il propose au Code de procédure civile sur son intention d’éviter que des gens se servent des tribunaux, détournent l’essence même du tribunal? Parce que, vous savez, quand on dit «le juge peut à tout moment», il y a deux choses que je veux vous dire là-dessus. Premièrement, quand on dit «le juge, d’office», ça ne se fera pas en l’absence des parties, ça ne se fera pas non plus en l’absence de représentations des parties sur le fait même, d’une part. D’autre part, n’oubliez jamais qu’on est toujours en matière d’abus, donc on est en matière de détournement des fins de ce que doit être un tribunal, et il m’apparaît à moi humblement, Pr Reid, que le législateur indique très clairement dans ses amendements qu’on ne doit pas continuer une procédure qui est un abus. J’allais dire «clairement un abus». Je ne peux pas dire ça parce que ce n’est pas rédigé de cette façon-là, là. Je le comprends et je le conçois. Mais qui est un abus. Il faut éviter les abus. Il faut éviter que les tribunaux soient l’otage de gens qui s’y adressent pour d’autres raisons que pour les raisons pour lesquelles on s’y adresse normalement, c’est-à-dire pour régler un litige qui est juridiquement bien constitué.

Je vous laisse aller là-dessus, là, mais c’est simplement…

La Présidente (Mme Thériault): Me Reid.

M. Reid (Hubert): Justement, sur cette question, je veux dire, de l’abus, on se rejoint, là, mais c’est qu’il faut dire que, quand le juge, mettons, le soulève d’office, c’est sûr qu’il a entendu les parties, mais, à ce moment-là, ça veut dire que lui a décidé sans qu’il y ait eu, je veux dire, nécessairement toute une preuve de faite. Il y a eu des affirmations qui ont été faites, mais, sans qu’il y ait eu une preuve de faite, il décide que c’est abusif. C’est là que j’accroche parce qu’il n’y a pas eu de preuve de faite encore. Il y a eu des échanges, il y a une partie qui dit: Bien, moi, d’après moi est-ce que la poursuite est abusive? ou surtout un acte de procédure est abusif. Ce n’est pas rien que la demande elle-même, c’est: un acte de procédure est abusif. Là, il dit: Pouf! après ce que j’ai entendu, sans qu’il y ait nécessairement une preuve… C’est pour ça que je dis que, dans le projet de loi, ce qu’il faudrait, c’est de préciser, à ce moment-là, que les conditions… Parce que, si on prend uniquement le texte tel qu’il est, ça va monter en appel régulièrement.

M. Dupuis: Vous savez, M. Reid, ce qu’on a vu surtout, là, au risque de me tromper ? je sais que mon collègue ministériel et les collègues de l’opposition suivent ça aussi attentivement que moi ? on a vu beaucoup de poursuites qui ont été intentées contre des groupes qui ont fait des déclarations à l’égard d’une entreprise, par exemple, où cette entreprise a réagi en poursuivant les personnes qui ont fait la déclaration pour des dommages-intérêts excessivement élevés, je veux dire, de façon absolument évidente. Peut-être, peut-être l’entreprise en question a-t-elle un droit de poursuite, mais l’abus réside dans le montant des dommages-intérêts qu’on demande. Donc, l’abus, au fond, là, ça peut être l’abus de poursuite, mais ça peut aussi être l’abus de la demande de réparation, et il m’apparaît à moi… Je peux me tromper, on va le suivre de toute façon quand… On va le suivre éventuellement, mais il m’apparaît à moi qu’en principe, dans ce que j’ai vu, la question de l’abus, qu’il soit un abus de poursuite ou que ce soit un abus de demande de réparation, apparaît en général assez clairement.

Là, j’emploie le mot «clairement», là, peut-être que je vais me mordre les doigts de l’avoir employé en commission parlementaire, mais il m’apparaît que ça apparaît assez clairement. Et ce n’est pas quelque chose qui est si litigieux que cela, mais, à première vue, là, je ne sais pas ce que, vous, vous en pensez, là-dessus.

La Présidente (Mme Thériault): Me Reid.

M. Reid (Hubert): Bon, si vous permettez, je vais préciser ma pensée là-dessus.

La Présidente (Mme Thériault): Vous avez 1 min 30 s pour le faire.

M. Reid (Hubert): 1 min 30 s? Bon. Je pense qu’on a mis l’accent depuis le début sur le montant. Bon, on a des poursuites de 5 millions; en Ontario, 6 millions. Bon, juste pour vous, disons, là, montrer un peu que le montant des fois peut avoir un impact dans l’imaginaire des gens, c’est que, regardez, il y a eu une poursuite, qui n’est pas réglée, je crois, là, de Biscuits Leclerc contre Le Devoir puis contre un journaliste. Il n’y a personne qui en a parlé. Il n’y a personne qui a parlé de poursuite-bâillon. C’est une poursuite de 150 000 $. Ça fait que là où, moi, je pense qu’il y a un problème, c’est que…

Prenez, au lieu de prendre la poursuite de 5 millions, l’entreprise, ce qu’elle fait, c’est qu’elle poursuit pour 100 000 $. Et là, à ce moment-là, elle tombe dans la procédure. Là, elle va affamer l’organisme, puis c’est là effectivement que ça va faire mal à l’organisme, bien plus que le 5 millions. Parce qu’il n’y a pas personne, parce qu’on n’est pas aux États-Unis, là, il n’y a personne au Québec puis au Canada qui va croire qu’un organisme sans but lucratif va être condamné à payer 3 millions à une multinationale. Le problème, il est bien plus, disons, au niveau des procédures qu’on va faire, qui vont faire en sorte que l’organisme va s’épuiser, il ne travaillera pas sur les vrais sujets auxquels il s’intéresse et… Ça fait que c’est pour ça que, moi, je pense qu’il faut éviter, là, de parler… Le montant, moi, il ne m’énerve pas. Ça a l’air drôle à dire, là, mais le montant, il ne m’énerve pas.

M. Dupuis: Bien, je veux juste vous dire qu’on ne s’intéresse pas qu’au quantum. Je veux vous rassurer là-dessus, là, on ne s’intéresse pas qu’au quantum. L’abus peut être l’abus de poursuite. L’abus de quantum, oui, ça peut en… mais ça peut être un abus de la multiplication des procédures aussi.

M. Reid (Hubert): C’est ça, oui.

M. Dupuis: Ça peut être ça aussi. Ah! oui, oui, c’est clair dans notre esprit. Alors, vous voyez, on se rencontre sur un certain nombre de notions. Je suis bien content. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Ceci met fin à l’échange avec le ministre. Donc, nous allons aller du côté de l’opposition officielle, et je reconnais le député de Saint-Hyacinthe, qui est le porte-parole en matière de justice. M. le député.

M. L’Écuyer: Alors, merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, je salue M. le ministre de même que le député de Robert-Baldwin et je précise aussi qu’aujourd’hui je suis avec mes collègues le député de Joliette, le député de Marguerite-D’Youville. Et je salue aussi M. le député de Mercier, du deuxième groupe d’opposition, tout en disant que mes deux jeunes collègues sont des avocats de formation et aussi qu’ils ont apprécié la démonstration, ou le cours que vous nous avez donné, aujourd’hui, en matière de procédure civile.

n (10 h 10) n

Je dois vous dire, Pr Reid, que ce que je vois dans le projet de loi n° 99, je vois, j’essaie… Puis, dans ma tête, comme toujours… les deux balances de la justice, et j’essaie quand même de voir entre ce que je peux appeler, moi, le droit privé ou le droit de l’individu, et maintenant on introduit en fait une notion à l’intérieur du Code de procédure civile, ça s’appelle la «liberté d’expression», quoique je ne veux pas dire par là qu’il n’y avait pas de liberté d’expression, loin de là, au niveau de notre Code de procédure civile, mais on voit «droit privé», c’est-à-dire on veut gérer les procédures d’individu versus individu, et aussi, de l’autre côté, liberté d’expression d’autrui dans le contexte d’un débat public. Alors, j’ai, dans ma tête, ces deux… en fait ces deux balances de la justice et je me dis: Est-ce qu’effectivement ce n’est pas ce genre de débat là qu’on introduit maintenant dans le Code de procédure civile?

J’aimerais avoir votre… si ma perception des choses est bien en rapport avec le projet de loi n° 99.

La Présidente (Mme Thériault): Me Reid.

M. Reid (Hubert): Oui. On introduit une nouvelle leçon, puis une nouvelle approche, qui peut être fort intéressante. Moi, je crois qu’on devrait, je veux dire, non pas la mettre, je veux dire, cette approche-là, l’intégrer dans les pouvoirs accordés aux juges, mais peut-être dans une section particulière qui ne toucherait pas seulement la liberté d’expression. Moi, dans le mémoire, vous avez pu voir que… Moi, je me dis: Dès qu’une liberté fondamentale est atteinte, on devrait pouvoir, disons, contrôler le déroulement des litiges. Parce que, là, on parle beaucoup de la liberté d’expression, puis on s’entend là-dessus, mais la liberté d’association… Il y a beaucoup plus de litiges sur la liberté de religion ou la liberté d’association que sur la liberté d’expression au Québec. Puis même je vais aller plus loin, si on a une loi qui a des dents puis une bonne loi qui a des dents, vous n’en aurez plus, de SLAPP, vous n’en aurez plus parce qu’un bon coup les gens vont dire: Ça n’a pas de bon sens. Mais vous allez avoir quand même d’autres poursuites qui vont être moins apparentes.

Je prends l’exemple, mettons, de Barrick Gold qui poursuit pour 100 000 $ parce que l’organisme auquel elle s’attaque n’a pas beaucoup d’argent. Mais elle dit: Je vais l’étouffer tranquillement. Bien là, à ce moment-là, elle va poursuivre pour 100 000 $, mais il n’y a rien qui va l’empêcher, en cours d’instance, d’arriver puis d’augmenter ça à 300 000 $ en disant: Regardez, la preuve qui a été faite à date, là, mes dommages vont être bien plus importants, je monte à 300 000 $, je monte à 500 000 $. Tu sais, il n’y a rien qu’on va pouvoir empêcher. C’est pour ça que, je me dis, il faut être… J’aimerais ça, moi, que ce soit étendu à toutes les libertés fondamentales et non pas seulement à la liberté d’expression. Et là on va avoir, je pense, une loi qui va avoir beaucoup plus de dents que celle qui est là. Parce que celle-là, moi, elle me fait toujours peur dans sa rédaction actuelle parce qu’il y a… Je connais les débats de procédure, puis les débats de procédure vont toujours se faire au détriment du petit et jamais au détriment de la multinationale qui peut se payer des avocats à la tonne.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Dans votre mémoire, vous avez, à l’article… en fait, vous reprenez l’article 4.1. En fait, cet article-là a été adopté en 2003, 4.1, où on nous dit… En fait, je ne vous en ferai pas lecture mais quand même simplement une section ou quelques mots de l’article 4.1, où on dit «au présent code» en fait, lorsqu’on parle: «…dans le respect des règles de procédure et des délais prévus au présent code et elles sont tenues de ne pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.» J’ai l’impression que ce que vous écrivez dans votre mémoire…

Cet article-là, en 2003, a été adopté par le législateur pour contrer l’abus, l’abus de droit, et le projet de loi n° 99 est aussi contre l’abus de droit. Est-ce que selon vous 2003 a eu une vie jurisprudentielle assez longue pour un peu amender immédiatement… en fait amender, par le projet de loi n° 99, 4.1 indirectement?

La Présidente (Mme Thériault): Me Reid.

M. Reid (Hubert): Je pense qu’il faut avoir à l’esprit, puis ça, ça m’apparaît important en procédure civile: les modifications qui sont apportées au code prennent au moins cinq à 10 ans avant d’atteindre leur vitesse de croisière. Ça va dans différentes directions en première instance; après ça, ça va en appel; et il y en a quelques-unes qui sont allées devant la Cour suprême. Prenez l’exemple de l’article 2 du code. L’article 2, ça a pris 11 ans avant qu’on lui donne sa pleine valeur, avec l’arrêt Hamel contre Brunelle, et avant ça c’est allé dans plusieurs directions. Là, quand vous arrivez ici avec le 4.1 à 4.3, on regarde la jurisprudence là-dessus, ça commence à prendre forme. Ça commence. Ça fait cinq ans, et, moi, je pense que ça va prendre encore un autre cinq ans avant que le 4.1 ait sa pleine force.

Mais, dans le cas de poursuites abusives, c’est là que je me dis: Il faudrait prévoir des règles particulières pour les poursuites abusives de sorte que… Le 4.1, il n’est pas précisé à l’heure actuelle, c’est un article général. Puis ce qu’on dit: Vous avez des règles du Code civil qui s’appliquent aussi, articles 6 et 7, ça fait que disons qu’on n’a pas besoin d’aller plus loin, tandis que, si on arrivait avec des propositions plus précises concernant la gestion toujours, moi, je pense que, là, on pourrait, d’ici… ça va prendre encore un autre cinq ans. Il va falloir attendre que la Cour d’appel puis la Cour suprême se prononcent peut-être sur certains éléments.

La Présidente (Mme Thériault): Oui. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Oui. Pr. Reid, on sait pertinemment que 4.1… Est-ce que vous avez fait une étude à savoir s’il y a beaucoup de jurisprudences présentement qui se sont rendues jusqu’à la Cour suprême au sujet de 4.1, en regard de la gestion en fait de l’instance?

La Présidente (Mme Thériault): M. Reid.

M. Reid (Hubert): Non. Il y a de la jurisprudence sur le 4.1, et la jurisprudence qu’on a, c’est surtout sur le rôle du juge, où on a bien dit que les tribunaux… La Cour d’appel notamment a dit qu’il ne faut pas faire de l’activisme non plus, que les juges ne doivent pas faire de l’activisme judiciaire. C’est-à-dire que leur rôle est bien précisé dans le code, mais… Donc, la jurisprudence porte beaucoup plus sur la gestion de l’instance que sur l’abus, parce que, sur l’abus, à date ce qu’on a toujours dit, c’est que c’est à la fin du procès, là, quand il y a un jugement, puis là le juge rend jugement puis dit: Vous avez abusé, et je peux, en vertu de ? mettons ? 75.1 puis 75.2, vous condamner à des dommages-intérêts. Ça fait que c’est pour ça que, moi, ma position là-dessus, c’est qu’on doit préciser nécessairement, dans le cas, mettons, d’abus, on doit peut-être préciser le contenu de l’article 4.1.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. En fait, le rapport Macdonald, j’imagine, vous l’avez vu, relu, analysé et étudié. L’avenue en fait, une des avenues, c’était de procéder à l’amendement de l’article 75.1 du Code de procédure civile. On regarde l’application 75.1, il y a jurisprudence en rapport avec 75.1, c’est-à-dire qu’après un interrogatoire et lorsque la procédure s’avère comme étant une procédure qui n’a aucune chance de succès, aucune chance raisonnable de succès habituellement le juge va y mettre fin immédiatement.

Dans le cas du projet de loi n° 99, et plus particulièrement lorsque vous nous donnez quand même des exemples où il y a une problématique au niveau de la preuve déjà de façon préalable… Et je voudrais vous entendre aussi en ce qui concerne ce 75, pourquoi le… Si le législateur était allé carrément appliquer la deuxième option prévue dans le rapport Macdonald, ça aurait été plus simple au niveau du projet de loi n° 99, parce que, dans la façon que le rapport Macdonald précise, ils disent: Amendez 75.1. Et 75.1, il a quand même un vécu, le 75.1. Le vécu, c’est: c’est certain qu’il y a un interrogatoire. Là, on lui ajoute quand même du vexatoire, on lui ajoute aussi le problème d’excessif, abusif et dilatoire ou susceptible de constituer un détournement des finalités de la fonction judiciaire. On avait déjà ça dans le rapport Macdonald.

n (10 h 20) n

Si on avait simplement modifié les outils, en fait les instruments que les juristes connaissent, 75.1, 75.2, croyez-vous que ça aurait été beaucoup plus clair pour l’ensemble de la population, alors que, là, si effectivement on ajoute l’abus de procédure, on fait l’amendement de 75.1, on amende 75.1, on ajoute, à 54.1… Croyez-vous qu’effectivement on aurait dû prendre cette voie-là qui aurait été déjà tracée dans le rapport Macdonald?

La Présidente (Mme Thériault): Et, Me Reid, vous avez trois minutes pour terminer l’échange avec le député.

M. Reid (Hubert): Bon, le 75.1 a été interprété à de nombreuses reprises, là, et puis on sent la prudence des juges quand il s’agit d’une demande de rejet d’une action parce que c’est abusif. Et là on peut dire: Bon, bien, là, il faudrait peut-être aller plus loin puis modifier le 75.1 ou adopter une règle plus générale. C’est une hypothèse.

Mais, moi, je suis porté à croire, moi, que nos juges ne changeront pas du jour au lendemain leur interprétation des textes de loi et ils vont toujours faire preuve de prudence avant de rejeter une action ou de rejeter un acte de procédure parce qu’abusif en disant… Je veux dire, on a quand même l’article 5 du Code de procédure qui dit que, quand on va devant les tribunaux, on doit être entendu par un tribunal impartial puis on doit être en mesure de faire le… Voyons! Le 5, là. On doit être entendu par le juge… Attendez, je vais ressortir mon petit article 5, qui n’est pas long, là: «Il ne peut être prononcé sur une demande en justice sans que la partie contre laquelle elle est formée n’ait été entendue ou dûment appelée.» Bon. Ça fait que, là, à ce moment-là, nos juges vont toujours être prudents là-dessus, à moins que le législateur leur dise: Vous devez serrer la vis sur tel aspect. Mais, moi, je ne m’attends pas du tout à ce que la jurisprudence soit transformée du jour au lendemain, puis la jurisprudence, à l’heure actuelle, est pas mal claire, disons, on rejette rarement une procédure ou une demande parce qu’elle est abusive. On dit: Attendez à la fin, puis à la fin on a 75.1 ou bien il y a l’action en dommages-intérêts.

La Présidente (Mme Thériault): Rapidement, un bref commentaire.

M. L’Écuyer: Oui. Dans le 75.1, Pr Reid, on avait la possibilité immédiatement de faire décider par le juge s’il s’agit d’une procédure abusive et, dans un deuxième temps, on pouvait immédiatement faire la preuve des frais occasionnés pour cette procédure abusive là, et aussi le juge pouvait immédiatement mettre fin au débat. Ce n’était pas un jugement qui était partiel, c’était un jugement qui était définitif. Et je pense que l’approche du Pr Macdonald, c’était justement de rendre cette procédure-là un jugement définitif. Je ne sais pas si vous l’avez analysée, Pr Reid, avec le 165 point… dans le projet de loi, avec le nouveau 165 point… modifier l’article 165, quatrième paragraphe. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça, vous, de modifier effectivement que ce soit en droit partiel et non pas en droit définitif?

La Présidente (Mme Thériault): Et vous avez 15 secondes pour le faire.

M. Reid (Hubert): Pourquoi l’inscription en droit partiel a été rejetée par nos tribunaux? C’est parce que ça donnait des appels, ça permettait aux gens d’aller en appel sur une partie de la demande, et là ça occasionnait des délais. La jurisprudence est très claire à cet égard-là. Ça fait que, moi, je me dis: On rétablit l’inscription en droit partiel? D’après moi, on rétablit encore des possibilités d’appel de la part de celui qui veut jouer de la procédure.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Reid. Donc, nous allons passer maintenant du côté du député de Mercier, qui est le porte-parole en matière de justice pour le groupe formant la deuxième opposition. M. le député.

M. Turp: Alors, merci, Mme la Présidente. Je voudrais aussi saluer mes collègues en cette journée électorale. Le leader du gouvernement nous fait travailler. Il y en a peut-être plusieurs d’entre nous qui voudrions prêter main-forte à des candidats, mais il faut faire notre travail ici, à l’Assemblée.

M. Dupuis: Et à votre ancienne famille.

M. Turp: Et à mon ancienne famille en ce qui me concerne. J’ai eu le plaisir de voir Gilles Duceppe, moi, à la fin de sa campagne, hier après-midi, quand il est rentré à Montréal, et ça a été un beau moment.

D’abord, Me Reid, merci beaucoup d’assumer cette responsabilité de l’universitaire, là, qui d’ailleurs, dans ses fonctions, doit faire du rayonnement. Et je crois que c’est tout à notre honneur que vous choisissiez ce forum qu’est l’Assemblée nationale pour venir présenter vos vues pour améliorer ce projet de loi qui a été déposé par le ministre de la Justice et nous assurer que nous adoptions la meilleure loi possible. Et, comme vous l’avez rappelé et écrit dans ce mémoire, vous souhaitez qu’il s’inscrive très bien dans notre tradition de droit civil, dans l’économie générale du Code de procédure civile. Je ne sais pas si vous avez entendu la semaine dernière, moi, j’ai dès le départ, dès mes remarques préliminaires, indiqué que c’était aussi une de mes préoccupations, que, bien que nous faisons du nouveau droit, il y a lieu de respecter l’économie générale du Code de procédure civile et de notre tradition civiliste. D’ailleurs, tout à l’heure, j’aimerais bien que vous nous parliez ? vous l’avez évoqué dans vos propres remarques ? de ce qui ressortirait de la common law dans ce projet de loi parce que je ne crois pas que vous l’avez mentionné de façon explicite. Alors, j’aimerais bien le savoir. Ça, ce sont mes remarques générales.

Et, vous savez, la présence d’un praticien, d’un professeur de droit judiciaire dans un cadre comme celui-là est essentielle. Vous êtes le seul d’ailleurs qui venez devant la commission, spécialiste de droit judiciaire. On a le Barreau et l’Association du Jeune Barreau qui nous font des représentations. D’ailleurs, le Barreau réécrit la loi. Alors, ça va être intéressant de voir la loi réécrite par le Barreau du Québec et d’échanger avec eux.

Puis, il y a peut-être des professeurs de procédure civile ou de droit judiciaire qui les ont conseillés. Mais en tout cas ce que vous faites et ce que vous écrivez méritent d’être bien pris en compte. Et je donne juste un exemple. Le Pr Reid nous rappelle que l’article 54.5 devrait faire mention expressément des dommages punitifs, dont il n’est pas question dans 54.5, bien qu’il soit question de ces dommages dans les notes explicatives du projet ? c’est vous qui me le faites remarquer ? et, si on ne le met pas, d’après le Pr Reid, dans l’article 54.5, il ne suffit pas que ce soit dans les notes explicatives pour qu’un juge puisse accorder des dommages punitifs. Alors, votre bon oeil, votre lecture attentive de ce projet de loi va nous permettre de corriger, à tout le moins, cette lacune.

Mais j’ai deux questions générales à vous poser. La première question, elle va être évoquée encore à nouveau ici, c’est l’idée d’inclure, comme le ministre le souhaite ? il nous l’a dit, répété ? dans ce projet de loi des dispositions qui concernent les abus hors du contexte des poursuites-bâillons, et le ministre a fait ce choix, il nous propose ici, à l’Assemblée, ce choix d’élargir la loi non pas seulement aux poursuites-bâillons, bien que le titre de la loi laisse entendre que c’est surtout les poursuites-bâillons, et le préambule également, mais il veut l’étendre, il veut le faire maintenant parce qu’il y a des abus qu’il veut corriger maintenant.

Vous, vous dites: C’est dangereux de corriger ces abus autres que poursuites-bâillons dans le contexte actuel, il faudrait attendre la réforme du Code de procédure civile. Il y en a d’autres qui sont de cet avis-là. Je voudrais vous entendre un peu plus là-dessus, à la lumière notamment de ce que le ministre vous a répondu en disant: Bien, il y a peut-être une urgence. Est-ce que vous voyez cette urgence? Est-ce qu’elle justifie que le projet de loi ait une portée plus large? Donc ça, c’est ma première question générale.

Ma deuxième question, c’est sur les provisions pour frais. Moi, j’ai beaucoup apprécié votre mémoire, vous avez beaucoup éclairé sur l’état de la jurisprudence et sur aussi la façon peut-être de revoir la rédaction, bien que vous ne nous avez pas proposé une rédaction. Vous avez signalé quelques difficultés de plusieurs éléments de l’article concernant la provision pour frais. Mais j’aimerais ça vous faire entrer dans le débat sur: Est-ce qu’une provision pour frais, ça va régler le problème de l’équité des armes, là, entre les parties? Parce qu’il y a la proposition, qui nous est faite par plusieurs personnes, du fonds d’aide. Le ministre, pour les raisons qu’il nous a expliquées à nouveau aujourd’hui, ne souhaite pas qu’il y ait un fonds d’aide. Là-dessus, j’aimerais entendre votre opinion. Ça existe, hein, un fonds d’aide, il y en a pour le recours collectif, c’est différent, j’en conviens. Alors donc, là-dessus, j’aimerais aussi vous entendre.

La Présidente (Mme Thériault): Me Reid.

M. Turp: Et sur la common law, si je me permets. Sur la common law.

M. Reid (Hubert): Oui. Bon, je peux parler tout de suite, mettons, de la question de la common law. Je vais prendre un exemple tout de suite, là, à 54.4: «Le tribunal peut, s’il l’estime approprié:

«1° assujettir la poursuite de la demande en justice ou l’acte de procédure à certaines conditions.»

n(10 h 30)n

Moi, je ne suis pas dans le secret des dieux, là, mais d’après moi ça vient de la procédure, des règles de procédure civile de l’Ontario, l’article 20 qui parle des conditions. Ça fait que, là, disons que, si on prend l’article 20, qui était cité dans le rapport Macdonald, l’article 20, disons, dans le rapport, il n’était pas cité au complet.

Si on va voir le texte complet, là, on s’aperçoit que c’est quoi? C’est qu’il peut ordonner à… Je pense qu’ils mettent trois conditions: ordonner, je veux dire, au défendeur de payer une partie de la somme réclamée ou la totalité, cautionnement pour frais, et puis le troisième, c’est sur les interrogatoires, de sorte que, là, c’est l’importation de la common law dans notre droit. Nous autres, on les a, ces règles-là. Ça fait que, si on dit, mettons, qu’on ajoute des conditions, c’est-à-dire qu’il peut imposer des conditions, ça va être quoi? Le juge, il va regarder le code, on en a un. Il va dire: Bon, ce n’est pas ça, là. Je veux dire, c’est d’autre chose. Donc, les juges vont, comme on dit, se creuser les méninges peut-être pour se dire: Est-ce qu’il n’y a pas une porte qui s’ouvre ici, une porte qui s’ouvre là? Moi, je me dis: On a un code. Ça fait que, là, ce qu’on doit faire, c’est qu’on ne doit pas… le législateur ne doit pas abdiquer devant la magistrature, il doit dire exactement ce qu’il en est. Ça fait que c’est pour ça que, certaines conditions, moi, je pense que ça ouvre une porte très grande. Ça fait que c’est pour ça.

Il y en aurait d’autres, exemples qui viennent justement de la common law. Dans le rapport Macdonald… Le rapport, il était bien intéressant parce qu’il faisait le tour de la question. Il y a peut-être un regret de ma part, c’est que le rapport Macdonald ne s’est pas penché sur les principes fondamentaux de la procédure au Québec. Ce n’est pas méchant, ce que je dis là, j’emploie une expression qu’on entend surtout chez nos jeunes: ils ont fait du copier-coller. J’aurais souhaité qu’ils étudient plus les principes fondamentaux pour dire après ça: On fait des suggestions mais des suggestions qui collent vraiment à notre Code de procédure, qui est fort différent des règles des tribunaux de common law.

Sur élargir la loi aux abus, pourquoi, moi, je propose de le faire dans le cadre de la réforme? Parce que la réforme est en marche. Je ne le sais pas, où est-ce que ça va nous conduire si on met ça ici sans balise. Parce qu’on n’encadre pas le juge, là, comme c’est là. Si on regarde, il n’y a pas d’encadrement, on ouvre des portes, puis c’est… Je me dis: Peut-être que, dans le cadre de ce projet-là, il est possible d’aller plus loin. C’est peut-être la solution, c’est d’aller plus loin dans le projet actuel. Mais, tel qu’il est, moi, il me fait peur parce que les avocats, là, vont avoir de l’imagination, hein, c’est clair. Puis il y en a même…

Ce qui est malheureux, c’est qu’il y a peut-être des avocats qui ne sont pas spécialistes dans un domaine et puis qui vont dire: Bien là, maintenant, là, il y a une manne qui vient de s’ouvrir. Parce que, là, ça va se faire… Ce n’est pas l’abus du droit d’ester en justice, c’est l’abus de procédure à l’intérieur d’un procès aussi qui est couvert, les deux. C’est parce que je ne vois pas… Disons que je ne suis pas en mesure de vous dire, là: C’est bon, ce n’est pas bon. J’aimerais mieux, moi, que la réflexion se poursuive au moins un certain temps, quitte à ce que le projet retarde de quelques semaines et puis qu’on arrive avec quelque chose qui est très clair.

Sur la provision pour frais, vous avez dit que je n’ai pas proposé de texte. Bon, je vais être un des rares peut-être à ne pas proposer de texte. Pour quelle raison? C’est parce que, moi, il faut que je sache ce que notre législateur va faire du projet. Je veux dire, moi, mes objections sont assez importantes pour que, comme on dit, je ménage mes efforts puis que je ne prépare pas, mettons, des amendements sans savoir exactement qu’est-ce que le ministre ou le législateur veut faire à la suite, mettons, de la commission. Si le législateur nous dit ou le ministre nous dit: On s’en va dans telle direction maintenant, là c’est plus facile pour moi de proposer des textes. Comme on disait, j’ai travaillé avec Marie-José pendant bien des années. Même, des fois, on nous reprochait de trop travailler ensemble dans certains milieux. Mais, moi, je pense qu’il est possible d’arriver avec, disons, un projet de loi qui va être bonifié à ce sujet-là.

Le fonds d’aide, le fonds d’aide…

La Présidente (Mme Thériault): Il va vous rester deux minutes.

M. Reid (Hubert): Deux minutes? Bon. Sur le fonds d’aide, disons, moi, je suis un peu ambivalent. C’est que, si on va devant un fonds d’aide, moi, je pense qu’on ajoute des délais aussi.

Moi, je crois que ce serait préférable que ce soient les juges. Mais, comme je vous disais tout à l’heure, moi, la modification importante que j’apporterais à mes suggestions, c’est que ce soit mis dans les mains du juge en chef pour éviter que le juge soit pris avec des décisions. Les juges en chef, je pense qu’ils vont pouvoir faire ça assez rapidement. Parce que, si c’est le juge du procès, il peut en faire l’application, mais, moi, je vois des débats.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Mercier.

M. Turp: Alors, le temps est presque écoulé. Me Reid, je vous remercie beaucoup. Moi, je voudrais juste que, dans notre débat, là, qui va suivre, cette question du juge en chef soit évoquée, débattue entre nous. Il y est question d’ailleurs, dans 54.4, paragraphe 4°, de l’intervention du juge en chef, dans notre projet de loi.

Et je voudrais aussi, moi, revenir sur la question d’«office», là, l’intervention d’office, parce que j’ai remarqué que, dans le Code de procédure civile actuel, le juge peut intervenir d’office dans un certain nombre de choses analogues, là, quand on examine l’article 46(151.11). Alors, le faire intervenir d’office dans les circonstances, on voudrait le faire intervenir ici par le projet de loi n° 99, ça ne porte pas aussi atteinte à l’économie de notre Code de procédure civile que vous semblez l’évoquer. Bien, en tout cas, je voudrais qu’on en parle dans nos débats sur la suite des choses.

M. Reid (Hubert): Si vous me donnez juste 30 secondes, là…

La Présidente (Mme Thériault): 30 secondes, pas plus.

M. Reid (Hubert): …c’est que, moi, j’en ai contre le fait qu’il puisse intervenir, je veux dire, d’office quand il modifie des conclusions, quand il règle des conclusions, quand il touche au fond du litige. Quand c’est de la gestion, il n’y a aucun problème.

Puis, dernier point, si vous me donnez 15 secondes, je ne l’ai pas mis dans le mémoire puis, bon, j’ai décidé peut-être de vous en glisser un mot ce matin. Il y a peut-être une autre approche qui pourrait être faite, qui pourrait sembler peut-être aberrante pour certains. En matière d’outrage au tribunal, on peut condamner quelqu’un à une amende, l’emprisonnement puis l’amende. Est-ce que quelqu’un qui abuse de l’appareil judiciaire ne pourrait pas être condamné à une amende? Ce serait une autre pression pour éviter… Je pose la question. Ça peut peut-être… Mais on le fait en matière d’outrage, ça fait que… Mais je pose la question, je ne le suggère pas.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Reid. Donc, ceci met fin… avec l’échange.

Nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux parlementaires de vous saluer et de permettre aux Ami-e-s de la Terre de Québec de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 37)

(Reprise à 10 h 39)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! Donc, la commission poursuit ses travaux, et nous entendons maintenant Les Ami-e-s de la Terre, qui est représenté par M. Serge Mongeau et M. Erick Lafleur. Donc, la présentation sera faite par M. Mongeau. C’est ça?

Les Ami-e-s de la Terre de Québec (ATQ)

M. Mongeau (Serge): Oui, exactement.

La Présidente (Mme Thériault): D’accord. Vous connaissez nos règles, vous les avez vues: vous avez 15 minutes pour nous présenter votre mémoire, et par la suite il y aura des échanges avec les différentes formations politiques.

M. Mongeau (Serge): Bon, d’abord, je ne présente pas un mémoire puisqu’on n’en a pas déposé. Écoutez, en fait, je viens au nom des Ami-e-s de la Terre mais d’autres groupes aussi parce que nous avons été touchés par une poursuite, qu’on a considérée comme une poursuite-bâillon, dans l’affaire Rabaska, et il y a quatre groupes qui ont été impliqués finalement dans ce dossier-là: l’association de l’île d’Orléans contre le port méthanier, le GIRAM, Rabat-joie et Les Ami-e-s de la Terre. Et ce que je voudrais faire, c’est, dans un premier temps, vous rappeler un peu ce qui s’est passé, puis, dans un deuxième temps, en tirer les conclusions pour justement faire une loi qui pourrait empêcher ce genre de chose.

n(10 h 40)n

Ce qui s’est passé, bon, c’est sûr que c’est des choses… Je vous le rappelle rapidement. L’association contre le port méthanier, à un moment donné, dans sa lutte pour empêcher l’implantation du port méthanier, a adressé une lettre aux compagnies de croisière en leur posant la question: Est-ce que vous êtes au courant qu’actuellement il est question de construire un port méthanier à Québec et que ça va avoir une implication sur la circulation maritime? Parce que c’est prévu que, par exemple, quand un méthanier va passer, bien il y a d’autres bateaux qui ne pourront pas passer en même temps, etc., et donc c’est évident que ça dérangerait la circulation. Et là on leur posait tout simplement la question. Et, dès la réception de la lettre, il y a une compagnie qui a téléphoné au Port de Québec en disant: Mais qu’est-ce que c’est, cette affaire-là? On n’en a jamais entendu parler. C’est la première fois qu’on est informés que ça peut avoir des implications. Et là le Port de Québec a paniqué et a demandé une injonction pour nous empêcher de communiquer avec les croisiéristes et, plus que ça, de communiquer avec le public sur la question du port méthanier.

Bon, injonction interlocutoire qui a été demandée, et, écoutez, avec les implications que ça a pour un petit groupe comme le nôtre, ça veut dire… Ça nous arrive le vendredi, je pense. Il a fallu engager un avocat, qui a travaillé toute la fin de semaine, etc., et ça a passé assez rapidement, vu que c’est une injonction interlocutoire. On a gagné très facilement l’injonction parce que très clairement le juge a dit: Mais ça n’a pas de sens, là, c’est abusif, c’est… Comment qu’il a dit ça? En tout cas, il y a un terme, là, c’est une demande…

Une voix: …

M. Mongeau (Serge): Frivole. C’est ça. C’est frivole. Et donc, oui, on a gagné l’injonction, mais on a gagné en même temps aussi un compte d’avocat assez élevé quand même, bon, 8 000 $ pour le travail. Et, notre avocat, Les Ami-e-s de la Terre étaient impliqués là-dedans, mais il n’avait rien eu à faire, on ne l’avait pas consulté. C’était une initiative de l’association de l’île d’Orléans et c’est tout simplement qu’ils avaient ratissé large puis il avaient vu qu’on avait, sur notre site Internet, des liens avec les différents groupes, les autres groupes, et donc ils avaient tout mis les groupes en même temps pour vraiment clore la bouche des gens.

Ce qu’il faut quand même considérer, c’est que d’abord, sur les membres, parce qu’il y avait nommément des gens aussi qui étaient identifiés dans l’injonction, à ce moment-là, évidemment c’est énervant pour eux, et ça l’a été, et aussi, bien, les conséquences au plan financier. Et, moi, je voudrais insister sur le fait que, écoutez, ce n’est pas juste la capacité qu’il faut regarder des gens de payer. Oui, on l’a trouvé, l’argent, parce que bien il fallait réagir rapidement, et les gens ont sorti l’argent de leurs poches, des citoyens ordinaires qui ont sorti 1 000 $, 2 000 $ pour payer le compte d’avocat rapidement parce qu’il nous demandait de payer rapidement en disant: Je vais pouvoir le réclamer après et donc, si j’ai une facture à présenter… Donc, les 8 000 $, on les a sortis comme prêt, puis finalement, après ça, ça a dû être converti en dons.

Après ça, pour récupérer ces 8 000 $ là, bien on a engagé l’avocat, et il a commencé les procédures, et, à un moment donné, bien il était question d’avoir une entente hors cour avec les avocats du Port de Québec, mais, à un moment donné, le conseil d’administration du Port de Québec a dit: Non, on tient notre bout. Et là notre avocat nous a dit: Bien, ça va durer des années. Oui, on a des grosses chances de gagner, mais vous allez être obligés de payer mes frais pendant ce temps-là, et tout ça. Et donc on a abandonné. Ça veut dire que finalement on s’est retrouvés avec… Ça nous a coûté au total quelque chose comme 12 000 $, l’association de l’île d’Orléans, parce que c’était nous qui avions entrepris la démarche, et on n’a pas voulu mêler Les Ami-e-s de la Terre, puis le GIRAM, puis Rabat-joie dans ce compte-là, et, à ce moment-là, c’est les citoyens qui ont sorti ça de leurs poches.

Moi, je trouve que ça n’a pas de sens. C’est des citoyens qui travaillent pour l’intérêt collectif, qui mettent énormément de temps pour, à ce moment-là, défendre des dossiers auxquels ils croient et qui représentent des intérêts d’une partie de la population, en tout cas, donc qui mettent de l’argent, qui sont stressés. Il y a des gens sur qui ça peut avoir de l’influence sur la santé. Moi, je pense qu’il faudrait, à ce moment-là, pour ces groupes-là, si on veut vraiment parler de liberté d’expression, leur accorder une protection maximale, et mes remarques vont dans ce sens-là. Évidemment, à ce moment-là, bien, on n’a pas préparé, nous, un texte de loi qui remplacerait… mais je pense qu’on peut vous dire un certain nombre de choses.

Bien, d’abord, écoutez, on reconnaît que… Bravo qu’il y ait un projet de loi comme celui-là puis bravo qu’on intervienne, puis c’est grandement temps parce qu’il y en a beaucoup plus que ce qu’on pense, des poursuites-bâillons, mais il y en a beaucoup qui ne deviennent jamais publiques parce que les gens justement, à ce moment-là, n’ont pas les moyens d’atteindre le public et de dire qu’est-ce qui se passe ou les gens sont vraiment bâillonnés et, à ce moment-là, bien, ont peur, une fois qu’on les a menacés, ont peur que ça aille encore plus loin. Et on voit qu’il y a des compagnies qui vont beaucoup plus loin puis qui harcèlent les gens. Vous avez reçu des gens de Cantley, je pense, ou quelque chose comme ça, et, à un moment donné, on voit bien comment ça peut aller loin.

Bon, moi, je prends le projet de loi, là. Si on prend le 54.4, O.K., dans le 54.4.1°: «Assujettir la poursuite de la demande en justice [...] à certaines conditions.» Bien, moi, je pense qu’il devrait y avoir, comme ça se fait, je pense, en Californie, une déclaration assermentée des gens qui entreprennent un tel type de poursuite, une déclaration assermentée comme quoi ce n’est pas une poursuite-bâillon. Et, à ce moment-là, si c’est prouvé qu’effectivement il y avait de la mauvaise foi de ce côté-là et si ça s’avère une poursuite-bâillon, bien la personne qui a signé, à ce moment-là, un engagement comme quoi ça ne l’est pas, bien elle pourrait être poursuivie pour parjure ou je ne sais pas quoi, là.

Ensuite, dans le 54.4, on dit que, s’il l’estime approprié, le juge peut «recommander au juge en chef d’ordonner une gestion particulière de l’instance». Bien, moi, je pense que la gestion particulière, c’est la rapidité. O.K.? C’est très important qu’on règle, à ce moment-là, ça le plus rapidement possible, un peu comme une injonction interlocutoire. Quand une compagnie demande une injonction interlocutoire, ça veut dire que ça passe très vite. Or, pourquoi on ne fait pas la même chose avec ça? Parce que ça a des conséquences sur les citoyens qui la vivent. Moi, je l’ai vécu avec cette chose-là à l’île d’Orléans, mais, je ne sais pas si vous le savez, je suis aussi aux Éditions Écosociété et je vois que l’autre aussi a beaucoup de conséquences. Je pense qu’ils vont le défendre, eux autres, puis ils vont vous les expliquer, ces conséquences.

Dans le point 5° du 54.4.5°, moi, je pense qu’il faudrait que l’aide soit automatique et non seulement si on établit que les gens sont en difficultés économiques, hein? On voit, là, que, dans la plupart des dossiers, c’est finalement des gens qui défendent des causes environnementales. C’est dans ce domaine-là que ça arrive. Donc, c’est des gens qui travaillent pour le bien public, puis, à ce moment-là, on n’a pas à leur demander… Même s’ils ont un bon compte en banque, bien ils l’ont fait pour le public, puis, à ce moment-là, même s’ils étaient capables, il me semble qu’à ce moment-là on ne doit pas les pénaliser.

Le fonds d’aide, moi, je pense que, oui, il devrait y avoir un fonds d’aide, et le fonds d’aide, il me semble, pourrait aller plus loin que tout simplement fournir de l’argent. Il pourrait aussi avoir du personnel qui est spécialisé et dire aux groupes comment on peut se défendre, peut-être même avoir des avocats qui conseillent au début comment s’organiser ou tout au moins avoir identifié les avocats dans notre société qui connaissent ce genre de causes et être capable d’orienter les gens, parce que, écoutez, on se retrouve en situation d’urgence. Il nous arrive, je vous l’ai dit, une injonction dans quelque chose. Qu’est-ce qu’on fait avec ça? Et donc, si on avait… Et un citoyen ordinaire ou un petit organisme comme les nôtres se trouve totalement dépourvu.

Ensuite, bien, ce fonds d’aide là, moi, je dis, il pourrait, à ce moment-là, être administré ou par l’aide juridique ou de préférence… Pourquoi ne pas confier ça au Protecteur du citoyen? Moi, je trouve qu’à ce moment-là ce serait une instance intéressante.

n(10 h 50)n

Si on prend le 54.5, où on dit que «le tribunal peut», moi, je dis: Non, le tribunal doit. O.K.? Mais évidemment, là, vous allez le formuler différemment parce que les juges ne doivent pas aimer ça se faire dire qu’ils doivent faire telle chose. Mais il me semble que ce serait… Quand il y a caractère abusif assez évident, à ce moment-là, ça devrait être obligatoire.

Puis aussi, O.K., ça devrait être obligatoire de payer les dépenses et les dommages-intérêts de la partie qui poursuit, puis il devrait y avoir, dans chaque cas… Parce que, là, on parle en même temps d’un instrument qui va dissuader d’utiliser des procédures comme celles-là. Donc, ça devrait être entendu que, quelqu’un qui chaque fois entreprend une poursuite et que ça va être prouvé qu’il va perdre, donc que c’était, à ce moment-là, abusif, bien il devrait y avoir automatiquement des dommages punitifs qui, eux, reviennent au fonds d’aide.

Puis, moi, j’irais encore plus loin puis je dirais: Écoutez, là, les frais de la poursuite, qui sont actuellement… Les compagnies, pour eux autres c’est déductible d’impôt, hein, ça fait partie… Bien, ça ne devrait pas être déductible d’impôt quand, à ce moment-là, c’est prouvé que c’était quelque chose d’abusif.

Dans le 54.6, O.K., on dit que l’administrateur peut être condamné personnellement au paiement des dommages-intérêts. Oui, je pense que les administrateurs devraient être rendus responsables mais pas être condamnés à payer des dommages-intérêts, c’est leur compagnie qui va payer ça. Quand c’est évident et quand ils sont condamnés, qu’ils sont déboutés parce que c’était vraiment abusif, bien je pense que ça pourrait aller jusqu’à la prison, comme on commence à le faire du côté financier.

Deux minutes? O.K.

Ça, c’était sur les articles de loi, puis j’aurais quelques ajouts finalement à faire. Je pense que c’est important qu’on inclue les causes pendantes dans le projet de loi et puis que ce soit spécifié que les causes pendantes vont être incluses là-dedans. La deuxième chose, c’est concernant les ententes hors cour. Moi, je trouve que les ententes hors cour devraient être déposées au fonds d’aide justement et être examinées par les gens du fonds d’aide parce qu’une entente hors cour, c’est très souvent un bâillon une fois encore parce que, là, vous n’avez plus le droit de parler, puis tout ça. Oui, on dit que les gens auraient le droit quand même, mais, moi, je dis qu’elles devraient être déposées, il devrait y avoir un examen qui est fait et… dire: Mais, écoutez, ça n’a pas de sens, cette entente hors cour, il y a une partie qui s’est vraiment fait avoir, et, à ce moment-là, bien, dire: Non, on ne peut pas régler ça de cette façon parce qu’on limite la liberté d’expression.

La troisième chose, c’est qu’une mise en demeure par un avocat devrait être considérée aussi comme une poursuite-bâillon, hein? Parce qu’actuellement on voit très souvent des mises en demeure disant: Si vous faites telle chose, vous allez être poursuivi, mais là ça, ça ne va pas devant le tribunal, c’est juste une lettre d’avocat, mais c’est finalement un bâillon qui est déjà posé vis-à-vis des gens.

Puis finalement, bien, je demanderais à chacun des partis de s’engager que, même s’il y a des élections qui sont déclenchées assez rapidement au Québec, on ne fasse pas mourir le projet de loi. C’est important que ce projet-là passe et qu’à ce moment-là on puisse avoir une protection des gens, hein? J’ai respecté mon temps?

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Vous avez respecté votre temps, M. Mongeau. Merci. Donc, sans plus tarder, on va aller du côté du député de Robert-Baldwin. M. le député, la parole est à vous.

M. Marsan: Oui. Merci, Mme la Présidente. Je vous salue d’abord, je veux également saluer le ministre, les gens qui l’accompagnent, les collègues des deux partis d’opposition.

Je voudrais en profiter pour vous remercier. Je pense que ce n’est pas la première fois que vous venez nous rencontrer. Je me souviens de vous avoir rencontré, je pense, dans d’autres commissions préalables à celle-ci. Je dois vous dire cependant que, compte tenu de certains dossiers et aussi de notre règlement, nous devons avoir une certaine prudence lorsqu’on fait un questionnement, et ça s’adresse non seulement aux députés, mais également au ministre, ce qui ne veut pas dire, puis je tiens à le spécifier, que ce que vous nous dites, là, n’est pas bien entendu. Alors, nous sommes très intéressés à vous écouter. Mais quand même je pense qu’une certaine prudence est commandée, et, dans ce contexte-là, on ne procédera pas au questionnement habituel. Mais nous voulons vous remercier bien sincèrement de la présentation que vous nous avez faite. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, je comprends que nous allons aller du côté de l’opposition officielle avec le député de Saint-Hyacinthe. La parole est à vous, M. le député.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Au sujet… En fait, vous avez… Alors, bonjour, M. Mongeau et M. Lafleur. Vous êtes bien présents. Alors, ça fait plaisir de vous accueillir ce matin, et en fait j’imagine que vous avez parcouru le rapport Macdonald dans son ensemble. Dans le rapport Macdonald, il y avait un point, en fait il y avait en fait trois volets de solution. Est-ce qu’il y en avait un, volet qui vous plaisait davantage que le projet de loi qu’on a présentement devant nous?

M. Mongeau (Serge): Bien, écoutez, je ne me souviens pas, là, de tous les détails. Pour moi, le moyen de parvenir… Je vous l’ai dit, je ne suis pas juriste, puis le moyen de parvenir à une protection m’importe peu. C’est le résultat qui importe, et, à ce moment-là, je pense qu’il s’agit pour vous autres, là, qui êtes législateurs de choisir le moyen auquel on va vraiment arriver à donner le maximum de protection. Alors, je ne le sais pas, laquelle voie. Est-ce que c’est mieux de faire une loi nouvelle ou d’amender les lois telles quelles? Peut-être que le fait de faire une loi nouvelle, à ce moment-là, ce serait effectivement un moyen d’affirmer vraiment qu’au Québec nous n’acceptons pas ce genre de procédure parce qu’au Québec on tient à ce que les gens puissent s’exprimer et que les discussions se fassent sur la place publique. Moi, je pense que ce serait peut-être un message plus clair qui serait envoyé à la population.

Mais finalement, que vous choisissiez de modifier les lois actuelles, en autant que le résultat soit le même au bout, c’est-à-dire que les gens et que les petits organismes comme les nôtres soient protégés… Il me semble qu’on travaille, et on a l’impression… et pas on a l’impression, la certitude de travailler pour le bien public, et, à ce moment-là, il faudrait que ces gens-là qui s’engagent dans notre société et qui sont de moins en moins nombreux malheureusement à le faire… On a de la difficulté à recruter souvent, etc. Bien, je pense que ça doit être reconnu, et, à ce moment-là, ces gens-là ne devraient pas être pénalisés pour ce qu’ils font pour notre société.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Oui. Merci, Mme la Présidente. Un des points que vous avez soulevés, il s’agit de la rapidité, rapidité à obtenir des services d’avocat, rapidité aussi afin que le dossier puisse être traité avec la plus grande célérité, et rapidité aussi…

L’expérience que vous avez vécue, quelle a été la rapidité avec laquelle ça s’est déroulé? Parce que vous avez quand même parlé d’une injonction, une requête interlocutoire. Et avec quelle rapidité? Est-ce qu’on peut parler de un mois, deux mois, trois mois?

M. Mongeau (Serge): Écoutez, dans notre cas à nous autres, ça s’est quand même réglé très vite parce qu’une injonction interlocutoire, là, je pense qu’il fallait passer dans les cinq, six jours après qu’on avait reçu ça, parce que, eux, ils demandaient finalement qu’on cesse toute intervention, et il fallait, à ce moment-là, que la cour se prononce assez rapidement. Alors, il aurait pu, à ce moment-là, y avoir une injonction temporaire, puis là, après ça, oui, on aurait… Mais, avec l’injonction temporaire, bien on était paralysés, on ne pouvait pas intervenir pendant un bout de temps.

Alors, dans ce cas-là, ça s’est fait vite. Mais, si je compare avec une autre chose, comme ce qui se passe avec les Éditions Écosociété, où, là, ce n’est pas une injonction interlocutoire qu’on demande, bien là, écoutez, ça va traîner, et on voit, là, que ça a des implications sur le fonctionnement de l’organisme quotidiennement parce que le harcèlement, il continue. Ils posent tellement de questions! Ils exigent de rencontrer l’auteur, les dirigeants de l’organisme, etc. Et donc, oui, plus ça va traîner, bien plus c’est sûr qu’il va y avoir épuisement puis plus aussi il va y avoir de frais pour l’organisme.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

n(11 heures)n

M. L’Écuyer: Oui. M. Mongeau, vous avez parlé, à un moment donné, aussi de l’aide automatique, là. Ça, je dois dire que j’ai de la difficulté un peu. Lorsque vous parlez de l’aide automatique, c’est drôle, ça sonne des sous dans ma tête, puis j’ai de la difficulté à vous suivre sur ça.

Simplement en fait me le préciser davantage. L’aide automatique, aussitôt qu’il y aurait comme une couleur, même pas, si minime soit-elle, cette couleur-là de droit, woups! l’aide automatique arriverait un peu comme un parachute, un parachute doré. Est-ce que c’est ça? Pouvez-vous m’exprimer un peu plus ou m’expliquer davantage en quoi que ça consiste, votre aide automatique?

M. Mongeau (Serge): Bien, pour moi c’est que ça ne suit pas une enquête sur la capacité financière de l’organisme poursuivi ou de la personne poursuivie, mais il devrait y avoir… S’ils font demande et s’ils disent, à ce moment-là: Écoutez, on aurait besoin d’aide, qu’on leur accorde l’aide. Si effectivement il est prouvé qu’il était de mauvaise foi et que ceux qui poursuivent avaient raison, bien peut-être que, oui, l’argent qui a été avancé pour la défense, il pourrait être exigé qu’il soit retourné. Donc, ce n’est pas, à ce moment-là: n’importe qui pourrait, à ce moment-là, dépenser, d’après moi. Mais, au moment où les choses se passent, bien, oui, ils vont être assurés d’avoir une bonne défense. Et, si effectivement, bien, ils avaient fait quelque chose qui était carrément abusif, bon, bien, là, à ce moment-là, bien, oui, ils le remettront après. Est-ce que c’est clair?

M. L’Écuyer: Ce qui veut dire que…

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: Oui. Merci, Mme la Présidente. Ce qui veut dire, M. Mongeau, que vous aimeriez que le tribunal se prononce sur… Est-ce que c’est le tribunal qui devrait se prononcer immédiatement sur l’aide automatique?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Bien, écoutez, non, pas nécessairement. Quelqu’un qui reçoit une assignation, mettons, à passer devant le tribunal pourrait s’accorder… Justement, s’il y avait un fonds d’aide qui est identifié comme tel, oui, on s’adresse là, puis ce serait le personnel qui dirait: Bien oui, on s’en va vers quelque chose comme ça, et qui pourrait le faire, mais pas nécessairement de passer devant un juge, d’après moi.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Vous avez, à un moment donné, indiqué que vous faisiez intervenir le Protecteur du citoyen dans l’administration justement du fonds d’aide. Est-ce que j’ai bien compris? C’est le Protecteur du citoyen, selon en fait votre réflexion, qui interviendrait et qui pourrait décider si effectivement il va accorder ou pas des fonds nécessaires à un organisme ou un individu qui fait face éventuellement à une poursuite qu’il qualifie lui-même? À ce moment-là, c’est lui qui va devoir faire l’application de la définition de ce qu’on définit comme…. en fait appliquer la définition qu’on a intégrée dans le Code de procédure civile. Alors, est-ce que c’est bien votre propos que je résume ainsi?

Le Président (M. Marsan): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Bien, écoutez, à partir du moment où il y a un fonds d’aide, il y a quelqu’un qu’il faut qu’il décide si ça s’applique ou non. Et, moi, je dis qu’à ce moment-là, si on confie ça à un organisme qui développe une expertise, il va développer les mécanismes pour être en mesure de prendre les moyens. Bien, il me semble que ça pourrait fonctionner, et je ne vois pas pourquoi… Je l’ai dit, ça pourrait être le fonds d’aide juridique, l’aide juridique, ou, moi, de préférence, il me semble que le Protecteur du citoyen, ça va beaucoup plus dans le sens de son mandat, là. Il protège les citoyens contre justement des abus et contre des poursuites-bâillons.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Merci, M. le Président. Est-ce que vous avez entendu l’intervenant qui vous a précédés? Il parlait du juge en chef de la Cour supérieure. En fait, on sait que, dans les procédures, souvent, dans les districts, je dois vous dire que, dans certains cas, lorsqu’il y a des quérulents, c’est-à-dire des personnes qui poursuivent régulièrement à peu près tout citoyen, certains juges peuvent émettre des ordonnances en disant: Avant d’émettre telle ou telle procédure, vous allez venir me rencontrer, et on fait une évaluation en fait de la procédure ensemble pour savoir si effectivement elle est abusive ou pas dès le départ. Est-ce que vous pensez que c’est le juge… Donc, le juge en chef de la Cour supérieure ne pourrait pas faire ce genre… ou les juges adjoints dans chacun des districts judiciaires?

M. Mongeau (Serge): Écoutez…

Le Président (M. Marsan): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Pardon. Écoutez, je ne connais pas, là, tous les mécanismes juridiques puis, à ce moment-là, comment on se divise la tâche. Pour moi, et je l’ai dit, ce qui empêcherait… peut-être ce serait d’exiger, dans des cas comme ceux-là, d’avoir une déclaration assermentée de celui qui entreprend quelque chose, qui dit: Moi, je dis que ce n’est pas une poursuite abusive très clairement. Ce n’est pas, à ce moment-là, pour du harcèlement ou je ne sais pas quoi que je le fais. Et, s’il y avait un document assermenté qui est déposé en même temps que sa poursuite, bien je trouve que ça empêcherait beaucoup ces poursuites-là.

Est-ce que ça doit être au juge en chef ou à un autre juge? Je ne peux pas vous répondre là-dessus.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Oui, M. le Président. En fait, lorsque je vous ai entendu parler au sujet de votre affidavit, dès le départ ça veut dire que vous exigeriez que toute procédure civile, au Québec, soit déposée avec un affidavit, un peu comme dans le cadre d’une requête en injonction, en disant: Voici, je fais… C’est ce que j’ai compris quand vous vous êtes inspiré de la loi californienne, qu’effectivement vous aimeriez que toute procédure déposée devant un tribunal puisse être accompagnée ou liée à un affidavit qui précise: Je soussigné, exemple… signé par le président de la compagnie ou signé par l’individu qui poursuit. Est-ce que j’ai bien compris votre démarche?

Le Président (M. Marsan): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Non. Écoutez, il me semble que prima facie il y a des… Je regarde, là, celle de Barrick Gold. Quand on poursuit une maison d’édition pour 6 millions, c’est évident, à ce moment-là, qu’ils n’ont pas subi des dommages de 6 millions, c’est évident, à ce moment-là, puis après la mise en demeure qu’ils ont faite en menaçant les gens de poursuite très coûteuse s’ils continuent à publier, s’ils publient le livre. Il y a des cas où c’est très clair. O.K.?

Et, moi, je ne dis pas que, toutes les procédures civiles, il devrait y avoir un tel affidavit mais dans des cas comme ceux-là. Puis il y en a quand même plusieurs où c’est tellement évident. Celle qu’on a, l’injonction du Port de Québec, c’était très clair qu’on veut nous empêcher, à ce moment-là, de parler d’une question qui touche la population. Comment peut-on dire: Vous n’avez pas le droit de penser que peut-être que ça va nuire à la circulation? Écoutez, là, c’est tellement clair, à ce moment-là! Donc, dans des cas comme ceux-là… Évidemment, là, il peut y avoir des litiges, à des moments donnés, où ce n’est pas clair, puis là, bien, on n’exige pas ça, mais, dans des cas comme ceux-là, oui, il me semble.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Saint-Hyacinthe, il vous reste 2 min 30 s.

M. L’Écuyer: Merci, j’ai terminé. Merci, M. Mongeau.

Le Président (M. Marsan): Alors, je vais maintenant laisser la parole au député de Mercier.

M. Turp: En faisant ça, je perds la compagnie de notre présidente, hein, qui est très agréable, par ailleurs. J’aime ça la voir de ce côté-ci de l’Assemblée, avec nous, là.

Une voix: C’est temporaire.

M. Turp: Ha, ha, ha! Alors, merci beaucoup pour votre présence devant la commission, de ce témoignage.

Moi, ma première question, vous avez vu que les représentants du parti ministériel ont évoqué le fait qu’il y a encore des instances devant les tribunaux pour avoir une certaine retenue. On n’a pas tout à fait la même retenue du côté de l’opposition, puis une des choses que j’aimerais vous demander, justement c’est de nous informer ? je pense que ça, c’est dans l’ordre des choses ? où sont les procédures judiciaires, parce que ça nous permettrait d’indiquer qu’est-ce qui est arrivé après l’injonction. Souvent, on parle des poursuites-bâillons au pluriel, parce qu’il n’y a pas juste une affaire, une procédure, il y en a plusieurs, puis il y en a de multiples. Alors, dans le cas qui nous intéresse, après cette injonction, est-ce qu’il y a eu d’autres poursuites? Combien de poursuites? Est-ce qu’elles sont donc encore en cours? Et, dans l’état actuel des choses, quel est votre rapport et le rapport de vos organisations avec ces poursuites?

Vous nous avez parlé de l’impact qu’a eu la première poursuite sur vos vies personnelles, vos vies associatives, les finances des Ami-e-s de la Terre et de ses partenaires. Alors, pourriez-vous nous décrire la suite des choses? C’est ma première question. J’en aurai une autre tout à l’heure.

Le Président (M. Marsan): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Bien, écoutez, dans notre cas, l’injonction a été rejetée très rapidement, et c’était fini, finalement. O.K.? Bon.

n(11 h 10)n

La poursuite, ce qui a fait qu’on a eu des frais, d’autres frais, c’est que c’était tellement clair qu’il y avait de l’abus au niveau des trois organismes qui n’avaient pas participé du tout à l’envoi de cette lettre-là et donc qui étaient poursuivis, eux aussi, conjointement. Bon. Donc, on s’était entendus pour partager les frais au début, vu qu’on était quatre poursuivis. Et donc, à ce moment-là, là notre avocat a dit: On peut récupérer ces frais-là parce que c’était, à ce moment-là, nettement abusif d’inclure Les Ami-e-s de la Terre, d’inclure Rabat-joie à une action dont ils n’étaient absolument pas au courant, qui avait été entreprise par les gens de l’île.

Là, on a eu un peu de frais pour essayer de récupérer ça, et, comme je vous ai dit, ça a bloqué au niveau du règlement hors cour. Et là notre avocat nous dit: Bon, écoutez, on peut continuer puis on a toutes les chances de gagner, mais ça va durer deux ans, un an, deux ans, trois ans. Le Port de Québec a quand même ses avocats puis assez d’argent pour pouvoir aller en appel, et donc ça va traîner, ça va traîner. Et, quand on a vu que ça pouvait, à ce moment-là, avoir des implications à très long terme, bien on a décidé tout simplement d’abandonner. Mais on restait avec un compte encore de 3 000 $, 4 000 $ de notre avocat qu’on a dû payer en plus du 8 000 $ qui avait déjà été payé, donc… Par exemple, l’association de l’île d’Orléans doit encore 2 000 $ sur ce compte-là.

M. Turp: Est-ce que je comprends qu’il n’y a pas de poursuite en cours? C’est terminé?

M. Mongeau (Serge): Non, c’est terminé. Écoutez, l’injonction, c’était tellement clair que ça n’avait pas de sens et dans l’opinion publique et aux yeux du juge qu’il a rejeté tout de suite l’injonction, puis ça a fini là, dans ce cas-là.

M. Turp: Bien, je comprends un petit peu moins la réserve et la retenue de mes collègues, là, s’il n’y a pas de poursuite en cours.

Une voix: Le dossier n’est pas terminé.

M. Turp: Le dossier n’est pas terminé? Donc, ça veut dire quoi exactement? C’est qu’il n’y a pas de désistement? Est-ce que c’est ça? Est-ce qu’on le sait? Non? Vous ne voulez pas me l’indiquer?

En tout cas, regardez, moi, c’était important pour moi de savoir qu’en fait la conséquence de ladite poursuite-bâillon ou en tout cas de l’injonction, ça a été que vous avez envisagé de prendre des procédures, mais l’avocat vous a dit finalement: Si vous prenez des procédures, ça va vous coûter beaucoup d’argent. Donc, l’acte d’origine a des conséquences qui sont néfastes même quand on veut, tu sais, faire des procédures pour récupérer de l’argent qu’on a dépensé à la lumière d’une poursuite.

M. Mongeau (Serge): C’est ça. Puis on a l’exemple, écoutez, des citoyens de Lévis qui ont poursuivi, hein? Il y a 90 citoyens de Lévis qui ont poursuivi la ville de Lévis en disant: Il y a un règlement que vous ne respectez pas. Ils sont allés en cour, puis, à un moment donné, eux aussi, c’est un peu la même chose qui s’est passée. Et là ça traînait, ça traînait, puis le compte montait, et là, à un moment donné, bien, ils ont décidé de retirer… C’est eux qui poursuivaient, à ce moment-là, la ville de Lévis, et là ils ont décidé de retirer leurs choses parce qu’ils s’étaient embarqués dans un processus qui leur coûterait tellement cher à long terme.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Mercier.

M. Turp: Alors, M. Mongeau a évoqué la question du règlement hors cour. Je ne crois pas que… Vous venez de l’évoquer à nouveau en parlant de ce groupe, là, qui a accepté un règlement hors cour. Je crois que vous n’avez pas été associé…

M. Mongeau (Serge): Je n’étais pas un de ceux qui avaient…

M. Turp: Vous n’étiez pas de ceux… Alors, cette question-là n’est pas traitée dans le projet de loi. Vous nous l’avez fait remarquer, d’autres nous le font remarquer. Il y en a qui nous demandent de le traiter dans le projet de loi. J’aimerais bien savoir quelle est la position du ministre et peut-être la réflexion qu’il a entreprise sur cette question du règlement hors cour. Moi, j’aimerais, M. le ministre, à travers… Bien, à travers une question, je vous demande quelque chose, mais… Parfois, vous aimez nous répondre, mais pas cette fois-ci, si j’ai bien compris. Alors, pourquoi les règlements hors cour vous préoccupent comme groupe?

M. Mongeau (Serge): Bien, parce que justement il y a un déséquilibre, dans les parties en présence, très clairement et qu’une partie qui a des fonds illimités ou pratiquement peut, à ce moment-là, dire aux gens: Si vous n’acceptez pas le règlement hors cour, on va continuer, on va continuer, et pour vous ça va être du temps puis ça va être de l’argent qui va être impliqué. Et donc cette partie-là qui arrive, beaucoup plus puissante que l’autre, est capable d’arriver à un règlement qui est beaucoup plus avantageux pour elle, et les gens sont bâillonnés finalement, ne peuvent pas dire: Bien, on a été traités de façon injuste, parce qu’une partie du règlement hors cour, c’est presque toujours qu’on n’a pas le droit d’en parler, on n’a pas le droit de dire à quelles conditions on a réglé. Mais, nous, on le sait que, la plupart du temps, une des conditions, c’est…

Les 90 citoyens de Lévis, la condition, c’était qu’ils cessent, par exemple, de parler du projet Rabaska. Donc, on venait de bâillonner 90 personnes dans ce règlement-là en faisant ça. Ça fait que c’est pour ça que, moi, je dis: Les règlements hors cour, même si ça se fait actuellement dans le secret, bien, dans le cas, là, dans les cas qui nous concernent, ils devraient être déposés quand même au fonds, qui, lui, ne les rend pas nécessairement publics mais qui aurait des juristes qui regarderaient ça. Ils disent: Mais ça n’a pas de sens, il y a une partie qui a accepté quelque chose qui est absolument inacceptable. Et donc on pourrait revenir contre l’organisme qui a imposé un tel règlement, à ce moment-là, puis dire: Non, vous avez abusé une fois encore de votre pouvoir.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. Turp: Est-ce qu’il… Combien il reste de temps?

La Présidente (Mme Thériault): Il vous reste quatre minutes.

M. Turp: D’accord. Peut-être juste… Vous avez évoqué la question des causes pendantes. Je ne sais pas si vous avez entendu nos débats de la semaine dernière, mais il y a eu une ouverture à l’idée d’inclure dans le projet de loi une disposition qui serait plus explicite sur le fait que ce projet s’appliquerait aux causes pendantes. Sur cette question-là, est-ce que vous avez des suggestions ou des vues additionnelles à exprimer, sur les raisons pour lesquelles on devrait être plus explicite dans le projet de loi?

La Présidente (Mme Thériault): M. Mongeau.

M. Mongeau (Serge): Bien, écoutez, bon, pour nous, on ne considère pas que notre cause Rabaska est pendante parce que c’est réglé, là. Mais on pense qu’effectivement… Puis on est au courant de beaucoup d’autres qui continuent à être… Et on sait aussi que, dans les derniers mois, au moment où on a commencé à parler de faire, à ce moment-là, une telle loi, bien il semble qu’il y a un certain nombre d’organismes qui se sont dépêchés à déposer finalement des poursuites. Il y en a peut-être eu un peu plus finalement parce que les gens justement se disaient: Bien, si on ne veut pas être pris avec ce projet de loi là…

Mais, moi, je n’ai pas rien de spécial, sinon de dire: Bien, écoutez, c’est important parce que ceux qui sont aux prises… Et il y en a qui le sont depuis longtemps, puis ça fait longtemps qu’une telle loi aurait dû être passée. Bien, moi, je pense que, si on trouve que c’est abusif qu’il y ait des poursuites-bâillons, bien ça l’est pour les causes qui sont déjà là, et, à ce moment-là, on devrait s’organiser pour les aider à s’en sortir.

M. Turp: Merci beaucoup. J’ai terminé.

La Présidente (Mme Thériault): Ça va? Merci. Nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux membres de la commission de vous saluer.

Je tiens à préciser aux parlementaires que nous attendons la CSN, qui a été retardée quelque peu. Donc, nous allons suspendre nos travaux. Nous devrions reprendre entre 11 h 30 et 11 h 45. Je vais vous demander de ne pas trop vous éloigner, s’il vous plaît. On va laisser la chance à la CSN d’arriver. Merci. Nous suspendons.

(Suspension de la séance à 11 h 19)

(Reprise à 11 h 43)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! Donc, la Commission des institutions poursuit ses travaux, et je vais souhaiter la bienvenue à la Confédération des syndicats nationaux en la présence de son vice-président, M. Louis Roy, qui allez nous présenter les gens qui vous accompagnent. Vous êtes un habitué de nos commissions, M. Roy. Donc, la parole est à vous.

Confédération des syndicats nationaux (CSN)

M. Roy (Louis): Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, à ma gauche, vous avez Me Anne Pineau, de notre Service juridique, et, à ma droite, M. François Lamoureux, qui est coordonnateur de notre Service juridique à la CSN. Alors, merci beaucoup de m’avoir attendu, le délai étant causé par Air Canada.

D’abord, nous voudrions souligner…

M. Dupuis: C’est encore la faute du fédéral.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Roy (Louis): C’était un déséquilibre en termes… Ce n’était pas fiscal, cette fois-là, c’était en termes de brouillard.

On voudrait d’abord féliciter le ministre d’avoir osé, c’est le cas de le dire, déposer un projet de loi qui fait en sorte de rétablir, d’une certaine manière, l’équilibre que nous considérions comme rompu entre les compagnies, les plus grosses compagnies et des individus ou des groupes qui oeuvrent pour le bien commun. Je pense que c’est une excellente nouvelle d’avoir voulu concrétiser rapidement le rapport qui lui a été remis, si ma mémoire est bonne, il y a un petit peu plus d’un an.

Ceci dit, évidemment nous avons quelques commentaires pour tenter, avec toute la commission, de rendre cette volonté plus concrète et nous avons quand même des commentaires qui nous apparaissent plus constructifs et non pas des commentaires de critique, et c’est sur cette lancée-là que nous voudrions apporter notre point de vue.

D’abord, juste pour dire que la nécessité de cette loi-là, bien qu’elle était reconnue par nombre d’intervenants, elle nous apparaît encore plus évidente à la sortie de la crise financière que nous vivons un peu partout dans le monde parce que nous considérons que ce qu’on a vécu en termes de crise financière est le résultat d’une crise, et d’une lutte idéologique, qui est celle de dire que l’État n’a pas à intervenir dans les choses qui sont celles du commerce, ou de l’industrie, ou des compagnies alors que le marché, lui, sait se réguler de lui-même et que les compagnies vont s’autodiscipliner dans tous les domaines.

Ce que certains appellent le néolibéralisme nous apparaissait et nous apparaît encore quelque chose qu’il faut dénoncer, et la loi que vous avez présentée nous apparaît un pas dans la bonne direction parce que d’après nous il faut mettre dans la balance le devoir citoyen, le devoir démocratique. On pourrait même dire le devoir des salariés qui travaillent dans des compagnies, des compagnies où ils voient peut-être des choses qui ne semblent pas justes, correctes et peut-être même légales, ce qu’on appelle les «whistleblowers», des gens qui viennent dénoncer leur propre employeur sur des faits qui sont pour eux douteux et des gens qui, vivant dans la société, trouvent que certaines compagnies exagèrent, que ce soit en termes de pollution, en termes de n’importe quoi.

Mais il y a là un espace démocratique que la loi devrait et devra protéger, et c’est dans ce sens-là que nous appuyons évidemment l’adoption d’une telle loi, parce que, si les citoyens et les employés ont des devoirs de protection, des devoirs de dénoncer ces situations-là, l’État, lui, doit avoir la possibilité et le devoir de protéger ces gens-là, de faire en sorte de protéger l’espace commun, l’espace public, et c’est pour faire ça qu’une loi anti-SLAPP, comme on l’appelle, est nécessaire, parce que les citoyens aussi ne sont pas l’égal, en termes d’égalité, des grandes compagnies.

Par exemple, on pourrait dire que les grandes compagnies survivent toujours beaucoup mieux à ces dénonciations souvent que les gens qui les dénoncent. Et, si certains viendront vous dire aujourd’hui que les grandes compagnies ont besoin d’espace et qu’elles doivent protéger leur réputation, il faut quand même dire que, malgré certains événements, de très grandes compagnies continuent à survivre. Un exemple simple: Union Carbide, qui a tué plus de 5 000 personnes à Bhopâl, en Inde, il y a presque 25 ans maintenant, n’a pas fait faillite à cause de ça. On pourrait dire Monsanto, qui est une multinationale qui se fait dénoncer presque à toutes les semaines sur des questions de copyright de semences, que ce soit sur des engrais qui auraient éventuellement pollué la planète, etc. Cette compagnie-là est en plein développement, et ce n’est pas ça qui la prive de ses droits commerciaux, d’avoir des gens qui la dénoncent.

Par ailleurs, ces gens-là qui dénoncent, quand ils sont victimes de poursuites, eux, tout est remis en question: leur avenir financier, leur capacité d’intervenir sur la place publique. Quand ce sont des individus, c’est peut-être pire, mais, quand ce sont des petites compagnies ou encore des organismes à but non lucratif qui oeuvrent pour, par exemple, protéger l’environnement, comme on l’a vu dans le cas de l’AQLPA, ou encore qui oeuvrent pour faire ressortir un point de vue différent de celui des compagnies, comme on le voit dans le cas d’Écosociété, eh bien, ces gens-là, quand ils sont poursuivis, tout est remis en question dans leur vie, parfois dans leur vie personnelle mais souvent aussi dans leur vie associative et dans leur participation à la démocratie, et c’est pour ça que la loi doit être la plus claire possible. Et, nous, on pense que la loi doit véritablement être une loi anti-poursuite-bâillon clairement identifiée pour éviter que les juges confondent parfois des notions de réputation versus des notions d’espace public où tous, autant les députés que vous êtes que les individus citoyens que nous sommes, pouvons intervenir sans crainte de voir notre avenir financier complètement remis en question.

n(11 h 50)n

Alors, dans ce cadre-là, nous, on pense qu’à la fois la liberté d’expression des individus, des groupes et des salariés aussi dans certains cas doit être protégée précisément par une loi clairement identifiée à cet effet. Donc, nous pensons qu’il doit y avoir une section particulière du Code de procédure civile sur la question de la mobilisation publique et la liberté d’expression. Il ne s’agit pas ici de mettre en doute la volonté du législateur; il s’agit plutôt de prévoir comment pourrait éventuellement être interprétée une telle loi et comment les juges pourraient glisser d’un côté ou l’autre, glisser d’un côté plus ouvert en termes de compagnie, disons, en termes de réputation, et ne pas avoir la première préoccupation de protéger à la fois l’espace public, protéger les citoyens qui l’utilisent, cet espace public là, et évidemment protéger les organisations qui font partie de la société civile et qui interviennent à ces niveaux-là.

La deuxième chose que je voudrais souligner dans le mémoire que nous vous avons fait parvenir, c’est la question du fonds d’aide à ces gens-là, aux gens qui seraient victimes de poursuites. Alors, évidemment, nous suivons les débats de la commission, nous avons senti que le ministre était plutôt réticent à ouvrir une porte de ce côté-là. Mais nous considérons quand même qu’il faut fouiller cette question-là et faire en sorte que… Juste le fait de l’administration de notre système judiciaire, qui, lui, protège la démocratie, juste les coûts qu’il engendre ne peuvent pas devenir un obstacle à trouver véritablement la justice dans des dossiers comme celui-là. Et les frais qui sont encourus par les gens qui sont victimes de poursuites-bâillons nous apparaissent malheureusement beaucoup trop élevés pour que des individus puissent exercer correctement leur droit d’intervention dans l’espace public. Et, à moins qu’on nous trouve une autre solution, nous considérons que l’existence d’un fonds d’aide aux victimes, si on les appelle comme ça, de poursuites-bâillons demeure quant à nous, là, la meilleure idée que nous avons entendue jusqu’à présent.

Alors, dans ce cadre-là, nous aimerions beaucoup que le ministre réfléchisse à la question sous l’angle de non pas faciliter cette espèce de… On ne pense pas que c’est d’ouvrir un espace exagéré, là, où tous les gens pourraient se mettre à dire n’importe quoi sur toutes les compagnies en sachant que l’État va les soutenir dans leurs poursuites mais d’ouvrir un espace qui permettrait à des gens qui sont considérés comme victimes d’une poursuite-bâillon bien d’être soutenus adéquatement tout au long des procédures.

Avant-dernière chose que je voudrais souligner, c’est la question du fardeau de la preuve. Je pense qu’il y a eu ici des discussions qui nous sont apparues quand même intéressantes sur cette question-là. Je pense qu’on n’est pas les premiers à noter ça. Il faut véritablement que cette question-là soit la plus claire possible afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté quand arrive le début de l’évaluation: Est-ce qu’il s’agit véritablement d’une poursuite-bâillon? On ne peut pas se permettre d’avoir des gens qui doivent faire toute la preuve alors qu’on veut justement faire en sorte qu’on évite toutes ces poursuites-là. On ne peut pas se permettre de les avoir en procédure préliminaire pour vérifier si véritablement il s’agit d’une poursuite-bâillon. Il faut que ça, ce soit clarifié dans la loi.

Deux autres choses dans le même esprit. L’utilisation abusive des mises en demeure, entre autres, nous apparaît aussi une forme de poursuite-bâillon. Alors, nous voudrions qu’il y ait une façon de faire en sorte que ce genre d’abus là soit sanctionné et que les tribunaux puissent intervenir quand la question des mises en demeure constitue en soi une façon de faire taire ceux et celles qui interviennent dans l’espace public. Alors, j’oserais dire que c’est quasiment une quérulence de mises en demeure. Il faut faire attention de préserver d’abord et avant tout l’espace public au détriment parfois de certaines libertés que pourraient avoir certaines compagnies mais qui n’utiliseraient ces libertés-là que pour faire en sorte de limiter la capacité qu’auraient des individus ou des salariés d’intervenir publiquement.

Je termine pour qu’on puisse avoir un échange peut-être un peu plus long, compte tenu du peu de temps que nous avons, sur la question de la responsabilité des administrateurs. Nous pensons que… On le voit, là, dans l’espace financier dans lequel on vit, on ne peut pas se permettre de dire que les poursuites-bâillons sont l’effet uniquement d’une personne morale. Il y a des gens derrière ces décisions morales là. Il y a des gens qui protègent, oui, la compagnie mais qui souvent abusent de cette espèce de rideau derrière lequel ils se cachent pour dire: Bien, la décision, c’est la décision de la compagnie de poursuivre. Ce n’est pas vrai. Il y a gens qui sont derrière ces poursuites-là. Parfois ce ne sont même pas les conseils d’administration, parfois ce sont les directions de certaines compagnies. Alors, si on veut que la transparence se fasse à l’intérieur des compagnies, bien il faut que les administrateurs malheureusement soient imputables de leurs décisions, ce qui ferait en sorte probablement qu’avant de déclencher ce type de poursuite-bâillon là ou toute une série de mises en demeure qui viendraient avoir le même effet, de faire taire le débat public, eh bien, il y aurait une analyse plus poussée à l’intérieur même de ces compagnies-là, probablement jusqu’au conseil d’administration, qui, lui…

Théoriquement, c’est lui qui a le mandat de maintenir l’image de la compagnie. Alors, il y aurait là probablement une décision beaucoup plus serrée. Ce ne serait pas un automatisme que des services juridiques de telle compagnie automatiquement envoient des mises en demeure ou encore déclenchent des poursuites-bâillons. Il devrait selon nous y avoir une analyse un peu plus poussée, compte tenu qu’il y aurait une loi qui protégerait les gens au niveau public. Et, à ce moment-là, si malgré tout il y avait une décision de faire une poursuite de ce type-là, eh bien, que cette décision-là soit prise au plus haut niveau de la compagnie ferait en sorte que ces administrateurs-là deviendraient éventuellement responsables. Ce serait une décision consciente et non pas un automatisme comme on peut le voir, là, chez certaines compagnies.

Alors, voilà en résumé, parce qu’il y a quand même beaucoup plus que ça dans notre mémoire. Mais, juste pour lancer le débat, ça nous apparaîtrait les points qui mériteraient qu’on en discute ce matin. Alors, je vous remercie.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Roy. Donc, il va rester 33 minutes à la période d’échange, que je suggère de répartir 12 minutes au parti ministériel, 11 à l’opposition officielle et 10 minutes au groupe formant la deuxième opposition pour nous permettre d’arriver à 12 h 30, à la fin des travaux pour ce matin. Donc, M. le ministre.

M. Dupuis: Alors, M. Roy, M. Lamoureux et Me Pineau, merci de la présentation de votre mémoire. Vous comprendrez, là, par les remarques que Mme la Présidente vient de faire, qu’on n’a pas beaucoup de temps pour discuter, mais ça ne vous empêche pas dans l’avenir de communiquer avec nous. Si vous avez d’autres suggestions à faire, là, sentez-vous bien libres de le faire, on est ouverts. Vous l’avez vu d’ailleurs par les remarques qu’on a faites depuis le début de cette commission parlementaire, on n’est pas fermés à modifier des dispositions qui sont déjà proposées pour rendre les dispositions plus compréhensibles pour le juge qui éventuellement devra les administrer.

Ce que je vais dire aux gens qui sont totalement à l’opposé de vos représentations, c’est-à-dire les gens qui représenteraient les compagnies ou qui représenteraient les chambres de commerce qu’on va entendre un petit peu plus tard, c’est la chose suivante pour les rassurer: ce qu’on veut protéger, là, ce n’est pas le libelle diffamatoire. On ne protégera jamais le libelle diffamatoire et on ne cherche pas à faire ça. Ce qu’on cherche à protéger, c’est la liberté d’expression légitimement, juridiquement et légalement exprimée. C’est ça qu’on veut protéger. Donc, je pense qu’il faut que ces gens-là comprennent aussi que ce qu’on a cherché à faire, nous, en déposant les dispositions qu’on a déposées, c’est bien sûr protéger cette liberté d’expression, le faire correctement. C’est vrai que c’est un régime de droit qui est relativement nouveau, parce qu’on y met des dents, mais je pense qu’on est là, et là-dessus on s’entend bien avec la CSN sur les représentations que vous avez faites.

Ce que je veux discuter plus particulièrement avec vous, vous permettre de vous exprimer plus longuement là-dessus, c’est, premièrement, le fonds d’aide puis, deuxièmement, la mise en demeure. La mise en demeure, je pense qu’on peut… Je vais vous faire part de mes remarques sur la mise en demeure, qui sont les suivantes. La mise en demeure, M. Roy, et Me Pineau surtout, la mise en demeure, c’est une correspondance privée entre des gens. Honnêtement, je me verrais mal, je verrais mal le législateur vouloir discipliner, et là j’emploie l’expression que tout le monde peut comprendre, vouloir discipliner cette correspondance-là. La mise en demeure, souvent elle est sans suite, vous le savez, et j’hésite à discipliner la mise en demeure, qui est une correspondance qui donne ou non des suites. Si elle donne des suites, la mise en demeure, c’est que la personne à qui on a fait la mise en demeure ne se conforme pas à ce qu’on lui demande, et, à ce moment-là, souvent la mise en demeure se termine: Si vous ne…

Une voix: Veuillez agir en conséquence.

n(12 heures)n

M. Dupuis: C’est ça. Nous agirons selon les procédures appropriées, ou: Nous agirons en conséquence. Ça veut dire: on prendra une poursuite. Honnêtement, le législateur peut intervenir à ce moment-là, au moment de la prise de la poursuite. Mais, intervenir au moment de la mise en demeure, j’hésite à faire ça, et ça m’apparaît…

Bon, sur le fonds d’aide… Puis après ça je vais vous laisser, M. Lamoureux. Je sais que vous voulez répondre à la question de la mise en demeure, je vais vous laisser parler.

Une voix: Sur les deux.

M. Dupuis: Les deux? O.K. C’est bon. Quand on suscite des réactions comme ça, c’est bon.

Le fonds d’aide, la raison pour laquelle on a opté… Je l’ai déjà dit, mais je veux en discuter avec vous. La raison pour laquelle on a opté plus pour la provision pour frais, il y a plusieurs raisons, la principale étant qu’il m’apparaît à moi, et là j’emploie l’expression qui a été employée lors de la première journée des commissions parlementaires, que j’accepte comme expression de la discussion, il m’apparaît raisonnable que ce soit le SLAPPer qui soit le payeur plutôt que tous les contribuables québécois, la première chose.

La deuxième, puis ça revient à votre dernière représentation, je fais un lien avec votre dernière représentation sur les administrateurs, il m’apparaît normal qu’avant d’introduire une poursuite à la suite d’une déclaration publique tous les administrateurs réfléchissent comme il faut à la question de savoir si on va introduire la poursuite, et l’une de ces réflexions-là va passer par: c’est possible qu’on soit obligé de déposer une somme d’argent en provision pour frais si on prend la poursuite. Il y a donc une dissuasion, un facteur de dissuasion additionnel dans le fait de la provision pour frais.

La deuxième chose, c’est que tous les gens nous disent: Il faut que cette question-là de l’abus de la poursuite-bâillon soit réglée rapidement quand l’action est introduite. Or, créer un fonds ferait en sorte qu’il faut faire une demande au fonds, et là ça occasionnerait des délais supplémentaires avant qu’on règle la question corollaire mais importante, de: Est-ce qu’il s’agit d’un abus ou non?

Et finalement, finalement, si on avait opté pour la création d’un fonds, ça, ça oblige au gouvernement à aller au Conseil du trésor, à aller au ministère des Finances, à obtenir de ces instances-là la création du fonds, et ça aurait occasionné des délais dans la présentation du projet de loi. Or, j’ai estimé, avec le gouvernement, nous avons estimé que la question était suffisamment importante et urgente pour qu’on dépose des dispositions rapidement. C’est pour cette raison-là qu’on l’a fait de cette façon-là.

C’était simplement pour vous donner ma dialectique. Maintenant, M. Lamoureux, Me Pineau et M. Roy, vous avez le reste du temps qui vous est consacré.

La Présidente (Mme Thériault): En vous indiquant qu’il reste 6 min 30 s, et c’est Me Lamoureux qui va prendre la parole.

M. Lamoureux (François): Oui. Alors, M. le ministre, prendre le raisonnement que vous faites sur les mises en demeure, on pourrait le prendre dans un contexte usuel où on ne serait pas ici en train de débattre d’une question qui est fondamentale, celle que vous avez dite tantôt, la liberté d’expression et la participation dans les débats publics. Et, en ce sens-là, si on reprend du point de départ avec le rapport des commissaires, de Me Macdonald, Me Noreau, qui ont bien identifié qu’est-ce qui était une SLAPP, pour eux la problématique issue des mises en demeure qui pouvaient faire en sorte effectivement d’intimider des groupes ou des citoyens pour ne plus participer à ces débats publics… En ce sens-là, M. le ministre, le projet de loi qui est sur la table…

Si on prend le débat de la mise en demeure de façon isolée comme un débat… une mise en demeure dans une chicane de clôture ou un dossier matrimonial, on pense qu’on fait fausse route. Si on le prend dans le cadre du débat de la liberté d’expression vis-à-vis la participation publique, c’est une autre chose. Votre projet de loi, dans ses considérants et dans les notes explicatives, met vraiment le doigt sur les principaux problèmes causés par la liberté d’expression.

Là où le bât blesse, c’est la suite. Et vous avez dit tantôt ? j’ai pris votre expression ? que vous voulez qu’on ait les dispositions les plus compréhensibles possible. Pour éviter tout dérapage sur l’interprétation de ce que serait une demande abusive, de ce que serait une mise en demeure abusive, le législateur doit encadrer de façon très serrée son champ d’application. En ce sens-là, les commissaires ont identifié à la page 75 de leur rapport, et nous le reprenons dans notre mémoire, à la page 6, une définition complète de ce que serait véritablement une SLAPP, une poursuite-bâillon, et on pense que, dans le cadre du projet de loi qui est sur la table, plus que le champ d’application va être clair, plus qu’il va y avoir une définition qui va être claire et précise, à ce moment-là, on va être en mesure d’identifier vraiment une mise en demeure qui serait une SLAPP puisqu’il y aurait une définition bien encadrée et bien balisée par le législateur.

M. Roy (Louis): Peut-être que Mme Pineau pourrait répondre.

M. Dupuis: Oui. Permettez-vous, Me Pineau, deux secondes? Simplement pour dire: On ne finira pas la discussion aujourd’hui, là, je suis bien conscient, M. Lamoureux, mais, quand vous l’expliquez, vous, de votre point de vue à vous, il me semble que vous oubliez que, dans l’hypothèse, là, on a adopté les dispositions, elles sont incluses dans le Code civil sur les poursuites abusives. Donc, la mise en demeure qui a été envoyée après que les dispositions soient entrées en vigueur va… Premièrement, la décision d’envoyer la mise en demeure ne sera plus la même, tu sais, le régime va avoir tout changé. Je comprends très bien votre raisonnement quand vous envisagez la mise en demeure actuelle, actuelle, actuellement, sans que les dispositions soient adoptées, mais, une fois que les dispositions vont être adoptées, tout ce régime-là va changer. Je veux juste dire ça. Je veux juste dire ça et convenir qu’on ne s’entend pas sur cette question-là, là. Je n’ai pas de problème là-dessus.

La Présidente (Mme Thériault): Je vais passer la parole à Me Pineau en vous indiquant qu’il reste trois minutes. Si vous voulez parler du fonds d’aide, il faudrait aller rapidement.

Mme Pineau (Anne): Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Me Pineau.

Mme Pineau (Anne): Écoutez, idéalement on aurait préféré un régime de responsabilité modifiée. C’est ce qu’on aurait voulu. On aurait voulu que finalement, dans le cadre d’une prise de parole dans un débat public, la responsabilité ne soit engagée qu’en cas de faute lourde ou intentionnelle. C’était pour nous la meilleure façon d’assurer une véritable liberté d’expression, que les gens se sentent sereins, se sentent libres d’exprimer vraiment leur pensée et de débattre sans toujours risquer une poursuite. Parce que c’est bien, les mesures qui sont ici, mais ces mesures-là supposent qu’on est en situation de procès. On a une action qui est entreprise, on n’agit pas à la source, on n’agit pas avant, on agit une fois que l’action est entreprise.

Le fonds, dans cette optique-là, prend encore plus d’importance parce qu’à tout le moins il faut assurer les gens qu’ils vont être encadrés, ils vont être «backés» en quelque sorte quant à l’argent qui va être en cause. Les gens qui prennent la parole dans des débats publics le font de façon altruiste, c’est des gens qui sont courageux. Ça profite à la société, ça profite à alimenter les débats. Ça profite donc à la démocratie. Ça doit être encouragé, et pour ça il est juste, il nous semble, que la société justement mette sur pied un fonds, un fonds qui d’abord serait sans doute alimenté à partir des fonds publics, mais je ne vois pas de contradiction avec le fait que les poursuivants abusifs puissent ensuite venir alimenter le fonds à même une pénalité lorsque la cour estime qu’il y a une poursuite abusive. Alors, moi, je pense qu’il n’est pas exclu que le payeur ou le SLAPPer-payeur puisse payer et alimenter le fonds.

Il me reste une minute et…

M. Dupuis: Oui. Je veux juste dire, Me Pineau, que je comprends toute la question de la subrogation, mais, tu sais, le droit de subrogation, là, ça ne marche pas tout le temps, tu sais, puis on ne réussit pas toujours à se faire suborner dans les droits, puis ça, c’est un problème.

Mme Pineau (Anne): Mais je ne parle pas d’une subrogation ici, je vous parle d’une pénalité, un peu comme quand la Commission des normes, par exemple, poursuit un employeur qui a contrevenu à la loi et où il y a 20 %, par exemple, du montant qui est accordé, qui est une pénalité, qui sert au fonds de sorte à justement alimenter la commission. Donc, c’est en termes de pénalité, je ne vous parle même pas, là, de subrogation ici.

La Présidente (Mme Thériault): 15 secondes, Mme Pineau.

Mme Pineau (Anne): Bon, O.K., là. C’est beau. En tout cas, ça fait…

M. Dupuis: On va pouvoir continuer avec les autres.

M. Roy (Louis): Mais, sur la pénalité, je suis sûr qu’on aurait l’appui de la ministre responsable du Conseil du trésor quand même.

Des voix: Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Roy. Donc, on va aller du côté de l’opposition officielle. M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez 11 minutes. Vous avez vu que ça va très rapidement, donc profitez bien de votre temps.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour, M. Roy, Me Lamoureux, Me Pineau. Ça me fait plaisir de vous accueillir ici, à la commission.

n(12 h 10)n

J’ai quand même parcouru et lu votre… Votre première recommandation, lorsque vous dites: Une nouvelle section… Les intervenants qui se sont prononcés à la commission antérieurement ont quand même pris en considération les considérants que vous retrouvez au projet de loi et eux privilégiaient l’ajout de ces considérants dans une section ou en fait une… dans le projet de loi comme tel. Au lieu de l’avoir comme considérant, ils précisaient que de l’ajouter à 4.1 et 4.2 du Code de procédure civile… Est-ce que vous trouvez que c’est une bonne solution ou une bonne approche?

M. Lamoureux (François): Vous permettez? Alors, ça peut être une approche. Mais quant à nous ce qu’on essaie d’expliquer dans le cadre de notre mémoire, c’est qu’on ne veut pas dénaturer l’ensemble du débat qui porte sur la liberté d’expression et la participation aux débats publics. C’est un peu comme le renversement du fardeau de preuve qu’on a ici. Un renversement du fardeau de preuve, pourquoi en matrimonial, pourquoi en chicane de clôtures? Le renversement du fardeau de preuve ici est une exception qu’on amène justement dans le cadre du débat sur les SLAPP. Alors, en ce sens-là, au même titre, à 4.1 ou à 4.2, quant à nous il conviendrait que ce soit plus vraiment dans une section particulière pour y accorder toute l’importance nécessaire et pour distinguer les dossiers de liberté d’expression avec les SLAPP et les autres dossiers civils.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Lamoureux. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Dans votre approche, vous dites «une nouvelle section», qui va quand même reprendre, si je comprends bien, la définition que vous avez incluse dans votre mémoire, celle qui est dans le rapport Macdonald, et à la suite vous allez faire un chapitre spécial sur la poursuite-bâillon. Et, dans cette situation-là ou, on peut dire, dans ce chapitre-là, je voudrais voir comment, vous, vous l’avez compris, comment ça pourrait s’actualiser, dans les faits, tous les jours.

Alors, vous avez une poursuite. Il faut quand même, par l’entremise d’une requête… il va falloir déposer une requête dans laquelle vous allez alléguer la définition de «poursuite-bâillon», et, dans cette requête-là, vous allez être obligés de faire une preuve, et cette preuve-là va vous demander en fait de faire un début de preuve, si je peux m’exprimer comme ça, pour qu’il y ait renversement du fardeau de preuve. Alors, en quoi va consister votre début de preuve?

La Présidente (Mme Thériault): Me Lamoureux.

M. Lamoureux (François): Évidemment, par rapport à la situation factuelle du dossier, dans la mesure où on a à identifier qu’est-ce qui est abusif, qu’est-ce qui est dilatoire, qu’est-ce qui peut être vexatoire, il y a un cadre, un champ d’application qui va être spécifique, qui va nous permettre de pouvoir démontrer au juge qui va entendre l’instruction du dossier que véritablement l’ensemble de cette procédure introductive d’instance, avec courte preuve faite devant le juge, avec une requête en rejet, pourrait se faire d’une façon plus claire avec le libellé de la définition que nous aurions.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Dans le 75.1 présentement du Code de procédure civile, on a quand même ce genre de rapidité d’exécution après un interrogatoire, et, après interrogatoire, à la suite de ce 75.1, le juge peut disposer immédiatement en fait de la poursuite, mais il peut la déclarer nulle et non avenue, immédiatement rendre son jugement et, dans un deuxième temps, à 75.2, établir les frais que ça a pu occasionner, cette poursuite-là. D’ailleurs, c’était l’avenue du Pr Macdonald dans son deuxième volet de ses solutions. Pourquoi vous n’allez pas dans ce sens-là en rapport avec la logique du rapport Macdonald?

La Présidente (Mme Thériault): Me Lamoureux.

M. Lamoureux (François): Quant à nous, on ne peut pas faire le même débat, on revient vraiment sur le cadre. On est dans un débat concernant la liberté d’expression dans le cadre d’un débat démocratique.

L’ensemble des requêtes, nous, on a eu quelques requêtes, plusieurs requêtes qu’on a faites sur 75.1, et, si vous regardez l’ensemble de la jurisprudence, avant qu’un juge rejette une action sur le fond sur la base de 75.1, c’est: Oubliez ça, ou à peu près. Moi, je vous dis, ici, là, j’ai la procédure ici introductive d’instance de Barrick Gold et je vous dis, M. le député, je vous dis que, faire rejeter ça à sa face même parce qu’abusif ou dilatoire, oubliez ça, c’est impossible dans les faits. Alors, c’est pourquoi, nous, on veut vraiment revenir et coller le débat de…

Parce que, quand on lit le libellé, là, de 54.1 puis on essaie de voir qu’est-ce qui est abusif, qu’est-ce qui est dilatoire, le grand problème, c’est de ne pas le traiter dans le cadre de la liberté d’expression puis la participation aux débats démocratiques. Mais quelle va être la jurisprudence qui va se dégager à toutes les fois que le juge va avoir à interpréter l’ensemble des termes qui sont là? Sous 75.1, c’est presque toujours rejeté. Alors, ce n’est pas en ajoutant «de façon vexatoire et de façon quérulente» que ça va être plus rejeté si le juge n’a pas… Et, je le répète, c’est le champ d’application de la loi et la définition de ce qui est une SLAPP qui va permettre au juge de mieux se guider, parce que sinon c’est des débats juridiques.

À sa face même, Barrick Gold, sa requête est rejetée: abusive, dilatoire. 75.1. Le débat part jusqu’à la Cour suprême aller-retour, puis il va y avoir plusieurs dossiers qui vont probablement faire ça parce qu’on va faire le débat dans le même cadre que si nous étions dans une poursuite sur, je vous disais, une chicane de clôture ou encore un débat en matrimonial.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: Et, simplement pour ajouter à cette question-là, votre poursuite-bâillon, bien que la définition, elle a été assez précise… On dit: «Il s’agit, pour l’essentiel:

«1) de poursuites judiciaires;

«2) entreprises contre des organismes [et] des individus;

«3) engagés dans l’espace public dans le cadre de débats mettant en cause des enjeux collectifs…»

Vous ne pensez pas qu’avec cette définition-là on peut avoir la même résultante au bout? C’est qu’il y ait appel… Et surtout je ne sais pas si vous vous êtes penchés sur la question de l’article 165 avec le jugement qui n’est pas définitif au niveau d’une poursuite lorsqu’il y a une poursuite abusive ou une poursuite-bâillon. Vous ne croyez pas qu’éventuellement, avec cette définition, que je trouve… Plus on définit, des fois, plus ça élargit, les mots s’interprètent les uns par les autres, et ainsi on n’arrive pas à une situation où, au lieu d’avoir une résultante, c’est-à-dire au lieu d’avoir immédiatement la fin d’une procédure qualifiée de bâillon, on arrive avec justement un nouveau débat juridique qui va simplement se situer à la question: Est-ce une poursuite-bâillon ou pas?

La Présidente (Mme Thériault): Me Pineau, il reste 3 min 30 s.

Mme Pineau (Anne): Oui. Alors, il nous semble que la définition quand même qui a été adoptée par les commissaires Macdonald, et Noreau, et Roderick permet d’identifier… On parle de poursuites qui sont entreprises contre des organisations ou des individus qui sont engagés dans l’espace public dans le cadre de débats qui mettent en cause des enjeux collectifs. Est-ce que j’ai une poursuite qui concerne un enjeu collectif et qui a été débattu sur la place publique? Si je peux établir ça et que je suis poursuivi, nous, ce qu’on estime, c’est qu’à compter de ce moment-là j’ai établi de façon prima facie que je suis victime d’une poursuite-bâillon, et c’est à l’autre à démontrer que sa poursuite n’est pas abusive et n’est pas vexatoire, et c’est là que se situe le renversement. Et il nous semble que c’est tout à fait possible d’identifier: Est-ce qu’il y a une poursuite-bâillon? Autrement, on devrait presque admettre que les commissaires ont travaillé à produire un rapport sur quelque chose qui n’est pas identifiable.

Je pense que c’est identifiable, une poursuite-bâillon, ça concerne la liberté d’expression sur un enjeu public débattu dans l’espace public. Et, quand on est dans cette situation-là, renversons le fardeau et exigeons de celui qui nous poursuit de démontrer le bien-fondé de sa poursuite et de démontrer que ce n’est pas pour me faire taire qu’il l’a entreprise. C’est là que pour nous il devient important de prévoir une section particulière dans le cas des poursuites-bâillons qu’on ne doit pas traiter de la même façon, par exemple, que la quérulence, qui est un tout autre problème.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, allez-y, M. le député. Deux minutes.

M. L’Écuyer: Et simplement, si je continue votre exemple, le juge va devoir mettre fin au procès.

Mme Pineau (Anne): Il va devoir constater que j’ai une présomption en ma faveur et que l’autre doit expliquer le bien-fondé de son action.

M. L’Écuyer: Mais le renversement du fardeau de preuve, est-ce qu’en matière médicale… Est-ce que vous avez vérifié le renversement du fardeau de preuve en matière de responsabilité médicale et est-ce que ça pourrait s’appliquer dans ce domaine-là?

La Présidente (Mme Thériault): Me Lamoureux.

n(12 h 20)n

M. Lamoureux (François): …le domaine médical, à moins que ce soit dans le cadre d’un débat public, dans l’espace public. Mais, relativement aux problèmes médicaux, c’est plutôt de nature privée.

Puis je compléterais sur la question de la définition. Je vous dirais: Prenez les considérants déjà qui sont là, là, et au moins travaillez à les codifier. Les considérants, là, je pense qu’il y a déjà quelque chose d’assez clair pour permettre… L’essentiel, M. le député, c’est le renversement du fardeau de preuve par rapport aux citoyens qui, eux, vont devoir déjà faire un procès dans un procès. Alors, je sais ce qui se passe dans le dossier de Barrick Gold, là, on est en train de faire un procès dans un procès avant de réussir à renverser le fardeau de preuve. Imaginez-vous le problème qui serait rencontré s’il n’y a pas de définition particulière, et on est en train de saigner probablement les gens financièrement.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Un très court commentaire, vous avez 20 secondes.

M. L’Écuyer: Pardon?

La Présidente (Mme Thériault): 20 secondes. Un très court commentaire.

M. L’Écuyer: Simplement, en fait, dissuasif, au niveau de la provision pour frais, vous ne croyez pas que le fait que le juge ordonne que la compagnie… ordonne en fait des frais, des provisions pour frais, ce n’est pas suffisant pour éviter en fait des poursuites-bâillons éventuellement?

La Présidente (Mme Thériault): En cinq secondes, Me Pineau.

M. L’Écuyer: …

La Présidente (Mme Thériault): Non, je n’ai plus de temps. Je n’ai plus de temps, M. le député. Je m’excuse. Cinq secondes, Me Pineau.

Mme Pineau (Anne): Non.

M. L’Écuyer: …

La Présidente (Mme Thériault): Non, M. le député, il n’y a plus de temps.

Mme Pineau (Anne): C’est non.

La Présidente (Mme Thériault): La réponse de Mme Pineau, c’est non. Merci. Désolée, je dois absolument surveiller le temps.

Donc, on va aller du côté du deuxième groupe formant l’opposition. M. le député de Mercier, vous avez 10 minutes au total.

M. Turp: Merci, Mme la Présidente. D’abord, merci pour le mémoire. J’ai trouvé fort intéressant le développement sur la liberté d’expression, c’est très bien documenté, vous nous renvoyez à de la jurisprudence qui est pertinente, qu’on devrait considérer dans notre réflexion sur le projet de loi.

Il y a un beau débat qui s’ouvre, là, maintenant sur le choix du législateur. Le projet qui nous est déposé, c’est un projet qui parle à la fois de l’abus et des poursuites-bâillons, les poursuites-bâillons étant incluses dans l’abus. Il y a des gens qui nous proposent, et vous n’êtes pas les seuls, de limiter, de circonscrire ce projet de loi aux poursuites-bâillons. D’ailleurs, le Barreau le fait, le Barreau qu’on entendra demain. Le Barreau le fait, propose un article où il y a une définition de «poursuite-bâillon» et va dans votre sens. Ça ne doit pas être souvent, là, que la CSN puis le Barreau s’entendent, mais, sur cette question-là, vous avez l’air à vous entendre.

Je pense que c’est une question intéressante, parce que, si l’objectif du législateur, c’est de dissuader les poursuites-bâillons et que la meilleure façon de le faire, c’est de définir les poursuites-bâillons, bien il faut envisager cette hypothèse-là. Je crois qu’il y a un débat à savoir si une définition plus large puis une disposition de renversement de fardeau de la preuve comme celle qu’il y a dans le projet de loi… mais que le ministre est d’avis ou s’engage à un petit peu modifier, à la lumière des représentations qui ont été faites… C’est ça, l’enjeu du débat. Si on est pour faire un projet de loi, là, qui, comme vous l’évoquez avec l’exemple de Barrick Gold, ne mettra pas fin à du harcèlement judiciaire et sera un projet de loi qui n’aura pas le caractère dissuasif, il faut se demander s’il ne faut pas choisir plutôt la voie de la définition de la poursuite-baîllon, parce que c’est peut-être seulement avec une définition qu’il y a une possibilité de rejet rapide d’une telle poursuite.

Alors, moi, je ne sais pas si vous voudriez ajouter quelque chose là-dessus, mais il me semble que vous nous engagez dans le débat de fond là-dessus, et peut-être… Est-ce que vous avez un commentaire à faire?

La Présidente (Mme Thériault): Me Lamoureux.

M. Lamoureux (François): La clé de ce projet de loi là, c’est le champ d’application et la définition, puis, on l’a dit au début, on salue le ministre de la Justice pour son projet de loi. Ce qui est en train de se passer ici, à l’Assemblée nationale, c’est un débat historique sur la liberté d’expression puis la participation des citoyens aux débats publics. Alors, vous avez entre les mains, M. le ministre, la possibilité d’aller un cran plus loin. Nous pensons, puis avec tout respect, que ce projet de loi là, sans champ d’application précis, sans définition précise, va continuer d’engendrer une judiciarisation abusive des SLAPP, va continuer d’empêcher des citoyens de participer aux débats publics.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Mercier.

M. Turp: Alors, pourquoi est-ce que la définition qu’il y a, qui est proposée dans le paragraphe deux de l’article 54.1, ne convient pas? Parce qu’il y a une définition indirecte de la poursuite-bâillon dans le paragraphe deux de l’article 54.1. Puis la question du renversement de fardeau de la preuve, ça, c’est autre chose. Si on l’améliore, ça pourrait peut-être répondre à votre préoccupation, là. Mais pourquoi cette définition-là ne vous convient pas?

La Présidente (Mme Thériault): Me Lamoureux ou M. Roy?

M. Lamoureux (François): Parce que…

La Présidente (Mme Thériault): Me Lamoureux.

M. Lamoureux (François): Oui. Parce que, quant à nous, dans le cadre du débat qui est sur la table, quand on regarde, à 54.1, le libellé tel quel, alors on dit: «L’abus peut résulter d’une demande en justice ou d’un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire ? ça ne change pas de nos paramètres habituels du Code de procédure civile ? ou d’un comportement vexatoire ou quérulent.» Je ne vois pas en quoi, dans un dossier comme Barrick Gold, on pourrait dire: C’est vexatoire pour l’instant ou c’est quérulent.

«Résulter de la mauvaise foi», c’est toute une preuve, ça. «Résulter de la mauvaise foi, de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable», je vous l’indique, relisez la procédure introductive d’instance de Barrick Gold ou d’autres procureurs dans d’autres dossiers, qui, je pense, de façon assez intelligente, sont capables de rédiger une procédure introductive d’instance qui peut passer la rampe peut-être à sa face même. «Ou de manière à nuire à autrui», alors, dans la mesure que l’employeur ou la compagnie comme Barrick Gold dit: Ici, moi, je ne nuis pas à autrui, je défends mes droits comme corporation, ma réputation, etc., alors donc… «Ou encore [un] détournement des fins de la justice», alors cherchez…

M. Turp: Mais commentez ce dernier bout là, là. Regarde, c’est plutôt ça, là, de la nature de la poursuite-bâillon, «ou encore du détournement des fins de la justice». Alors ça, ça ne vous suffit pas?

La Présidente (Mme Thériault): Me Pineau. Oui, allez-y, Me Pineau.

Mme Pineau (Anne): En fait, ce qui nous amène à 54.2, où, à sa face même, je dois démontrer qu’on a abusé…

M. Dupuis: Ça va changer, ça.

Mme Pineau (Anne): Bien, en tout cas, peut-être, mais, pour l’heure, je fonctionne avec ce qui est là et je ne sais pas ce qui serait proposé. Mais vous comprenez que, nous, ce qu’on désire, c’est que, si je prends la parole sur un enjeu public et que je suis poursuivie, ça, ça établit ma présomption. C’est ça qu’on veut comme régime, et c’est là qu’il y a un renversement, et c’est à l’autre à s’expliquer. C’était le but de la consultation sur les poursuites-bâillons. Et, nous, on estime qu’il faut en faire une section à part, simplifier cette mécanique-là pour les poursuites-bâillons, dire: Quand je prends la parole et que je suis poursuivi sur un enjeu public, renversez le fardeau tout de suite.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député, il vous reste exactement…

M. Turp: 30 secondes à peu près.

La Présidente (Mme Thériault): 3 min 30 s.

M. Turp: Ah oui! Puis le ministre veut prendre 15 secondes, tout à l’heure…

M. Dupuis: Je prendrais 15 secondes avec votre consentement.

M. Turp: …offrir les 15 secondes. Mais, vous savez, quand on va là où vous voulez aller, là, ça devient un débat sur un juge qui, au moment de l’examen d’une requête de type en irrecevabilité, va devoir se poser toutes sortes de questions sur le fond: c’est quoi, l’enjeu public, c’est quoi, la liberté d’expression qui est menacée, et tout ça. Là, ça devient très complexe. Mais c’est une autre façon de voir les choses, parce que c’est évident que, même au niveau de l’irrecevabilité, c’est très, très difficile de divorcer la procédure ou le fond lorsque c’est une poursuite-bâillon. Alors donc, on devrait raisonner dans des termes assez différents si on choisit une définition de «poursuite-bâillon» intimement liée à la liberté d’expression. Mais je pense que c’est un des débats qu’on doit avoir ici parce que vous n’êtes pas les premiers, vous ne serez pas les derniers à dire qu’il faut, comme les commissaires le proposaient, Macdonald, Jutras et Noreau, définir la poursuite-bâillon et organiser le système, là, anti-poursuite-bâillon autour de la définition.

Est-ce qu’il reste 15 minutes pour le ministre… 15 secondes pour le ministre?

La Présidente (Mme Thériault): Il reste un petit peu plus que 15 secondes. Allez-y, M. le ministre.

M. Dupuis: Moi, je suis persuadé, mais je… si vous avez d’autres arguments, mais je suis persuadé qu’introduire une définition de ce qu’est une poursuite-bâillon dans le Code de procédure civile… D’abord, une définition, c’est restrictif par définition. C’est restrictif. D’autre part, faites confiance aux avocats, M. Lamoureux… Me ou M. Lamoureux, je ne sais pas, là, mais en tout cas.

M. Lamoureux (François): Me Lamoureux.

M. Dupuis: Bon, bien, je m’excuse, Me Lamoureux, ce n’était pas indiqué sur le… Faites confiance aux avocats, Me Lamoureux, pour passer à côté de la définition. Faites confiance aux avocats. Autant vous dites: Faisons-leur confiance, faites confiance pour passer à côté de la définition. Ça, c’est les deux choses que j’ai à dire.

D’autre part, on y a pensé, d’introduire une définition, mais on s’est dit: 54.1, deuxième paragraphe est rédigé pour donner une interprétation la plus libérale possible au juge pour que toute espèce de situation qui est abusive à son avis, après avoir entendu les parties, puisse être sanctionnée par le 54.1. Si j’introduis une définition, Me Lamoureux, je restreins automatiquement le champ d’application, automatiquement. C’est ma conviction intime. Merci. Excusez-moi.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. Il reste une minute, et je vais la donner au député de Mercier. Une minute.

n(12 h 30)n

M. Turp: Vous êtes témoins d’un débat qui, je pense, va se poursuivre, parce que c’est aussi une interprétation du ministre. Il y a une façon de faire une définition qui pourrait ne pas circonscrire autant ou devenir aussi limitative que cela, mais, je ne sais pas, je vous donne le reste du temps, là, pour dire pourquoi selon vous, en définitive, c’est plutôt la voie de la définition qui devrait être privilégiée.

Mme Pineau (Anne): La définition de toute façon…

La Présidente (Mme Thériault): Me Pineau, vous avez 30 secondes. 30 secondes.

Mme Pineau (Anne): …ne ferait pas disparaître le reste des dispositions. Si la poursuite n’est pas une poursuite-bâillon mais qu’elle est par ailleurs abusive comme n’importe quelle autre poursuite, alors elle tomberait dans le dalot des autres poursuites, soit 75.1 ou ce qui resterait dans le code. Je vous dis simplement que, si on peut définir… Parce qu’une poursuite-bâillon, ce n’est pas n’importe quelle poursuite, on n’a quand même pas mis un groupe d’experts sur pied pour rien, hein? Il y avait un problème, on sait ce que c’est. C’est peut-être difficile à définir, mais c’est possible de le faire, et, si on peut le faire, on devrait prévoir une présomption qui ferait que dès lors c’est à l’autre à s’expliquer.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Il ne reste plus de temps, malheureusement.

M. Roy (Louis): Juste nous souhaiter à tous d’avoir une loi le plus rapidement possible, élection ou pas.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Merci, M. Roy. Et je suspends les travaux jusqu’à 14 heures, cet après-midi. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 31)

(Reprise à 14 h 3)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! À l’ordre, s’il vous plaît! Messieurs, je vais vous demander de prendre place.

Des voix: …

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! Messieurs, s’il vous plaît, je vais vous demander de prendre place.

Donc, puisque nous avons quorum, la commission va poursuivre ses travaux. Je voudrais vous rappeler que la commission est réunie afin de procéder à des auditions publiques dans le cadre des consultations particulières…

Des voix: …

La Présidente (Mme Thériault): Messieurs, je m’excuse, j’aimerais énoncer le mandat de la commission et que les gens me comprennent clairement.

Donc, je vous rappelle que la commission est réunie afin de procéder à des auditions publiques dans le cadre des consultations particulières à l’égard du projet de loi n° 99, Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics.

Donc, cet après-midi, nous entendrons tout d’abord le Conseil du patronat du Québec; ce sera suivi de l’Association pour la protection des automobilistes; et le dernier groupe sera la Fédération des chambres de commerce du Québec. Donc, je rappelle aux participants de bien vouloir fermer leurs téléphones cellulaires ou de les mettre en mode vibration, s’il vous plaît.

Et je souhaite la bienvenue à notre premier groupe, le Conseil du patronat du Québec. Donc, nous avons avec nous le président du Conseil du patronat, M. Michel Kelly-Gagnon ? bienvenue, M. Gagnon ? et M. Daniel Audet, le premier vice-président. Donc, vous êtes des habitués de nos commissions parlementaires, vous connaissez nos règles, vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter votre mémoire, et par la suite il y aura des échanges avec les trois formations politiques. La parole est à vous. Bienvenue.

Conseil du patronat du Québec (CPQ)

M. Kelly-Gagnon (Michel): Alors, bonjour aux membres de la commission. Ça va être mon collègue, Daniel, qui va faire l’essentiel de la présentation.

Juste en introduction, comme il se doit, quand même rappeler que le Conseil du patronat du Québec, c’est d’abord et avant tout une confédération patronale regroupant à peu près une quarantaine d’associations patronales sectorielles et aussi des membres corporatifs directs essentiellement de la grande et très grande entreprise, et de la moyenne aussi jusqu’à un certain point. Alors, si on inclut nos membres et aussi les membres de nos membres, ce qui est la norme dans le cas des confédérations ? toutes les confédérations font ça ? bien ça représente les employeurs de quelque chose comme 50 % à 60 % de la main-d’oeuvre du Québec. Donc, on pense qu’on est un interlocuteur dans cette discussion.

Ceci étant dit, donc, écoutez, bravo au ministre et au gouvernement pour le dépôt de ce projet de loi là. Il y a plusieurs bons éléments là-dessus. Il y a aussi des éléments d’amélioration qu’on va vouloir suggérer, que mon collègue va présenter.

Peut-être une petite anecdote avant de céder la parole à mon collègue. Moi, quand j’étais à l’Institut économique de Montréal, j’ai vécu dans le fond une expérience un peu semblable ou en tout cas qui est liée à des cas un peu comme ça où finalement on avait été assez critiques d’une organisation très bien établie ? puis je ne veux pas donner trop de détails parce que ce serait facile de l’identifier ? et la personne de PR, donc le responsable des relations publiques de cette organisation-là, nous avait passé un peu un message que, si on continuait dans le fond à les agacer, bien ils s’arrangeraient peut-être pour nous faire une poursuite, et à l’époque on avait dû aller dans le marché privé pour aller acheter finalement une assurance spécifique contre le libelle diffamatoire. Mais, comme il n’y a pas beaucoup d’offreurs d’assurance dans ce domaine-là, c’est une assurance qui quand même coûtait quand même assez cher. Je pense que ça nous a coûté quelque chose comme 20 000 $, 22 000 $ juste pour avoir le certificat d’assurance.

Alors, il y a probablement, certainement des considérations légitimes liées à ce projet de loi là. Par contre, encore une fois tout est une question d’équilibre, et on pense quand même qu’il y a des éléments, dans le projet de loi tel que libellé, qui sont très préoccupants.

Et, sur cette note, bien Daniel… Dans le fond, vu le peu de temps, je pense que la première partie du mémoire, qui est plus une mise en contexte, les membres de la commission connaissent quand même bien la mise en contexte, donc je pense que Daniel va sauter dans le vif, là, dans le noyau dur de notre mémoire, qui est dans le fond les amendements puis les modifications que, nous autres, spécifiquement on recommande aux parlementaires. Alors, sans plus tarder…

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. Audet, la parole est à vous.

M. Audet (Daniel): Oui. Merci, Mme la Présidente. M. le ministre, les députés, bien que Michel vient de dire qu’on était d’accord avec ce pas dans une bonne direction pour limiter les abus de procédure ou mettre fin aux abus de procédure et pour protéger la liberté d’expression, on a quand même de sérieuses mises en garde à faire. Entre autres, on constate qu’il n’y a absolument rien qui indique qu’il y a actuellement, au Québec, une épidémie de poursuites-bâillons. Jamais démonstration n’a été faite devant nos tribunaux qu’une poursuite pouvait être qualifiée de poursuite-bâillon ou de SLAPP. Il y a bien eu quelques allégations publiques faites par des groupes d’activistes dans deux ou trois dossiers très médiatisés, à l’effet que les poursuites constituaient des SLAPP, mais rien ne nous prouve que ces allégations soient fondées ni même qu’elles l’auraient été en vertu des modifications proposées par le présent projet de loi.

À notre connaissance, il n’y a pas non plus, au Québec, de cas documenté et consigné de remontrances d’un magistrat à l’égard d’un cas typique de poursuite-bâillon. Toutefois, les tribunaux n’hésitent pas à sanctionner des abus de procédure sur une variété de thèmes.

Alors, nous nous demandons, dans un premier temps, pourquoi le gouvernement a cru bon légiférer sur ce sujet à ce moment-ci. Pour quelle raison démontrable en fait serions-nous la seule juridiction au Canada à avoir des dispositions anti-SLAPP? Les dispositions actuelles du Code de procédure civile, quitte à les amender, ne pourraient-elles pas suffire à limiter les abus de procédure, comme la Colombie-Britannique l’a conclu en retirant son Protection of Public Participation Act après seulement six mois pour cause d’engorgement des tribunaux?

n(14 h 10)n

On sait qu’aux États-Unis l’hyperjudiciarisation des relations humaines, commerciales et institutionnelles est une réalité. La Californie, par exemple, jouit, entre guillemets, de dispositions anti-SLAPP parmi les plus développées au monde. Ainsi, un enchevêtrement de règles de procédure d’une complexité inouïe et que seuls des spécialistes de ce type de loi peuvent réellement comprendre permet, le cas échéant, de faire rejeter une poursuite-bâillon, de condamner à des frais celui-là même qui a tenté de faire rejeter une action sans motif suffisant et, à la victime d’un SLAPP, d’initier une nouvelle procédure auprès jugement sur la première, procédure dite du «SLAPPback». Est-ce que c’est vraiment ça qu’on veut pour le Québec, alors que, sur le terrain, les réalités sont très différentes?

Les modifications proposées par le présent projet de loi n’ont rien de léger. Elles sont substantielles. Certains diraient «substantives», tellement elles changent le régime juridique civil sur le fond et non seulement sur le strict plan de la procédure. Nous n’hésitons pas à affirmer qu’à notre connaissance certaines des modifications proposées sont uniques au monde et constituent de dangereux précédents, celles particulièrement concernant la provision pour frais, prévue à l’article 54.4.5°, et la responsabilité personnelle des dirigeants et administrateurs, visée à l’article 54… au premier paragraphe de l’article 54.6. Nous nous opposons fermement à l’adoption par l’Assemblée nationale de ces deux dispositions qui nous apparaissent comme complètement disproportionnées par rapport à un problème dont l’existence, en ce qui a trait aux poursuites-bâillons, à tout le moins, reste à démontrer.

En ce qui concerne la provision pour frais visée à l’article 54.4.5°, sa portée nous semble beaucoup trop large. En effet, on ne vise pas seulement les parties faisant l’objet d’abus de procédure ici, mais toute personne qui se trouve dans une situation économique telle qu’elle est dans l’impossibilité de faire valoir son point de vue, donc même en l’absence d’abus de procédure. En vertu de cette disposition, les seuls autres critères qu’un tribunal doit observer avant d’ordonner l’octroi d’une provision pour frais sont, un, l’existence de motifs sérieux, tel que ça apparaît dans l’alinéa 5°, et, deux, le fait que les circonstances le justifient. Or, les tribunaux québécois et canadiens n’ont pas hésité à reconnaître des provisions pour frais par le passé. Par exemple, dans le jugement de la Cour d’appel, l’arrêt Hétu, le juge Dalphond disait ce qui suit ? début de la citation: «Je suis [...] d’avis, disait-il, que l’octroi d’une provision pour frais, correspondant à une partie des honoraires extrajudiciaires raisonnables anticipés, demeure possible en vertu de l’article 46 [du] Code de procédure civile si la partie qui la sollicite établit qu’elle est si dépourvue de ressources qu’elle serait incapable, sans cette ordonnance, de faire entendre sa cause et que la procédure de l’autre partie apparaît prima facie abusive; en d’autres mots, qu’il existe des circonstances suffisamment spéciales pour que le tribunal soit convaincu que “la sauvegarde de ses droits” justifie l’exercice du large pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 46 [du] Code de procédure civile.» Fin de la citation.

Bien qu’il soit légitime et même souhaitable ? et encore une fois on salue l’intention du gouvernement ? de s’attaquer aux abus de procédure, la codification de l’octroi de provisions pour frais, à l’article 54.4.5°, crée une incitation selon nous aux poursuites alors que le droit d’action en cette matière a été déjà reconnu par la jurisprudence mais seulement dans les cas d’abus de droit, d’abus de procédure.

Le texte de l’article 54.4.5° n’aurait pas uniquement des conséquences néfastes pour les personnes morales devant payer des provisions pour frais, mais également pour l’administration de la justice. En effet, seul le libellé incertain de la loi proposé contraindrait le juge contre une subvention systématique du débat par la partie la mieux nantie, d’où l’avalanche de requêtes potentielles non fondées ou carrément frivoles.

Comme 54.4.5° serait invoqué en matière interlocutoire, la partie la mieux nantie aurait vraisemblablement à effectuer un déboursé avant que les tribunaux n’aient statué sur le fond, et, si la partie la mieux nantie avait gain de cause sur le fond, la récupération des sommes de la provision serait à nos yeux illusoire. Pourquoi ne pas tout simplement se contenter de codifier les décisions des tribunaux en exigeant notamment la démonstration prima facie du caractère abusif de la procédure et du fait que cette procédure aussi n’a aucune chance raisonnable de succès?

Pour ce qui est de la responsabilité personnelle des dirigeants et administrateurs ? je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas seulement des administrateurs de grande entreprise, mais de toute organisation qui a des administrateurs ou des dirigeants ? il nous semble complètement disproportionné de faire supporter à des dirigeants ou des administrateurs de divers types d’organisation, à titre personnel, le poids des dommages-intérêts qui pourraient être imposés selon le bon vouloir d’un juge. C’est pourtant ce que vise à faire le premier paragraphe de l’article 54.6. Une telle disposition pourrait, entre autres, nuire à une défense pleine et entière des personnes morales parce qu’à ce moment-là les administrateurs et les dirigeants se retrouveraient dans une situation de conflit d’intérêts, certains voulant que l’organisation ait une attitude moins agressive parce qu’ils ne voudraient pas se retrouver eux-mêmes dans une situation où leur responsabilité personnelle serait engagée, ce qui créerait aussi une pression sur les primes d’assurance responsabilité des administrateurs et des dirigeants.

Alors, on sait que, depuis Sarbanes-Oxley et autres réglementations un peu partout dans le monde, il y a un fardeau déjà lourd que doivent supporter les dirigeants et administrateurs. Alors, on pense que c’est ajouter à ce fardeau-là. Et même je dirais que, sur le plan de l’attractivité des investissements étrangers, ça rajouterait encore à cette faible attractivité qu’on a, parce qu’il faut regarder les chiffres comme ils sont, nous n’avons pas notre part d’investissements étrangers, loin de là. Alors, ça pourrait être perçu comme un fardeau sur les administrateurs et les dirigeants d’entreprise supérieur aux autres juridictions, et la seule au Canada avec de telles responsabilités.

D’autres dispositions nous apparaissent aussi inéquitables. Je mentionne rapidement le fait, par exemple, qu’à l’article 54.1 le tribunal peut même d’office déclarer qu’une procédure est abusive. Ça nous apparaît un peu exagéré, et je pense qu’on aurait avantage à retirer cette disposition.

Il y a d’autres dispositions qu’on pourrait critiquer, mais ça relève quasiment de la cosmétique. Pour nous, ce qui est important vraiment, c’est les articles 54.4, l’alinéa 5°, et le premier paragraphe de 54.6. Ça, ça nous semble être les priorités. Mais pour nous ça doit être revu et corrigé dans ce sens-là. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Audet. Merci, M. Kelly-Gagnon. Donc, sans plus tarder, on va débuter la période d’échange avec le ministre. M. le ministre.

M. Dupuis: Oui, Mme la Présidente. Je sais que mes collègues ministériels veulent poser des questions. Alors, je vais tout de même faire un certain nombre de remarques.

M. Audet et M. Kelly-Gagnon, merci beaucoup pour la présentation. J’oserai dire «Me Kelly-Gagnon et Me Audet» puisque vous avez indiqué avoir été les élèves de mon ami Daniel alors qu’il était professeur. On ne vous en tiendra pas rigueur, là, faites-vous-en pas.

M. Turp: Moi, je suis fier.

n(14 h 20)n

M. Dupuis: Vous savez, ce matin, il y avait des groupes qui sont venus en commission parlementaire qui étaient évidemment d’une opinion tout à fait, tout à fait différente de la vôtre, je dirais même à l’opposé de votre opinion, nous disant même que nous n’allions pas assez loin dans le projet de loi qu’on avait déposé. Ceci simplement pour vous dire que, dans la chaise que nous occupons ? là, je parle des deux côtés de la Chambre et de la salle de commission ? on essaie, quand on dépose une législation qu’on estime être pertinente, on essaie quand même de garder un juste milieu dans les dispositions.

Je veux vous rassurer sur un fait, nous n’avons pas l’intention de protéger le libelle diffamatoire, j’ai eu l’occasion de le dire ce matin. Il n’est pas question de protéger des gens qui feraient des déclarations publiques de la nature d’un libelle diffamatoire. Pas question de ça. Ce qu’il est question de protéger dans les dispositions qu’on a déposées, c’est la libre expression juridiquement, légitimement et légalement exprimée, et je suis certain, moi, que vos membres n’ont pas d’objection très certainement à ce qu’il se fasse un débat public sur certains projets qu’ils veulent entreprendre, à la condition bien sûr que le débat se fasse sur des enjeux qui soient de réels enjeux. C’est la raison pour laquelle on a déposé ces dispositions-là.

Là, vous autres, vous me donnez un choix, soit le choix d’accepter vos félicitations d’avoir déposé ce projet de loi là ou vos critiques de vouloir le faire adopter. Je vais choisir, moi, bien respectueusement aux deux, je vais choisir de garder vos félicitations d’avoir déposé le projet de loi. Ceci étant, ceci étant, ça ne veut pas dire que je ne suis pas ouvert à la discussion, aux suggestions qui pourraient m’être faites pour l’améliorer, l’améliorer dans le sens de vos représentations ou l’améliorer dans le sens des représentations des groupes qui sont à l’opposé de vous, mais je vais toujours chercher à essayer de garder un juste milieu.

Pour la provision pour frais… non, sur les administrateurs, vous savez, moi, là, je ne crée pas de droit nouveau avec les dispositions sur les administrateurs puisque, dans le Code civil… Je vais vous lire l’article 337. Vous le connaissez aussi bien que moi, j’imagine. «Tout administrateur est responsable, avec ses coadministrateurs, des décisions du conseil d’administration, à moins qu’il n’ait fait consigner sa dissidence au procès-verbal des délibérations ou à ce qui en tient lieu.» En fait, ce qu’on fait dans les dispositions qu’on a déposées, c’est permettre que les administrateurs qui auraient participé à la décision d’introduire une instance qui serait une instance abusive… ? là, j’emploie évidemment le conditionnel à escient ? pourraient être personnellement condamnés à payer des dommages-intérêts, mais l’administrateur aura toujours une défense à faire valoir, la défense de s’être objecté à cette décision-là au conseil ou d’avoir inscrit sa dissidence sur la décision de poursuivre au conseil.

Au fond, vous avez dit dans votre présentation: Il n’y a pas d’épidémie. Je vous le concède, il n’y a pas d’épidémie de poursuites qu’on pourrait qualifier de poursuites-bâillons, on s’entend là-dessus, sauf que nous nous sommes entendus, des deux côtés de la Chambre ? c’est assez important de le dire ? sur le fait que, plutôt que de laisser le phénomène… Parce qu’il y a un phénomène de poursuites-bâillons, cependant. En Amérique du Nord, on l’a constaté, il y a 26 États américains qui ont jugé pertinent de déposer une législation en cette matière-là. Je ne veux pas qualifier ce qu’on a, au Québec, comme poursuites, mais il y a très certainement des gens qui prétendent avoir été victimes de poursuites-bâillons.

Il n’y a pas d’épidémie, je vous le concède, mais, pour une fois que le gouvernement réagit ? le gouvernement, là, je ne fais pas de partisanerie non plus ? pour une fois que l’Assemblée nationale réagit avant que le phénomène ne devienne soit de nature épidémique ou soit en quantité importante, enfin voilà des législateurs ? j’inclus mes collègues de l’opposition ? voilà des législateurs qui décident d’intervenir avant que le phénomène prenne de l’ampleur. Et, très honnêtement avec vous ? là, je m’adresse au Conseil du patronat et à vos membres par votre voie ? très honnêtement nous avons l’impression d’être allés quand même de façon correcte et pondérée dans les dispositions qu’on a déposées. Pas de droit nouveau en ce qui concerne les administrateurs.

Pour la provision pour frais ? je termine là-dessus ? pour la provision pour frais, la question, c’était de savoir: Lorsque quelqu’un est poursuivi et prétend que la poursuite est une poursuite-bâillon, est-ce qu’il peut avoir les moyens de se pourvoir devant le tribunal pour le faire valoir? On avait deux choix, soit créer un fonds, avec évidemment tous les contribuables y participant par le biais de leurs impôts, ou une provision pour frais dont le présumé SLAPPer deviendrait le payeur. On a choisi cette opportunité-là mais toujours dans le cas évidemment où la poursuite est estimée par un tribunal être une poursuite abusive.

Donc, dans les circonstances, honnêtement, on pense qu’on est allés quand même… qu’on a ciblé correctement. Je sais que vous n’êtes pas d’accord avec tout ça, je n’ai pas de problème avec ça. Vous pouvez continuer à nous faire des représentations, ça nous fera plaisir de les recevoir. Le processus va se continuer. On va revenir, en commission parlementaire, à ce qu’on appelle l’article par article avec des amendements qu’on a déjà annoncés, et donc ça nous fera plaisir de vous revoir.

Je me tais pour l’instant. Vous pouvez commenter sur ce que j’ai dit, mais je vais laisser mes collègues ensuite, avec la permission de la présidente, poser leurs questions. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Thériault): M. Kelly-Gagnon.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Bien, moi, la première fois qu’on m’avait soumis cette initiative-là, il y a plusieurs mois de ça, j’avais eu un peu la réaction que vous dites. C’est-à-dire, moi, je regardais ça puis je m’étais dit: Ouais… Je voyais une couple d’affaires, mais ça ne m’a pas excité plus que ça. Mais par après il y a eu des avocats patronaux, vous savez comment est-ce que ça marche, hein, je veux dire, nous, on est une organisation, on est une permanence. À la fin, on…

M. Dupuis: Ça téléphone.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Ça téléphone, effectivement. Puis là, bien, il y a du monde qui ont dit: Écoutez, bien, finalement…

M. Dupuis: …téléphone à nous autres aussi.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Ha, ha, ha! Et finalement le feed-back, entre autres, d’avocats patronaux qui avaient étudié pas mal sérieusement la question, et qui ont eu, je vous le dis bien franchement, des mots très durs sur ce projet de loi là, et qui nous ont dit qu’à leur avis il y avait des points où ça allait vraiment beaucoup trop loin puis où il fallait réagir…

Alors, moi, j’ai pris acte de ces commentaires-là et je vous avais fait relais. Mais les gens qui nous ont soumis ces commentaires-là, je veux dire, par ailleurs, ce n’est pas des gens déraisonnables. Il y en a même un qui a été un membre illustre de l’Assemblée nationale pendant plusieurs années et qui… Je veux dire, ils nous ont dit: Écoutez, ça n’a pas d’allure, vous devez réagir. Alors, moi, je pense que, dans ce contexte-là, j’entends vos représentations de dire que le projet de loi est équilibré et balancé, je suis sûr que vous avez fait un effort pour qu’il soit équilibré puis balancé, mais encore une fois le feed-back sur le terrain de gens qui ont étudié ça, qui ont parlé avec leurs clients, c’est qu’il y a vraiment des aspects, dont certains soulevés par mon collègue, qui, du point de vue de nos membres… Eux autres pensent que ça ne marche pas.

Alors, écoutez, évidemment, de l’autre bord, ils poussent, nous, on pousse, vous, vous ferez vos arbitrages, mais, moi, je vous dis que ce qu’on a… Autrement dit, le sens de mon commentaire, c’est qu’on n’est pas arrivés en se levant un matin en disant: Bon, écoute, qu’est-ce qu’on fait à matin, Daniel? Bon, O.K., on se fait-u un petit mémoire sur le projet n° 99? Ça me tente d’aller parler au ministre de la Justice, on va aller jaser avec. Ce n’est pas de même que ça s’est passé. On a eu des membres, plusieurs membres qui, dans des termes très forts, nous ont exprimé des préoccupations réelles. Alors, ou bien eux ont une mauvaise perception puis une mauvaise compréhension, ce qui est possible, ou bien ils ont raison. Puis, s’ils ont raison, bien ça veut dire que c’est peut-être vous autres qui devriez réviser une couple d’affaires.

M. Dupuis: Mais croyez bien, Michel, croyez bien, Michel, que je ne doute pas deux secondes et quart de votre sincérité et du fait que vous vous présentez en commission en ayant bien sûr requis de vos membres ou de certains de vos membres des avis qui vous permettent d’affirmer ce que vous affirmez, d’autant plus que je connais votre compétence à tous les deux. Mais n’interprétez pas mes paroles comme étant un jugement à votre égard ou à l’égard de vos membres d’une quelconque façon.

La seule chose que je disais, c’est: bien, moi, je suis persuadé aussi que vos membres sont très certainement d’accord avec le fait que, dans la société québécoise, les gens puissent s’exprimer librement, faire preuve de leurs opinions libres. Ce qu’on ne veut pas, c’est que, dans notre société québécoise, il y ait des déclarations qui sont de la nature du libelle diffamatoire qui soient faites à l’égard de gens que vous représentiez, de la même façon qu’on ne veut pas que les gens que vous représentez, pour une quelconque raison, empêchent des gens qui auraient des déclarations légitimes à faire de les faire. Je veux dire, à l’intérieur de ce couloir-là, c’est certain qu’il peut y avoir des dispositions qui choquent, au sens juridique du terme, vos membres, et, nous, on est prêts à regarder ça avec eux mais toujours dans…

Nous, dans le fond on est condamnés ? puis on aime ça en plus, l’être ? on est condamnés à faire la part des choses puis à n’envisager que l’intérêt public. Et souvent les politiciens sont décriés parce que les politiciens doivent toujours trancher en faveur de l’intérêt public. Ce faisant, souvent, malheureusement, on tranche en la défaveur de certains intérêts privés. C’est ça dans le fond, hein, la base de notre engagement. Mais je comprends bien ça.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. M. Audet.

n(14 h 30)n

M. Audet (Daniel): Oui. Ce sont des arbitrages qui ne sont pas toujours faciles à faire, mais il faut les faire, effectivement, et c’est votre travail de le faire, les parlementaires. Mais je vous soumets quand même bien respectueusement qu’à 54.4 les modifications qu’on suggère sont mineures mais feraient tout un monde de différence pour nos membres justement qui nous ont appelés en ajoutant… Parce que, là, le seul critère, c’est «pour des motifs sérieux». Alors, à 54.4, à la première ligne, «Le tribunal peut, s’il l’estime approprié», si on rajoutait les mots «dans les cas d’abus», comme on fait à 54.3, à mon sens le problème serait réglé.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Audet. M. le ministre.

M. Dupuis: On n’est pas fermés à ça, Daniel. On n’est pas fermés à ça.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. J’ai maintenant le député de Robert-Baldwin qui veut intervenir, en vous indiquant qu’il vous reste 5 min 30 s.

M. Marsan: Merci, Mme la Présidente. Et merci puis salutations, M. Kelly-Gagnon, M. Audet.

Par rapport à toujours cet article du 54.4, vous nous dites: Bien, ce n’est pas si majeur que ça, mais en même temps vous nous dites dans votre mémoire: «[Bien,] nous n’hésitons pas à affirmer qu’à notre connaissance certaines des modifications proposées sont uniques au monde et constituent de dangereux précédents…»

Le ministre tantôt nous disait qu’il y a au moins 26 États américains qui ont…

Une voix: …

M. Marsan: … ? 27? bon ? qui ont passé une législation dans ce sens-là. Alors, j’essaie de concilier ce que vous nous dites d’un côté, que c’est juste un amendement mineur à apporter, puis de l’autre côté, bien, c’est un dangereux précédent puis c’est bien grave. Pouvez-vous expliquer davantage, s’il vous plaît?

La Présidente (Mme Thériault): M. Audet.

M. Audet (Daniel): Oui. Dans l’économie générale du projet de loi, je pense que c’est des amendements mineurs. Je pense que le projet de loi lui-même est un événement majeur dans le corpus législatif. Mais, avec certains ajustements, on considère qu’il y a moyen d’éviter certains irritants, et ceux qu’on propose à 54.4.5° et 54.6, le premier paragraphe, nous permettent d’éviter ça.

Mais je pense que, sur le terrain, la réalité juridique ou judiciaire aux États-Unis et au Canada, et encore plus au Québec, est très, très différente. On vit sur le même continent, je suis bien conscient de ça, mais vous savez que le comportement des Américains, en termes judiciaires, est extrêmement différent du nôtre, puis je ne pense pas que… Il y a des règles juridiques ou de procédure civile qui existent aussi, qui empêchent que ça devienne comme ça, et je ne pense pas que c’est dans la mentalité des Canadiens ou des Québécois de pousser à bout ces moyens juridiques là.

Alors, je donnais l’exemple de la Californie parce que, de tous les règlements anti-SLAPP que j’ai regardés, c’est celle qui me semblait la plus développée et puis aussi la plus absurde parce qu’aux deux ans on ajoute un amendement pour réparer les excès qu’a créés celui d’avant. Alors, est-ce qu’on va suivre le même chemin? Est-ce qu’on va adopter ça, puis après on va se rendre compte qu’effectivement il y a un engorgement des tribunaux, puis on va adopter une autre procédure, etc.? Donc, les deux réalités, américaine et canadienne, québécoise, sont différentes.

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre.

M. Dupuis: Me Audet ? ou M. Audet, comme vous le préférez ? vous avez raison, l’exemple californien est exactement l’exemple d’une législation qui est extrêmement détaillée. C’est ça qu’on n’a pas voulu faire ici. On a voulu laisser… Ce matin, il y avait des gens qui nous suggéraient, il y a des groupes qui nous ont suggéré, ce matin, d’entrer dans les dispositions une définition de ce qu’est une poursuite abusive, et, moi, je disais: Mon réflexe à moi, c’est le suivant: à partir du moment où on définit ce qu’est une poursuite abusive, on la rend restrictive, et ça ne fait pas son effet. C’est pour ça qu’on a voulu une interprétation qui est la plus large possible, justement pour ne pas aller dans le trop précis et risquer les difficultés que vous avez constatées quand vous avez regardé la législation californienne. Alors ça, on a eu le souci de ça.

Maintenant, je veux terminer peut-être la discussion qu’on a ensemble en résumant de la façon suivante vos représentations ? je le fais avec le sourire, mais peut-être vous allez être d’accord avec ça: dans le fond, ce que vous me dites, là, c’est: nous autres, on aimerait mieux qu’il n’y en ait pas une, législation, là, mais, tant qu’à en avoir une, voici les irritants qu’on a prévus, puis on sera capables de vivre avec, mais regardez donc les irritants. C’est un peu ça que vous dites.

La Présidente (Mme Thériault): M. Audet.

M. Audet (Daniel): Oui, effectivement.

M. Dupuis: J’aimerais mieux que vous le disiez que le montrer parce que…

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Audet (Daniel): Non, mais…

M. Dupuis: Merci. Merci beaucoup.

M. Audet (Daniel): M. le ministre, c’est effectivement ça, la réalité.

M. Dupuis: Merci beaucoup. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Alors, ça va pour la partie ministérielle?

M. Dupuis: Oui.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, on va aller maintenant du côté de l’opposition officielle. M. le député de Saint-Hyacinthe, vous avez 15 minutes devant vous.

M. L’Écuyer: Bien, merci, Mme la Présidente. Alors, d’entrée de jeu, je vous salue, en fait, Me Kelly-Gagnon et Me Daniel Audet.

Lorsqu’on regarde en fait la voie adoptée par le ministre dans le projet de loi n° 1999, vous avez quand même… loi n° 99, vous avez sûrement pris connaissance du rapport Macdonald et vous avez quand même pris connaissance des voies qu’il proposait. Est-ce que le projet de loi n° 99 va dans les trois propositions que prévoyait Macdonald, selon vous?

Le Président (M. Marsan): Alors, Me Audet.

M. Audet (Daniel): Oui. Jusqu’à un certain point, le projet de loi va plus loin parce qu’on voit, à la lecture rapide du projet de loi, que dans le fond ça ne vise pas seulement les SLAPP ou les poursuites-bâillons, mais bien tous les abus de procédure. Nous, on conçoit que dans le fond, si on est pour s’attaquer aux abus de procédure, aussi bien le faire pour tout le monde et pas seulement pour ceux qui sont victimes d’une poursuite-bâillon. C’est ce que vous avez fait, vous avez décidé de prendre cette voie-là, malgré le titre du projet de loi, qui laisse entendre que c’est les abus de procédure qui sont… les poursuites-bâillons qui sont visées uniquement. Mais donc ça, à ma souvenance, le rapport Macdonald ne mentionnait pas cet aspect-là des choses.

M. L’Écuyer: Et croyez-vous…

Le Président (M. Marsan): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Oui. Merci, M. le Président. Croyez-vous que déjà, avec les outils qu’on avait avec 75.1 et 75.2, on était quand même assez bien outillés pour faire face aux abus de procédure?

Le Président (M. Marsan): Me Audet.

M. Audet (Daniel): Je pense qu’on l’était suffisamment, dans la mesure où, comme je le mentionnais tantôt, il y a eu quand même des décisions des tribunaux supérieurs ? il y en a eu plusieurs ? où des provisions pour frais, par exemple, avaient été octroyées mais selon certains critères précis, et, parmi ceux-ci, l’abus de droit devait être démontré de façon prima facie. Alors, on se demande si c’était vraiment nécessaire de légiférer, en plus de ça, avec des critères qui nous apparaissent, bien respectueusement, nous, un peu vagues, un peu incertains.

Le Président (M. Marsan): Me Kelly-Gagnon.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Ceci étant dit, moi, je pense ? en tout cas, c’est ma compréhension ? que, tu sais, on ne fera pas l’histoire, là, on est rendus là ou on est rendus. Il va y avoir un projet de loi là-dessus. Ça fait que, nous autres, on est plus dans un mode de «damage control» puis d’essayer de… Ça fait que, tu sais, est-ce que 75 était suffisant à l’époque? Peut-être, mais…

M. Dupuis: …fait des progrès depuis que vous avez été étudiants de Daniel Turp, hein, vous êtes plus réalistes.

Le Président (M. Marsan): M. le député…

M. Kelly-Gagnon (Michel): Je n’aurais pas dû dire «damage control», j’aurais dû dire «contrôle des dommages potentiels».

M. Dupuis: Faites-vous-en pas, il va vous le reprocher tantôt.

Le Président (M. Marsan): La parole est au député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Il y a quand même une chose, par exemple. C’est beau d’avoir un projet de loi, mais pensez-vous qu’on peut l’appliquer comme il faut, le projet de loi n° 99, tel qu’il est libellé? Selon moi, j’ai certaines réticences, un peu comme vous.

M. Audet (Daniel): Bien, selon nous aussi. C’est pour ça qu’on propose les amendements qu’on propose, parce que, l’engorgement des tribunaux, je pense que c’est une menace réelle, tel que libellé en ce moment, et même chose pour le fardeau supplémentaire qu’on fait supporter sur les épaules des administrateurs et des dirigeants d’organisation. Alors, tout peut s’appliquer, toute loi peut s’appliquer, mais ces dispositions-là à notre avis sont un peu lourdes. Et celle aussi où on dit que le juge ou le tribunal peut même d’office déclarer qu’il s’agit d’un abus de procédure ou une poursuite-bâillon, je ne me souviens pas, mais ça nous semble un peu fort. À 54.1, oui, abusif.

Le Président (M. Marsan): Alors, M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: M. le Président, vous avez fait quand même une étude au sujet de ce qui s’est passé, avec un bon éclairage au niveau de la Colombie-Britannique et plus particulièrement aussi la loi californienne, et vous arrivez avec ce que… c’est la première fois que je… le «SLAPPback». Est-ce que vous avez…

Une voix:«SLAPPback»?

M. L’Écuyer: Oui. Vous avez quand même étudié davantage ce phénomène-là qui arrive habituellement lorsqu’une personne est poursuivie et prétend avoir été l’objet d’une procédure, pour contrer ce soi-disant accusé d’une procédure-bâillon. Par la suite, il y a une autre procédure qui s’appelle le «SLAPPback». Est-ce que vous pouvez quand même préciser davantage?

M. Audet (Daniel): Exactement. Bien, c’est quelque chose…

n(14 h 40)n

Le Président (M. Marsan): Me Audet.

M. Audet (Daniel): C’est une tendance qui est de plus en plus courante aux États-Unis, c’est-à-dire que ce n’est pas seulement la Californie, il y a d’autres juridictions aussi qui offrent cette possibilité-là qui est celle d’effectivement «SLAPPback». Et, quand on pense à l’acronyme SLAPP, qui veut dire «gifle» littéralement, on peut imaginer ce que c’est. Mais c’est effectivement… Une fois que le premier litige est fini puis que c’est réglé, là, le justiciable ou l’association peut prendre un recours en «SLAPPback» pour des dommages, puis des dommages punitifs et autres. Alors, ce n’est pas nécessairement mauvais en soi, mais ce qu’on prétend, nous, c’est que, quand on se met le bras là-dedans, où est-ce que ça finit? L’engrenage finit-il un jour ou au contraire on doit toujours ajouter une procédure pour limiter les dommages?

Le Président (M. Marsan): Me Kelly-Gagnon.

M. Kelly-Gagnon (Michel): Oui. Quand on regarde les cas concrets même au Québec, en tout cas le seul que j’avais suivi un peu: le gars écrit dans un livre qu’il y a une compagnie X qui s’est rendue coupable de génocide. Là, tu sais, génocide, je veux dire, ce n’est pas juste qu’ils n’ont pas été gentils, là, un génocide. Et là, là, il y a une poursuite, puis là il dit: Ah! bien, moi, je suis allé sur Internet puis, sur Internet, j’ai trouvé que c’est ça que ça disait. Bien là, tu sais, je veux dire… En tout cas, moi, avant, moi, que je sorte pour accuser quelqu’un de génocide, j’essaierais de faire plus que Google, il me semble. Mais en tout cas.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Merci, M. le Président. Parce que je vois quand même dans votre mémoire: «Voulons-nous vraiment engorger davantage nos tribunaux par des requêtes préliminaires à n’en plus finir?» C’est la crainte de la procédure. Si effectivement on adopte tel quel le projet de loi n° 99, c’est la crainte que vous avez, la première crainte. Croyez-vous qu’en ce faisant on ne rend pas service justement aux gens qui peuvent être victimes de poursuites antibailleurs de fonds… antibailleurs?

Le Président (M. Marsan): Me Audet.

M. Audet (Daniel): Oui. Bien, c’est l’inquiétude qu’on a, parce que ça représente beaucoup de coûts pour l’État, pour le gouvernement… l’État. Pas le gouvernement, mais c’est les tribunaux. Et puis on pense que la situation n’a rien à voir avec les États-Unis, où on n’hésite pas à mettre des fonds considérables dans les tribunaux, dans les procédures judiciaires et où, par effet de conséquence, ça coûte encore beaucoup plus cher. Si vous pensez que ça coûte cher ici, là, se défendre ou poursuivre quelqu’un, bien, aux États-Unis, sortez votre carnet de chèques parce que c’est pas mal plus cher qu’ici.

Alors, jusqu’à un certain point, cette hyperjudiciarisation fait en sorte que tout le système coûte plus cher. Et puis c’est ce qui est arrivé en Colombie-Britannique. C’est pour ça qu’ils ont retiré leur projet de loi, parce qu’il y avait un engorgement des requêtes au niveau de la première instance.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Il me reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Marsan): Il vous reste six, sept minutes.

M. L’Écuyer: Acceptable.

Dans vos conclusions, au point 10, là: «Par conséquent, le Conseil du patronat recommande que les amendements suivants soient apportés au projet de loi n° 99, [c'est-à-dire] retirer complètement l’alinéa 5° de l’article proposé 54.4.» C’est-à-dire, ce que vous voulez retirer, c’est «si les circonstances le justifient et [qu'il] constate qu’une partie se trouve dans une situation économique telle qu’elle est dans l’impossibilité [valablement de] faire valoir son [droit]». Dans le fond, vous faites une analyse avec l’article 46 du Code de procédure civile, et vous citez, sur cet article-là, l’honorable juge Dalphond, et puis vous pensez qu’avec 46 ça règle le problème sans avoir à adopter 54.4, cinquième alinéa.

Le Président (M. Marsan): Me Audet.

M. Audet (Daniel): Exactement. On pense que ça donne le même résultat à la fin du compte.

M. L’Écuyer: Et à votre connaissance est-ce qu’il y a d’autres jurisprudences qui confirment la même position du juge Dalphond?

M. Audet (Daniel): Oui, il y en a quelques-unes. Il y en a une, entre autres, de la Cour suprême du Canada. Je l’ai quelque part, la citation exacte, là, mais il ne me semble pas l’avoir ici.

Une voix: …

M. Audet (Daniel): Oui, c’est ça, c’est ça, Colombie-Britannique. Alors, ministre des Forêts de la Colombie-Britannique contre la bande indienne Okanagan, la Cour suprême du Canada qui réitère le… Parce que la bande indienne d’Okanagan n’avait pas de ressources suffisantes pour faire le débat en quelque sorte et puis défendre ses droits, alors la Cour suprême a autorisé une… ou endossé une décision de la Cour suprême de Colombie-Britannique, je crois, qui allait dans ce sens-là donc pour des provisions pour frais payées, dans ce cas-ci, par l’État de la Colombie-Britannique.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Merci, M. le Président. Me Audet, vous croyez qu’effectivement quelqu’un pourrait se présenter demain et faire une demande en vertu de 46, et il se pourrait facilement que, si une personne prouve qu’elle est en situation économique telle qu’elle est dans l’impossibilité de valablement faire valoir son point de vue, le juge pourrait lui permettre de verser une provision pour frais en vertu de 46?

Le Président (M. Marsan): Me Audet.

M. Audet (Daniel): Oui, mais dans les conditions stipulées par le juge Dalphond, là, que vous venez de citer.

M. Dupuis: Dans des cas…

Le Président (M. Marsan): Excusez. M. le ministre.

M. Dupuis: Quand le droit est prévu par la charte mais pas dans les cas qui ne sont pas prévus par la charte, par exemple un abus de procédure.

M. L’Écuyer: Dans l’affaire Hétu, dans l’affaire Hétu…

M. Dupuis: 43 demandes d’interrogatoire au préalable, par exemple, ce ne serait pas sanctionné.

Le Président (M. Marsan): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Mais, dans l’affaire Hétu, l’affaire Hétu, est-ce que vous avez étudié l’affaire Hétu?

M. Audet (Daniel): Ce n’était pas seulement une question constitutionnelle dans Hétu, et le juge Dalphond, de la Cour d’appel, a quand même octroyé des frais mais avec certaines conditions, puis la plus importante est peut-être celle de la preuve prima facie des procédures abusives. Si on n’exige pas cette condition-là, bien là ça élargit, on déborde très largement les cas d’abus de procédure.

Le Président (M. Marsan): Dernière question.

M. L’Écuyer: Merci, M. le Président. Alors, dans une dernière question, on va discuter de 54.6, le fameux arrêt Salomon c. Salomon que tout le monde a appris au début, lorsqu’on était à l’université, en fait la protection d’une corporation. Antérieurement, Me Reid, qu’on a entendu ce matin, qui se posait certaines questions en rapport avec les administrateurs lorsqu’on soulevait le voile corporatif, lui, en tout cas dans le mémoire, là, si j’ai bien compris, ça multipliait un peu les personnes en présence dans un procès, ça multipliait aussi les interventions qu’il pouvait y avoir dans un procès. Est-ce que vous avez pensé… Comment vous avez actualisé cette procédure-là ou l’application de 54.6 dans le cadre d’un procès? C’est-à-dire qu’on est dans une requête où on prétend, on tente d’établir qu’il s’agit d’une poursuite-bâillon et on fait intervenir… Est-ce qu’on fait intervenir immédiatement l’administrateur ou à la toute fin, sans respecter la règle audi alteram partem? Est-ce que vous l’avez étudié dans ce sens-là?

M. Audet (Daniel): On ne l’a pas regardé sous…

Le Président (M. Marsan): Me Audet, rapidement.

n(14 h 50)n

M. Audet (Daniel): Oui. On ne l’a pas regardé sous cet angle, mais on pense que les autres dispositions du projet de loi sont suffisantes pour atteindre les objectifs visés par le projet de loi. Et 54.6, le premier paragraphe ne fait qu’ajouter à ce qui existe déjà concernant la responsabilité des administrateurs et des dirigeants, et normalement le législateur, vous êtes bien placés pour le… ne parle pas pour ne rien dire, vous êtes bien placés pour le savoir.

Le Président (M. Marsan): Alors, merci. Merci, M. le député de Saint-Hyacinthe. Ça termine les travaux avec l’opposition officielle. Nous allons maintenant laisser la parole au deuxième groupe d’opposition, et le député de Mercier va nous…

M. Dupuis: Enrichir de ses propos.

Le Président (M. Marsan): …enrichir de ses propos. C’est ça.

M. Turp: Merci, M. le Président. D’abord, ça me fait plaisir de vous accueillir. Je suis toujours très fier quand de mes anciens étudiants qui assument les hautes fonctions de président et vice-président du Conseil du patronat du Québec se présentent devant nous, et, moi, j’apprécie la diversité des opinions qui sont présentées devant cette commission. Alors, si on croit à la liberté d’expression, là, bien il faut l’apprécier et apprécier que vous ayez trouvé le temps, pris le temps de consulter vos membres ou en tout cas de les avoir écoutés, après qu’ils aient examiné le projet de loi n° 99, pour nous faire part de leurs vues.

Je vous ferais remarquer que c’est la première fois depuis le début des auditions, là, qu’on laisse entendre que ce projet de loi ne devrait pas exister. Mais là j’ai bien compris, comme le ministre, que je crois que vous allez l’accepter mais que vous souhaitez vraiment des modifications, et ce que vous proposez, c’est des modifications assez majeures, là, et je vais vous expliquer pourquoi j’ai cette interprétation. C’est parce que vous voulez enlever tout ce qui concerne la liberté d’expression. Quand on examine les recommandations précises, là, qui se trouvent à la page 13 de votre mémoire, au paragraphe 10, c’est clair que vous voulez que ce projet de loi ne concerne pas la liberté d’expression et les débats publics. Vous voulez que ce soit un projet qui soit de nature uniquement procédurale concernant les abus de procédure, la question de l’accès à la justice. Donc, c’est un changement majeur. Et peut-être que vous allez pouvoir nous expliquer pourquoi vous voulez faire sauter la liberté d’expression de l’objet même de ce projet de loi.

Puis en même temps il y a une contradiction dans vos propositions parce que vous maintenez le préambule. Vous voulez inverser les paragraphes un et trois. Le deuxième s’y retrouverait, mais là il est question de liberté d’expression, alors que vous voulez éliminer la référence dans le titre, vous l’éliminez aussi dans l’article 54.1. Alors ça, je pense que vous devriez nous éclairer là-dessus. Y a-tu chez vos membres quelque chose qui dit: Regarde, là, la liberté d’expression, ça nous dérange un peu que ce soit protégé davantage par cette loi?

Et je vous dis ça parce qu’en fait ? et je pense que le ministre a évoqué ça au début de ses propos ? parfois le législateur se sent responsable de protéger davantage la liberté d’expression en adoptant une loi, y compris une loi de nature procédurale. C’est bien protégé dans la charte, là, en tout cas théoriquement, il y a un bel énoncé, à l’article 3 de notre charte, sur la liberté d’expression, mais parfois il faut des dispositions additionnelles pour protéger la liberté d’expression et parfois ça passe par des lois. Et, dans ce cas-ci, c’en est une de toute évidence, c’est l’objet de la loi, en tout cas un de ses objets. Et donc j’aimerais peut-être entendre votre réaction là-dessus.

Et je voudrais aussi faire un commentaire qui m’amène à être en désaccord, puis c’est un désaccord assez fondamental, sur une de vos prémisses. Vous nous demandez pourquoi on veut légiférer à la lumière du fait que l’administration de la justice soit à l’image de l’hyperjudiciarisation de la société américaine. Alors, c’est le contraire. Cette loi-ci, elle vise à limiter la judiciarisation, à limiter l’utilisation des tribunaux par ceux qui veulent intenter des poursuites-bâillons. Alors donc, c’est au contraire vouloir empêcher la judiciarisation, l’utilisation des tribunaux à des fins qui détournent la justice et abuser de la fonction judiciaire pour exercer des pressions sur des groupes et des personnes qui participent aux débats publics et le font en invoquant leur liberté d’expression. Alors, j’aimerais ça que vous commentiez cette affirmation.

Puis je veux juste terminer en disant… Peut-être que j’aurai le temps de revenir, mais je veux faire remarquer au président du Conseil du patronat, là, que ses propos sur ceux qui sont inclus dans ce livre, bien je pense… Est-ce que vous l’avez lu, ce livre? Alors, avant de tenir les propos que vous avez tenus sur le contenu de ce livre et de n’invoquer, j’imagine, en faisant ces propos, que des articles de journaux que vous avez lus, je crois que vous devriez faire attention. Votre qualité de président du Conseil du patronat devrait vous amener à exercer plus de retenue en commentant le contenu de ce livre. Et le livre dont je parle, là, c’est Noir Canada, parce que c’est un livre, vous le savez comme moi, dont il est question devant cette commission parce que Les Éditions Écosociété font l’objet d’une poursuite que d’aucuns qualifieraient de poursuite-bâillon.

La Présidente (Mme Thériault): Me Audet.

M. Audet (Daniel): Oui. En ce qui concerne les recommandations sur le retrait de certaines expressions, dans le projet de loi, par exemple, relatives à la liberté d’expression, ce n’est pas un reflet du tout d’une certaine peur de la liberté d’expression par nos membres ou nous-mêmes. Le CPQ a toujours été attaché aux valeurs fondamentales de liberté à tous égards et essentiellement aussi à la liberté d’expression.

Sauf qu’il nous apparaît un peu contradictoire ou en tout cas trompeur, pour le lecteur qui lit le projet de loi, d’utiliser ces expressions, «poursuite-bâillon» et «liberté d’expression», qui n’ajoutent rien dans le fond à l’effet de la loi parce que ça constitue à nos yeux une sorte de droit déclaratoire, et puis dans le fond, quand on regarde au fond du projet de loi, on se rend bien compte que, si ces mots n’étaient pas là, l’application serait sauvegardée intégralement, y inclus pour ceux qui sont victimes de poursuites-bâillons. Alors, on se demande pourquoi on rajoute ces paroles-là, parce que l’application du projet de loi… il est beaucoup plus large que seulement les poursuites-bâillons. Alors, est-ce qu’on crée deux classes de justiciables, de victimes d’abus de procédure, une classe pour les victimes de poursuites-bâillons et une autre classe pour juste les autres victimes d’abus de procédure? Ça, c’est un peu une question que je vous retournerais.

Pour ce qui est de l’hyperjudiciarisation, vous avez un point de vue là-dessus; nous, on en a un autre. On ne sait pas exactement qu’est-ce que sera la situation dans deux ans, dans cinq ans, dans 10 ans, mais, nous, ce qu’on dit, c’est que les critères d’accès à ces dispositions-là sont trop larges, ils sont trop larges, et puis que donc c’est de là que va découler… parce que ça ressemble quand même à ce qu’il y avait en Colombie-Britannique, et puis c’est de là que va découler une avalanche selon nous de requêtes interlocutoires, d’où un pas vers l’hyperjudiciarisation.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Mercier.

M. Turp: C’est vrai que, quand on regarde le projet de loi, il a une portée générale, hein, les abus en général, et donc il facilite la procédure lorsqu’il s’agit de contester l’abus. Donc, votre argument voulant que ça pourra judiciariser davantage le processus vaut, que ça porte ou non sur les poursuites-bâillons. Donc, ça veut dire que quelque part vous avez une objection de fond majeure, là. Vous dites que ce projet de loi, même si on enlevait les choses qui concernent les poursuites-bâillons plus explicitement, par le biais de la référence à la liberté d’expression, pourrait conduire à l’hyperjudiciarisation. C’est ça, votre argument. Et, si vous vouliez être logiques, là, vous diriez: On n’en veut pas, de ce projet de loi là, si on ne veut pas de l’hyperjudiciarisation provoquée par l’existence potentielle de ce recours pour mettre fin à des abus. Mais je comprends que vous dites: Bien, peut-être non, ce ne sera pas nécessairement le cas, donc ce projet de loi peut être acceptable. Et vous craignez qu’on doive faire comme en Colombie-Britannique ou en Californie, qu’on doive relégiférer à nouveau, hein? C’est ce que je comprends.

n(15 heures)n

M. Audet (Daniel): Bien, en fait, ça pourrait avoir cette signification-là s’il n’y avait pas le commentaire qu’on fait concernant 54.6. C’est la provision pour frais, à 54.6, qui n’est pas faite dans le contexte d’un abus de procédure. Ça, ça nous fait peur puis ça, ça peut conduire à l’hyperjudiciarisation selon nous parce que tout ce qu’il faut prouver, à ce moment-là, c’est des motifs sérieux et puis l’impécuniosité d’une des parties. Dans cet article-là 54.4, il n’y a rien qui dit que ces provisions pour frais devraient être dans un cas d’abus de procédure.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député…

M. Audet (Daniel): Alors, nous, on dit…

La Présidente (Mme Thériault): Oh! continuez. Allez.

M. Audet (Daniel): Pardon. Alors, nous, on dit: Ou bien on abroge… pas abroger, mais on retire cet alinéa ou alors on rajoute «en cas d’abus» à la première ligne de l’article.

M. Turp: Alors, Mme la Présidente…

La Présidente (Mme Thériault): Oui, il vous reste deux minutes.

M. Turp: …alors, pour la provision pour frais, là, je comprends qu’il y a un seul amendement. Vous proposez quand même un amendement. Vous acceptez l’idée qu’il y ait des provisions pour frais, mais vous voulez enlever «dans un cas d’abus».

M. Audet (Daniel): De?

M. Turp: Le mot «dans un cas d’abus», à 54… Non, même pas. Je ne vois pas de proposition d’amendement à 54.5. Ça veut-u dire que vous acceptez l’article comme il est sur les…

La Présidente (Mme Thériault): M. Audet.

M. Audet (Daniel): Non, notre recommandation, c’est de retirer complètement l’alinéa 5° parce qu’il est rédigé comme ça en ce moment.

M. Turp: Vous voulez retirer 54.5?

M. Audet (Daniel): Oui, 5°.

M. Turp: Mais ça, ce n’est pas écrit dans votre mémoire, là, 10.

Une voix: Lui, il parle de 54.5.

M. Audet (Daniel): 54.4, cinquième alinéa.

M. Turp: Ah! O.K. Celui-là, vous vouliez le retirer tout simplement.

M. Audet (Daniel): Le retirer. Exactement.

M. Turp: O.K. Donc, vous ne voulez pas de provision pour frais, point.

M. Audet (Daniel): Bien, encore une fois, je reviens à Hétu et d’autres arrêts bien connus qui en ont accordé, pas pour des poursuites-bâillons mais pour des abus de procédure, et je pense que, que ce soit une poursuite-bâillon ou n’importe quel abus de procédure, je pense que ça doit être corrigé par les tribunaux, et une façon de le faire, c’est d’accorder des provisions pour frais aux parties qui ne peuvent pas se… Alors, ce n’est pas du tout contradictoire, l’un englobe l’autre, et puis, nous, on se pose juste des questions, c’est: Pourquoi on parle de deux catégories de justiciables ou de victimes d’abus de procédure? Parce qu’on pense que les poursuites-bâillons doivent être interdites et empêchées par des règles qui concernent tous les abus de procédure. À notre sens, la notion d’abus de procédure doit toujours être présente dans ce genre d’anti-SLAPP.

La Présidente (Mme Thériault): Une quinzaine de secondes, M. le député.

M. Turp: Alors, juste un commentaire pour vous remercier de vos propositions. Puis, je veux juste vous laisser en disant que la loi qui est là, elle vise à dissuader les poursuites-bâillons et les abus de procédure, et ce qu’il nous faut, c’est faire la meilleure loi. Et, la provision pour frais, là, s’il n’y a pas de fonds, c’est pour dissuader des gens peut-être qui sont parmi vos membres ou d’autres de faire de telles poursuites et qui portent atteinte à la liberté d’expression. En tout cas, merci pour votre venue devant cette commission.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, M. Audet, M. Kelly-Gagnon, merci beaucoup de votre présence en commission.

Nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux membres de la commission de vous saluer, et j’inviterai l’Association pour la protection des automobilistes à prendre place, s’il vous plaît. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 5)

(Reprise à 15 h 8)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! Donc, la commission poursuit ses travaux, et nous entendrons l’Association pour la protection des automobilistes. Nous avons M. George Indy, président, qui est avec nous. M. Indy, je vais vous demander, dans un premier temps, de nous présenter la personne qui vous accompagne, et par la suite vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter votre mémoire ou faire valoir vos points de vue, et ce sera suivi d’échanges avec les différentes formations politiques. Donc, le 15 minutes est à vous.

Association pour la protection
des automobilistes (APA)

M. Iny (George): Bonjour. Je suis George Iny, et, à côté de moi, M. Abder Alaoui, qui est un stagiaire à l’Association pour la protection des automobilistes.

L’association a été fondée en 1991. C’est la première association à but non lucratif qui oeuvre pour la protection des automobilistes au Québec. Vous nous connaissez, même ceux qui n’ont pas eu directement affaire avec nous, peut-être par l’entremise de la revue Protégez-Vous… On est le fournisseur de leur guide annuel automobile en avril et aussi plus récemment leur guide actuel sur les pneus. On a eu aussi à intervenir plusieurs fois devant les tribunaux en matière de recours collectifs et pour favoriser l’amélioration soit des pratiques de commerce ou des lois qui régissent des pratiques de commerce. Nous croyons beaucoup au projet de loi et à son importance, et ma présentation, aujourd’hui, d’ailleurs est appuyée par deux autres importantes associations de consommateurs au Québec, soit Option Consommateurs et l’Union des consommateurs.

n(15 h 10)n

Les enquêtes anonymes avec acheteurs-mystères font partie des activités peut-être qui sont au noyau de notre action sociale à l’APA. Alors, certains d’entre vous ont peut-être vu à la télé, par exemple, des enquêtes où on débranche un fil et on fait réparer une voiture avec une caméra qui tourne en dessous du capot. Ça, c’est généralement un travail qui est fait par l’APA ou fait par d’autres mais avec l’APA qui travaille en arrière pour préparer le dossier.

Dans la dernière année, on a eu tous ces discours sur la différence de prix entre les voitures aux États-Unis et au Canada, les différences marquées. Une bonne partie de la recherche de base et certainement une partie des achats anonymes qui ont été faits aux États-Unis pour montrer les différences ont été faits par nos chercheurs. Les méthodes sont sérieuses. Nos enquêtes sont généralement enregistrées sur vidéo ou sur une bande sonore.

On a suivi une formation aux années 1990, à l’époque où l’État coupait son pouvoir d’enquête. Il y en a certains qui se rappellent que le service d’enquête de l’Office de la protection du consommateur a été passé de 25 à cinq enquêteurs. Alors, dans cette période qu’on pourrait parler de compressions, on est venu nous voir pour voir si, dans une certaine mesure, on pouvait prendre la relève, et on a suivi une formation par la suite aussi par certaines forces policières qui avaient à faire des enquêtes aussi.

Le fruit d’une enquête effectuée par l’APA n’est pas une accusation ou une poursuite mais plutôt la publicité. On n’est pas une instance gouvernementale, alors on dépend beaucoup des médias pour publiciser les résultats mais avec l’objectif de corriger une pratique qui serait déloyale ou abusive et aussi d’encourager les commerçants qui s’adonnent à des pratiques qui vont au-delà des minimums exigés, de les identifier, d’encourager le public à identifier les pratiques aussi qui seraient saines.

Cette activité, je dirais… Les poursuites-bâillons sont devenues comme une des conséquences des diffusions des résultats de nos enquêtes ? et là je parle depuis l’an 2000 ? où soit l’association… c’est-à-dire l’association et moi-même avons été poursuivis de montants variables entre 10 millions et 11,2 millions, selon la période, au total. On parle de trois poursuites. Ça comprend aussi le personnel de l’APA, des gens qui n’ont fait aucune déclaration publique dans certains cas, qui n’ont pas signé un rapport dans certains cas mais qui sont quand même poursuivis personnellement.

Là, j’ai trouvé ça une drôle d’ironie. On parlait peut-être, je ne sais pas, que les membres des conseils d’administration, dans le secteur privé, se sentiraient mal à l’aise d’être poursuivis ou d’être impliqués dans une poursuite personnellement. Je dois vous dire, pour nous c’est déjà une réalité par les gens qui nous poursuivent, et ça, même lorsque l’APA n’allègue pas… J’accepte, en étant la personne qui fait une affirmation, que je m’attire une poursuite personnelle, mais on n’a jamais argumenté que notre personnel agissait à l’extérieur de leur mandat ou sans autorisation de l’APA lorsqu’ils faisaient de la recherche, mais ils courent la possibilité d’être poursuivis. Dans un des recours, parce qu’ils n’étaient pas nommés, on ne savait pas qui ils étaient, ils ont été identifiés comme Jean Untel et Jeanne Unetelle. Puis, en interrogatoire, après plusieurs centaines de pages, on a finalement été obligés de les identifier. Alors, maintenant, quand ils font une demande d’hypothèque, ou une carte de crédit, ou autre chose, ils sont obligés de déclarer qu’ils sont poursuivis aussi pour un montant qui excède nettement notre capacité de payer si jamais ce serait gagné.

Les poursuites nuisent aux organismes qui travaillent dans l’intérêt de la société de plusieurs manières: en limitant la liberté d’expression, en limitant l’accès aux médias, en imposant un lourd fardeau financier et moral à l’action sociale légitime, en limitant le recrutement à nos conseils d’administration. À titre d’exemple, et là je parle de l’APA, les avocats qui siègent sur notre conseil, ça ne les dérange pas, une mise en demeure, tellement. Ils veulent savoir s’il y a un mérite ou pas mais pas plus que ça. Mais les personnes en affaires, et c’est là notre lacune, des gens de la petite et moyenne entreprise ont beaucoup à contribuer pour nous parce qu’ils ont une expérience sur la gestion d’entreprise qui peut nous être utile. Ces gens-là n’aiment pas recevoir chez eux, par huissier, une mise en demeure quand on a une raison sociale, et on sait où nous envoyer la mise en demeure. C’est fait, et la pratique malheureusement les ébranle, et c’est quelque chose qu’on doit les avertir avant de les inviter à travailler pour l’association.

Ça limite aussi l’affectation des ressources humaines et le choix des personnes qui peuvent contribuer à une activité d’intérêt public. Je vous ai mentionné déjà le fait qu’un individu qui travaille pour nous, dans le cadre de son travail, qui reste à l’intérieur de son mandat, qui est supervisé, il pourrait être poursuivi personnellement, même sans avoir fait une déclaration publique. Les stagiaires comme M. Alaoui, c’est évident, pour un rapport comme celui-ci, son nom paraîtrait, mais, sur certains de nos rapports, il y a juste mon nom qui paraît dessus. Alors, c’est évident, un des avantages qu’un OSBL peut offrir à quelqu’un, c’est la possibilité de se faire une réputation, de parfaire un peu… c’est-à-dire de multiplier ses connaissances dans un milieu où le travail est surveillé, où il pourrait être respecté. Il ne peut pas le faire pour certaines des activités chez nous parce qu’on ne lui permettrait pas de signer… Je ne peux pas me porter… je ne voudrais pas avoir à me porter garant pour une poursuite contre cette personne, personnellement.

Ça élimine aussi l’accès à l’assurance responsabilité. Et j’ai trouvé ça une drôle d’ironie d’entendre que le secteur privé anticipe que l’assurance va être plus coûteuse. Notre assurance responsabilité aurait coûté 15 000 $, en 1990, par année. Actuellement, la dernière fois que j’ai vérifié, c’était en 2004, on m’a dit 50 000 $, avec une franchise très élevée et pas d’assurance qu’on pourra trouver un réassureur pour l’accepter. Dans le marché actuel, vous pouvez oublier ça. Et ça, c’est pour une association qui n’a jamais eu à avouer une erreur avec une compensation monétaire à ce jour, à l’exception d’une poursuite qui viendra plus loin, où on a avoué une erreur, mais on n’est pas encore rendus au stade des dommages.

Le coût pour se défendre dans trois recours, trois poursuites-bâillons que, nous, on qualifierait sans mérite substantiel, entre 2000 et aujourd’hui, s’élève à plus de 80 000 $. Ça, c’est sans compter les frais pour se préparer pour les interrogatoires, le fait aussi qu’on ne peut pas des fois faire d’autres activités d’enquête parce qu’on doit prévoir toujours un petit noyau de personnel qui pourrait être poursuivi, et alors on ne peut pas nécessairement élargir l’équipe comme on voudrait. Pour les gens qui nous poursuivent, c’est autre chose. Dans un cas, c’est la fédération des concessionnaires, à Ottawa, qui, selon le demandeur, payait tous ses frais d’avocat. Dans un autre cas, c’était le franchiseur.

L’APA est très heureuse de constater l’existence de ce projet. Si on me pose la question, je dois vous dire qu’on vous félicite qu’on voie à la lumière du jour un projet de loi pareil, même si on aurait peut-être voulu en voir un peu plus là-dedans. Somme toute, on croit que l’élément clé, c’est que ce soit adopté. L’exemple de la Colombie-Britannique, on ne voudrait pas le suivre, c’est qu’avec un changement de gouvernement la loi soit abrogée, et je crois que le Québec ici est bien placé pour faire quelque chose quand même d’important.

Parmi ce qu’on pourrait appeler des éléments qui pourraient peut-être bonifier la loi: que l’appel d’une décision intérimaire ou finale dans un recours jugé abusif soit limité ou exclu au demandeur, et la raison, c’est pour éviter que ça devienne automatique qu’on prend un appel. On l’a vu déjà en matière de recours collectifs. Même si ça ne ferait pas partie des amendements ou des… excusez-moi, des changements qu’on voudrait apporter à ce stade-ci, on pourrait le garder en veilleuse pour un amendement éventuel si réellement la pratique de l’appel automatique par les demanderesses commence à s’inculquer dans les pratiques. On voit aussi, par exemple, à la… petites créances qu’il y a des décisions qui sont finales ou sans appel de plein droit. Il y a quand même un droit de révision, mais c’est dans un cas limité de situations.

On a été ravis de voir l’article 54.4 avec la possibilité d’exiger que les frais imposés aux organismes et aux individus soient assumés… j’imagine que c’est par la partie adverse, si le tribunal l’ordonne. Je dirais qu’on pourrait peut-être même songer à augmenter le montant et demander un dépôt, avec le tribunal, d’une somme importante lorsque la demanderesse évalue ses dommages à des montants qui semblent nettement exagérés et que, ce dépôt-là, une partie de cette somme-là pourrait servir peut-être éventuellement, même si la cause est rejetée, si on considère qu’elle est abusive, à soit dédommager les défenderesses ou contribuer de façon générale à l’activité sociale en question.

n(15 h 20)n

J’ai réfléchi avant d’accepter l’invitation pour parler aujourd’hui parce qu’un des soucis que j’avais, c’était qu’on publiciserait le fait que ces poursuites-là nous font mal. On enverrait le message que, oui, vous arrivez à nous affaiblir, et c’est vrai dans une certaine mesure. L’APA n’est pas un organisme d’activistes, un petit groupe ad hoc qui s’est créé. On a quand même un budget qui sillonne entre 800 000 $ et 1 million par année. On a des bureaux à Montréal et à Toronto. Mais, en dépit de cela, les poursuites-bâillons ont quand même… on ressent l’impact de ces poursuites-là.

Je crois que le projet de loi s’encadre dans une série de lois à caractère social et correctif qui font partie un peu du patrimoine législatif qui fait de la société québécoise quelque chose de très spécial, en Amérique en tout cas. On n’a qu’à penser, par exemple, à la Charte des droits qui a été la première à interdire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle de la personne ou, aux années soixante-dix, à la protection de la jeunesse et la réforme des lois avec le signalement qui à l’époque était une notion radicale, qu’on exigeait des gens dans le milieu de la santé de faire un rapport quand ils constataient un cas potentiel d’abus au lieu de le garder confidentiel entre eux et le parent. Je crois que ce projet-là… Les Normes du travail aussi, qui ont introduit quand même une protection qui, je crois, aide beaucoup à établir des minimums sociétaux… Et ce projet de loi pourrait en faire autant. Il est peut-être vrai ? et vous allez avoir des critiques des deux bords, j’imagine, ceux qui sont pour et contre ? qu’elle aurait besoin ou on pourrait… On n’a pas prévu tous les aléas, mais je crois déjà que l’encadrement est là, et au pire aller, s’il faudrait, on pourrait l’amender à l’avenir. On croit beaucoup à ça, et on remercie le ministre de cette possibilité, et on vous remercie tous de nous avoir écoutés. C’est tout.

La Présidente (Mme Thériault): Merci beaucoup, M. Iny. Donc, sans plus tarder, je vais aller du côté du député de Robert-Baldwin.

M. Marsan: Merci, Mme la Présidente. Mes salutations à vous, M. Iny et M. Alaoui. C’est bien ça? Merci de vous être déplacés et de venir devant nous aujourd’hui.

À la lecture de votre mémoire, nous constatons aussi qu’il y a des causes qui sont… ou une cause qui est pendante actuellement en Ontario. Bien que ce soit en Ontario, je voudrais quand même vous souligner que notre formation politique, nous jugeons mieux d’être prudents et, dans ce contexte, nous ne vous questionnerons pas, ce qui ne veut pas dire que nous n’apprécions pas. Et nous vous remercions pour les documents que vous nous avez produits. Nous sommes à l’écoute des commentaires que vous allez continuer de faire au niveau de la commission. Et encore une fois merci de vous être présentés devant nous.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Monsieur…

M. Iny (George): Juste un commentaire. Pour le recours qui est toujours en cours, l’erreur de l’association est avouée, il y a eu une rétractation ainsi qu’un article de longueur égale à l’erreur reprochée. Alors, pour nous, il restait seulement la question des dommages. Il n’y a pas un procès à faire sur le fond, c’est avoué.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, on va aller du côté de l’opposition officielle. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. L’Écuyer: Merci, Mme la Présidente. Alors, merci de votre présence et de nous éclairer sur cette question.

M. Iny, M. Alaoui, j’ai en fait lu votre mémoire avec grand intérêt et, d’entrée de jeu, je voudrais avoir plus de précisions au sujet de votre personnel qui… en fait le personnel… des membres de votre personnel qui ont été poursuivis personnellement, en fait, dans le cadre d’une action. Est-ce que c’est possible d’en parler? Ce n’est pas sub judice? Ce n’est pas en attente? Ce n’est pas en instance? Est-ce que c’est en instance, ce procès-là?

M. Iny (George): Cette partie-là du procès, non.

M. L’Écuyer: Pardon?

M. Iny (George): Cette partie-là du procès, non.

M. L’Écuyer: Non?

M. Iny (George): Parce que, depuis à peu près un mois, ils ne sont plus poursuivis personnellement. La poursuite existe toujours.

M. L’Écuyer: Ah! la poursuite existe sur cette question-là.

M. Iny (George): Oui… Non, pas sur cette question-là. La poursuite est existante, c’est le premier exemple dans nos recours, mais la demanderesse a abandonné…

M. L’Écuyer: Ah! elle a fait un abandon.

M. Iny (George): Après sept ans, oui.

M. L’Écuyer: En fait, elle a retiré sa poursuite contre les…

M. Iny (George): Personnelle contre Jean et Jeanne Untel.

M. L’Écuyer: D’accord. Et la poursuite a été… À la suite d’un interrogatoire, si j’ai bien compris, ces gens-là ont été poursuivis personnellement?

M. Iny (George): Au départ, ils ont été identifiés comme Jean et Jeanne Untel. Quand la cause a été radiée pour inaction depuis 2004, on a pris entente avec la demanderesse d’abandonner cette partie-là de recours, et on ne s’opposerait pas à la demande pour faire revivre la cause.

M. L’Écuyer: Dans le cadre d’une poursuite qui est intentée contre votre association, est-ce que vous êtes poursuivi souvent personnellement ou c’est très occasionnellement, vous-même?

M. Iny (George): Depuis l’an 2000… Non, non, en diffamation, c’est la règle. Si c’est moi qui ai fait la déclaration, je dois être poursuivi, si la déclaration est erronée ou fausse. Ça, ça remonte aux principes même du droit dans cette matière-là. Mais, depuis 2000, je vous dirais qu’il y a eu trois poursuites qui pour nous sont soit sans fondement ou nettement exagérées et qui ne faisaient pas auparavant portrait du milieu dans lequel on travaillait, dans le même genre de travail. Avant ça, depuis plus que 20, 25 années, il y a eu des mises en demeure mais pas de poursuite comme telle. Une poursuite réglée, sans aveu, pour 2 500 $.

M. L’Écuyer: Et je dois comprendre, Mme la Présidente, je dois comprendre qu’effectivement ces poursuites-là sont en fait intentées contre votre association et vous ou bien seulement contre votre association?

M. Iny (George): L’association pour laquelle je travaille. Contre moi personnellement, dans tous les cas; dans certains cas, dans deux des trois cas, contre le média en question. Dans un cas, ils n’ont pas poursuivi Le Journal de Montréal, qui avait quand même publié l’information.

M. L’Écuyer: D’accord. Je dois comprendre quand même que votre association se situe… c’est une association qui est assez proactive. Vous êtes sur une ligne, on peut dire, une ligne d’enquête, vous faites des enquêtes et puis vous dénoncez ouvertement ce qu’un citoyen ? dans le fond, c’est un groupe de pression ? ce que le citoyen ordinaire ne veut pas dénoncer souvent.

M. Iny (George): Ah! mais j’irai plus loin, plus large que ça, ce que les commerçants honnêtes ne peuvent pas dénoncer souvent parce que leurs associations ne les représentent pas toujours. Dans bien des cas, les pistes que nous allons enquêter nous proviennent des gens dans le milieu qui n’acceptent pas certaines pratiques et qui ne savent pas où aller, et, je vous dirai, pour toutes les enquêtes que nous avons faites sur le terrain depuis plus qu’une décennie ? alors, c’est une quinzaine d’années ? que ce soit avec J.E., La facture, Protégez-Vous, pour Industrie Canada, il y a eu, quelque part dans les coulisses, une, ou deux, ou jusqu’à cinq personnes de l’industrie qui collaborent avec nous, de l’industrie enquêtée.

Moi, je n’ai pas cette approche que… Je crois beaucoup à la petite et moyenne entreprise, souvent c’est eux qui nous aident à se former et, dans une certaine mesure, à bâtir notre rigueur, parce que, quand on ne fait pas notre travail, c’est eux qui sont les premiers à le savoir. Ils nous le disent, des fois. Ils vont m’appeler en disant: Avez-vous acheté Le Soleil aujourd’hui? Est-ce que vous avez lu votre journal? Regardez l’annonce à la page 4. Souvent, je n’ai pas acheté Le Soleil ou j’ai vu l’annonce puis je n’ai pas compris l’astuce. Puis souvent ça vient de là que les pistes de solution arrivent. Ces gens-là n’ont pas de voix ici, mais chez nous ils se sentent à l’aise à nous appeler parce qu’on est respectés pour notre travail.

M. L’Écuyer: Et de là en fait la liberté d’expression que vous exercez, c’est-à-dire que vous mobilisez ou publiquement vous dénoncez en fait telle ou telle situation, ce qui a pour effet de recevoir un huissier à votre porte avec une mise en demeure.

M. Iny (George): La mise en demeure ou une poursuite. Mais, je vous dirai, depuis l’an 2000, les choses ont un peu évolué parce que c’est des poursuites pour des très grosses sommes. Les demanderesses avaient toujours la possibilité de faire une demande d’injonction ou, pour nous, de prendre un, je ne sais pas, accès à la justice légitime, demander des dommages qui sont en proportion à la déclaration, pas qui excèdent nettement les… Quand on choisit un montant qui excède notre budget annuel d’opération, ça, ce n’est pas basé sur le tort qu’un individu ou son entreprise aurait subi, c’est autre chose. C’est fait pour d’autres raisons, c’est pour intimider. C’est un abus de droit.

n(15 h 30)n

M. L’Écuyer: Vous avez étudié abondamment le projet de loi n° 99 et vous nous dites dans votre mémoire, à la page 4: «Nous prions…» En fait, je constate que le terme est fort. «Nous prions au ministre de la Justice et aux députés de faire tout [en] leur possible pour qu’il devienne loi.» Alors, si effectivement le projet n° 99 était adopté, quels amendements, les principaux amendements que vous aimeriez qu’on y apporte pour que ce soit, en plus de votre prière, que ce soit quand même… je ne sais pas comment je pourrais appeler ça, dans le fond, au niveau religieux, mais que ce soit extraordinaire, l’extase?

M. Turp: À la page 4… il y a plusieurs projets d’amendement.

M. Iny (George): Il y a quatre possibilités d’amendement. Mais, si on nous pose la question, on félicite le ministre aujourd’hui. Alors, les amendements sont des… On n’est pas les seuls à avoir pensé à ces suggestions-là et on a compris un peu aussi ce matin pourquoi qu’on avait déjà pensé à ces possibilités.

M. L’Écuyer: Et, simplement pour bien préciser quels seraient les rangs que vous donneriez à chacun de vos amendements, le premier amendement que vous aimeriez avoir dans le projet de loi, s’il y a un seul amendement qui serait adopté, ce serait lequel?

M. Iny (George): La possibilité d’exiger le dépôt d’un montant en garantie, mais je pense qu’il est le plus difficile à appliquer. Les trois autres me semblent plus faciles à faire: que certaines décisions intérimaires soient finales, par exemple. Ça, on a des modèles ailleurs, on sait comment ça peut fonctionner et on pourrait l’introduire par amendement même plus loin dans la démarche, après l’adoption.

Pour la question du préambule, le fait qu’il ferait partie de la loi, on n’est pas les seuls à l’avoir mentionné, et j’ai compris ce matin pourquoi il y aurait peut-être des arguments contre cela. Et finalement des mesures transitoires pour s’assurer que ceux qui sont déjà aux prises avec des ennuis peuvent bénéficier de la protection.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. L’Écuyer: Merci. J’ai terminé, madame.

La Présidente (Mme Thériault): Ça va? Merci. M. le député de Mercier.

M. Turp: Merci beaucoup, Mme la Présidente. En pensant à l’Association de protection des automobilistes, est-ce que mon souvenir est bon que M. Edmonston… Phil Edmonston était l’ancien président de l’APA, n’est-ce pas?

M. Iny (George): Oui.

M. Turp: Celui qui a été longtemps le seul député du NPD au Québec, comme l’est M. Mulcair, qui essaie de se faire réélire d’ailleurs ce soir. Est-ce que c’est exact?

M. Iny (George): C’est exact.

M. Turp: Vous êtes son successeur, en quelque sorte?

M. Iny (George): Je le suis. Et vous allez être surpris, mais il est actuellement volontaire sur une ambulance au Panama…

M. Turp: Ah oui!

M. Iny (George): …pour les soins d’urgence médicaux, oui. Il avait fait son service militaire là-bas. Ça fait depuis quelques mois qu’il est… Il est retourné où il avait vécu aux années soixante, avant de venir au Québec.

M. Turp: Ah bon! Et j’espère que ce n’est pas une indiscrétion, mais quel âge a-t-il maintenant, M. Edmonston?

M. Iny (George): Ah! il doit avoir entre 60 et 65 ans, mais il est en superbonne forme. Je l’ai vu en Floride il y a une couple d’années.

M. Turp: En tout cas, vous le saluerez de ma part.

M. Iny (George): Avec plaisir.

M. Turp: On garde des beaux souvenirs de son travail.

M. Iny (George): Ça me fera plaisir.

M. Turp: D’ailleurs, c’était une époque où, votre association, là, on entendait beaucoup parler de vos travaux. C’est vrai encore aujourd’hui, la revue Protégez-Vous et… En tout cas, merci pour votre témoignage parce que c’est intéressant. Il y a beaucoup de gens qui sont venus nous parler de la jurisprudence, là, sur les poursuites-bâillons, mais il n’y a personne qui, à ce jour, nous avait parlé d’affaires pendantes devant les tribunaux ou d’affaires qui ont été réglées hors cour, comme ça semble être dans au moins une des affaires…

M. Iny (George): Deux des trois cas ont été réglés.

M. Turp: …ou deux des trois cas et qui nous démontrent que, tu sais, les poursuites-bâillons, ça peut être intenté, mais ça peut être arrêté, mais ça a pu entre-temps créer pour les associations des problèmes sérieux et des inconvénients majeurs.

M. Iny (George): Et, plus que ça, l’entreprise qui prend la poursuite atteint son objectif: on ne parle plus pendant le recours.

M. Turp: Et, dans votre cas, c’est exactement ça. La conséquence, c’est que l’APA ne peut pas faire le travail qui est le sien, celui de s’intéresser aux pratiques commerciales, à la qualité des services offerts à ceux qui veulent acheter des voitures neuves ou usagées, le service après-vente. Alors donc, si j’ai bien compris, c’est: l’idée de dissuader de telles poursuites par un projet de loi comme le nôtre aurait comme avantage de vous permettre de mieux faire votre travail. Est-ce que c’est ça?

M. Iny (George): L’APA peut faire son travail, mais elle le fait beaucoup plus difficilement dans le contexte actuel, puis il y a des compromis qu’un employé avec 20 ou 25 ans d’expérience accepterait, qu’on ne peut pas imposer à des nouveaux actuellement. Et, vous avez raison, oui, ça rend le travail beaucoup plus difficile, et pour des raisons qui touchent au coeur même de la liberté d’expression. On est quand même… Je vois ce que d’autres ont souffert. Comparé à d’autres, on a quand même les moyens pour se défendre et aussi pour prendre les mesures pour s’assurer que ça va être difficile de gagner une cause contre nous au procès, mais le revers de la médaille… Juste une défense dans un de ces recours, au niveau du procès, quand on me demande, par exemple, 10 années d’entrevues pour montrer un pattern de quelque chose dans mes réponses, on parle d’un procès de deux ou trois semaines avec des experts. Alors, c’est certainement plus que 50 000 $.

M. Turp: Alors, je voudrais évoquer une question avec vous, c’est celle du montant des poursuites, parce qu’il y a des causes pendantes qu’on connaît, où il y a des poursuites de 6 millions, 5 millions. Mais, vous, le premier recours que vous évoquez dans votre mémoire, là, c’est 10 millions de dollars.

M. Iny (George): Oui.

M. Turp: C’était 10 millions de dollars, 5 millions pour les dommages et 5 millions pour des dommages exemplaires. Parce qu’une des questions qu’il faut se poser, c’est: Est-ce qu’une poursuite-bâillon, là… La question qu’on est invités à se poser aussi par certaines personnes: Est-ce qu’on devrait définir ou non la poursuite-bâillon? Mais, je me rappelle, le ministre a fait un commentaire, ce matin, sur l’idée qu’il y a peut-être un indice qu’une poursuite est une poursuite-bâillon du seul fait du montant exigé ou en tout cas évoqué dans la poursuite. Quand c’est une société… J’imagine que l’APA, ce n’est pas une association qui a un budget de millions de dollars, peut-être, là.

M. Iny (George): 800 000 $ à 1 million, selon l’année. C’est ça.

M. Turp: 800 000 $. Mais, quand on poursuit pour 10 millions une société qui a comme budget 800 000 $, on peut penser que c’est de la nature d’une poursuite-bâillon. Est-ce que c’est votre avis que le seul montant, là, excessif ou exagéré, ou en tout cas tellement important, c’est comme un indice de ce que c’est vraiment une poursuite-bâillon?

M. Iny (George): Oui, c’est un indice très fort. J’imagine qu’on pourrait, par hypothèse, imaginer une situation autre, comme quelqu’un qui ignorerait l’étendue possible des dommages. Mais, dans notre cas à nous, les montants sont la preuve d’une poursuite-bâillon, et, au moins dans deux des trois cas, le résultat, qui est zéro, suggère qu’il n’y avait pas un montant justifié de demandé. Quand le montant est gros pour commencer puis la partie quitte la scène, ayant accepté de ne rien recevoir avant le procès, ça suggère que, oui, le montant est exagéré, que le montant approprié aurait été de zéro et pas de recours.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. Turp: Et est-ce que vous êtes en mesure de nous documenter, de nous illustrer quelle influence ça a eu dans l’immédiat, la poursuite de 10 millions? Parce qu’on a invoqué déjà devant nous ? on en parle généralement dans les travaux, dans le rapport Macdonald-Jutras-Noreau, là ? les problèmes d’assurance. Est-ce que, comme association, le fait d’avoir reçu cette poursuite de 10 millions a eu des effets immédiats sur la vie de votre association?

M. Iny (George): Trois ans après le dépôt de la requête, à la demande de mon C.A., je suis allé voir des spécialistes ? ils sont seulement un ou deux au Québec ? pour nous qui pourraient même offrir une police de cette nature: minimum 50 000 $ par année, une très forte franchise et pas de garantie qu’on l’aurait. À l’époque, on ne pouvait pas se permettre 50 000 $ par année pour juste des frais d’assurance, en sus des assurances qu’on avait déjà. En 1990, cette couverture aurait coûté moins de 15 000 $.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. Turp: Et est-ce qu’il y a autre chose que les assurances? Est-ce qu’il y a un impact concret différent des assurances? Parce qu’on nous donne toujours l’exemple des assurances.

M. Iny (George): Oui, réel. Quand j’ai à assembler une équipe pour faire une enquête qui peut être dans cinq villes canadiennes, on est obligés de prendre des cadres de l’APA, du monde qui ne sont pas a priori affectés aux enquêtes pour faire l’enquête. Je dois personnellement être dans une van en train d’écouter chaque visite parce que je dois éventuellement prévoir qu’il y aura une poursuite pour un montant exagéré et que, même si on fait un effort pour corriger une erreur dans le cas où on en ferait une ? sur plus que 1 000 visites, on en a fait une, à ce jour, d’importance qui est avouée ? il y a une possibilité de poursuite. Alors, si un nouveau comme M. Alaoui, qui est quand même formé en droit, démontrerait un intérêt à faire des travaux d’enquête avec nous, on doit y penser deux, trois fois: Est-ce qu’il sera là dans trois ans pour le procès? Où est-ce qu’il sera rendu? On aura besoin d’un témoin. Qu’est-ce que je dois lui donner comme avertissement avant d’accepter la commande? Un contractuel, on doit presque oublier ça parce que ça, c’est quelqu’un qui est là pour une courte période et qui, pour faire son 5 000 $ ou 10 000 $ à 20 $ de l’heure, n’est peut-être pas intéressé à courir le risque d’une poursuite personnelle contre lui qui va durer, la poursuite, cinq ou six années. Techniquement, il doit la déclarer quand il fait des demandes de crédit ou autres.

n(15 h 40)n

M. Turp: Alors, j’essaie de mesurer la conséquence de l’adoption d’une loi comme celle qu’on adopterait. Est-ce qu’une loi comme celle-là… Sur ces questions-là, sur vos méthodes d’enquête, les personnes qui assumeraient la responsabilité de mener des enquêtes, est-ce que vous croyez que ça ferait une différence? Pourriez-vous revenir à des pratiques antérieures parce qu’il y a une loi qui a un caractère dissuasif?

M. Iny (George): À court terme, on ne changerait rien, mais, sur un laps de trois ou cinq années, on verrait qu’est-ce que les tribunaux auraient fait avec. C’est évident, dès la première fois qu’un tribunal demande que les frais soient accordés pour notre défense ou pour la défense d’une autre association, ça nous encouragera, parce que c’est ça, c’est vraiment le levier économique. Ce n’est pas le côté juridique qui nous inquiète. Quant à nous, et là je ne parle pas d’autres associations, nos méthodes d’enquête ressemblent passablement aux enquêteurs gouvernementaux qui nous ont formés pour faire les enquêtes, et parfois l’équipement qu’on dispose est meilleur que le leur parce que c’est fait en partenariat avec des réseaux de télévision. Alors, on a des appareils et des capacités de capter des activités que même, par exemple, l’Office de la protection du consommateur n’a pas quand elle dépose une accusation.

M. Turp: Alors, il reste trois minutes, puis je voulais juste signaler que, moi, j’ai remarqué les quelques projets d’amendement que vous proposez, là, aux pages 4 et 5, notamment l’idée de limiter ou exclure la possibilité d’un appel d’une décision intérimaire ou finale, et là vous faites le parallèle avec la procédure applicable en matière de recours collectifs. Est-ce que c’est très important pour vous que le projet de loi contienne une disposition comme celle-là? Et qu’est-ce qui en justifie l’importance?

M. Iny (George): C’est très important pour l’APA que le projet de loi voie la lumière du jour, qu’il devienne en vigueur. On a vu, avec les dispositions touchant le recours collectif, que l’appel à la Cour suprême était devenu presque automatique par les demanderesses à chaque fois qu’elles perdaient, et c’est pour ça qu’on a introduit cet amendement. On s’attend, parce que c’est parfois les mêmes acteurs, que c’est possible que cette notion de judiciariser, par des tribunaux supérieurs, les démarches pourrait aussi se reproduire ici. Je ne pense pas que ça, c’est hors de l’imaginable, je pense que c’est probable que ça va se faire.

M. Turp: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Ça va?

M. Turp: Merci beaucoup pour votre présence devant la commission.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Alaoui. Merci, M. Iny.

Donc, nous allons suspendre quelques instants pour permettre aux membres de la commission de vous saluer, et je vais demander à la Fédération des chambres de commerce du Québec de bien vouloir s’avancer et de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 43)

(Reprise à 15 h 45)

La Présidente (Mme Thériault): À l’ordre, s’il vous plaît! Donc, la Commission des institutions poursuit ses travaux, et nous accueillons la Fédération des chambres de commerce du Québec, qui est représentée par Mme Caroline St-Jacques, qui est vice-présidente, Affaires publiques et communications, ainsi que Me Marc Paradis, qui est membre. Donc, bienvenue à la Commission des institutions. Vous avez une quinzaine de minutes pour nous présenter votre mémoire ? vous êtes des habitués ? et par la suite il y aura des périodes d’échange avec les trois formations politiques. La parole est à vous.

Fédération des chambres de
commerce du Québec (FCCQ)

Mme St-Jacques (Caroline): Merci. M. le ministre, Mme la Présidente, Mmes, MM. les députés, d’abord merci de nous recevoir en cette veille d’élection fédérale. La Fédération des chambres de commerce du Québec, qui fêtera bientôt ses 100 ans, représente près de 100 000 gens d’affaires et plus de 160 chambres de commerce qui exercent leurs activités dans tous les secteurs de l’économie et sur l’ensemble du territoire. Notre mission est de promouvoir le développement économique du Québec et la liberté d’entreprendre tout en défendant les intérêts de nos membres, ce qui est d’ailleurs l’objet de notre présence aujourd’hui.

Nous commenterons certains aspects du projet de loi n° 99 présentement à l’étude en rappelant, dans un premier temps, certains principes que défend notre organisation puis en vous indiquant les articles spécifiques que nous souhaiterions voir corriger. Les membres de la fédération souhaitent rappeler leurs principaux objectifs, objectifs qui selon nous devraient être tenus en compte lorsque les gouvernements adoptent des lois et règlements.

Le premier objectif: faciliter le développement économique. Une société assure sa croissance et sa prospérité par la richesse qu’elle peut créer. Les entreprises étant au coeur du développement des sociétés, les lois et règlements mis en place par les gouvernements ne devraient donc pas nuire à leur développement. Or, nous sommes d’avis que le projet de loi présentement à l’étude pourrait être de nature à décourager la venue de nouvelles entreprises au Québec, car il pourrait limiter les initiatives des entreprises lorsque vient le temps de défendre leur réputation.

Le second objectif: limiter les barrières au développement économique durable. Les membres de la fédération appuient les principes du développement économique responsable, c’est-à-dire dans le respect du développement social et de l’environnement. Nous croyons que les lois et règlements développés par les gouvernements doivent prendre en considération l’environnement concurrentiel dans lequel évoluent nos entreprises, qui ne se limitent plus seulement au Québec, mais ailleurs au Canada et dans le monde. Dans ce contexte, on note qu’aucune autre province canadienne n’a mis en place de lois et de règlements pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et ayant pour but de favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics. Bien que le problème des poursuites-bâillons soit beaucoup plus important aux États-Unis qu’au Canada, aucune législature, aux États-Unis, n’a instauré de mesures permettant à un tribunal d’ordonner l’octroi de provisions pour frais en l’absence d’abus ou de prévoir que les administrateurs ou dirigeants d’une personne morale puissent être condamnés à payer des dommages-intérêts personnellement.

Le troisième objectif: simplifier les procédures administratives. Depuis plus de 25 ans, les entreprises demandent aux gouvernements de réduire la paperasserie administrative. En février 2008, à la suite du dépôt du Rapport sur la mise en oeuvre des mesures gouvernementales d’allégement réglementaire et administratif, le ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation a indiqué qu’il entendait demeurer à l’écoute des attentes des milieux d’affaires et de leurs besoins prioritaires en matière d’allégement réglementaire et administratif. Nous considérons que le présent projet de loi pourrait ajouter au fardeau réglementaire des entreprises.

Le quatrième objectif: permettre aux entreprises de défendre leur réputation. La réputation de celles-ci représente un capital fort important et de plus en plus tangible dans la conjoncture économique actuelle. La plupart d’entre elles ont toujours soigné leur réputation, et c’est d’autant plus vrai à une époque où l’information voyage instantanément d’un bout à l’autre de la planète. Dans ce contexte, on ne doit pas se surprendre que les entreprises défendent leur réputation lorsque celle-ci est attaquée. C’est pourquoi des entreprises peuvent chercher à faire éclaircir une situation par une partie impartiale, objective et indépendante, soit par un juge dans un tribunal.

La fédération tient à indiquer que les buts visés par le projet de loi n° 99 sont louables. Nous considérons toutefois que les lois et règlements actuels sont suffisants pour protéger les droits des citoyens en matière de liberté d’expression et leur participation aux débats publics. En ce sens, l’actualité des dernières décennies prouve qu’à plusieurs occasions les citoyens se sont mobilisés pour participer à plusieurs débats publics, et ce, dans le cadre de plusieurs projets. Rappelons-nous la mobilisation des citoyens contre le projet Rabaska ou certains projets d’énergie éolienne, pour ne mentionner que ceux-là. Au cours des dernières années, nous avons régulièrement dénoncé ces barrages systématiques à des projets qui contribuent au développement économique du Québec. Nous craignons que le présent projet de loi favorise davantage cette culture de la controverse et contribue à paralyser des projets mobilisateurs pour le Québec.

Alors que l’objectif poursuivi était initialement de prévenir les SLAPP, il semble que le gouvernement a élargi considérablement la portée du projet de loi. À cet égard, nous désirons exprimer certaines inquiétudes par rapport à deux dispositions du projet, soit l’alinéa 54.4.5°, qui prévoit la possibilité, pour un tribunal, d’ordonner le versement d’une provision pour frais à une partie dans une situation économique défavorable, et l’article 54.6, qui prévoit que, si un abus est commis par une personne morale, les administrateurs et dirigeants de celle-ci peuvent être condamnés personnellement au paiement de dommages et intérêts.

L’alinéa 54.4.5° a une portée extrêmement large. On ne vise pas seulement les parties faisant l’objet d’abus procéduraux, mais toute personne qui se trouve dans une situation économique telle qu’elle est dans l’impossibilité de faire valoir son point de vue. Les seuls autres critères qu’un tribunal doit observer avant d’ordonner l’octroi d’une provision pour frais sont l’exercice de motifs sérieux et le fait que les circonstances justifient un tel octroi. Ces deux critères sont plutôt vagues et beaucoup moins contraignants que la preuve d’un abus de procédure.

n(15 h 50)n

La possibilité, pour un tribunal, d’octroyer une provision pour frais n’est pas de droit nouveau, la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel du Québec ont déjà reconnu ce pouvoir inhérent des tribunaux en présence de circonstances exceptionnelles et en vue de sauvegarder les droits d’une partie. Toutefois, ce pouvoir n’a jamais été codifié. De plus, les critères avancés par le projet de loi nous semblent moins exigeants que ceux développés par les tribunaux, qui ne permettent généralement cet octroi que dans des cas où il existe une apparence de droit et que le poids respectif des inconvénients et la nécessité de la mesure en cause le justifient.

D’un point de vue pratique, le libellé de l’alinéa 54.4.5° pose problème pour les raisons suivantes. Bien qu’il soit légitime de s’attaquer aux abus de procédure, cet alinéa, dans sa forme actuelle, crée une incitation aux poursuites alors que le droit d’action en cette matière a déjà été reconnu par la jurisprudence. Une codification législative n’aurait pas uniquement des conséquences néfastes pour les personnes morales devant effectuer ces paiements, mais également pour l’administration de la justice. En effet, dès qu’un débat juridique paraît méritoire aux yeux d’un juge, il pourrait exiger que la partie la plus fortunée subventionne le débat. Cette obligation pourrait devenir un fardeau important pour le système de justice. Alors qu’un des objectifs mentionnés au préambule du projet de loi est d’éviter l’utilisation abusive des tribunaux, il nous semble que, si des provisions pour frais peuvent être octroyées en l’absence d’abus de procédure, les tribunaux risquent d’être encombrés par de nombreuses nouvelles procédures.

Comme la disposition serait invoquée en matière interlocutoire, la partie la plus fortunée aurait vraisemblablement à effectuer un déboursé avant que les tribunaux aient statué sur le bien-fondé du litige. Si la partie plus fortunée avait gain de cause au fond, la récupération des sommes allouées à l’autre partie serait, dans bien des cas, impossible.

Nous convenons qu’il est louable de permettre à une partie demanderesse de pouvoir s’exprimer, même si elle se trouve dans une situation économique défavorable. Toutefois, d’autres options s’offrent déjà à une telle partie. Outre l’accès à l’aide juridique et aux organismes gouvernementaux qui peuvent intervenir en cas d’abus, le recours collectif est accessible, au Québec, par le biais du Fonds d’aide aux recours collectifs. Conséquemment, nous croyons que l’alinéa 54.4.5° devrait être abrogé puisque le droit d’action dans des circonstances exceptionnelles a déjà été reconnu par la jurisprudence ? je vous ai bien entendu, M. le ministre, tout à l’heure.

Une autre disposition du projet de loi mérite une attention particulière. Il s’agit du premier alinéa de l’article 54.6 proposé, qui se lit comme suit: «Lorsque l’abus est le fait d’une personne morale ou d’une personne qui agit en qualité d’administrateur du bien d’autrui, les administrateurs et les dirigeants de la personne morale qui ont participé à la décision ou l’administrateur du bien d’autrui peuvent être condamnés personnellement au paiement des dommages-intérêts.» Cette disposition, si elle était adoptée, constituerait un fardeau supplémentaire sur les épaules des administrateurs et dirigeants de personnes morales québécoises. Contrairement aux autres dispositions du projet de loi, celle-ci ne faisait aucunement partie des recommandations contenues dans le rapport du comité sur les poursuites-bâillons constitué par le ministre de la Justice en 2007. Nous croyons que l’article 54.6 devrait être retiré du projet de loi pour plusieurs raisons.

Au point de vue du principe, il nous semble exagéré de faire supporter à un individu le poids des dommages et intérêts qui pourraient être imposés advenant qu’un tribunal juge qu’une défense est trop musclée. Une telle disposition pourrait nuire à une défense pleine et entière des personnes morales visées. En effet, l’effet multiplicateur des différentes dispositions du projet de loi, combiné à une responsabilité personnelle, pourrait inciter certains administrateurs et dirigeants à exiger que la personne morale offre moins de résistance à certaines poursuites. Cela serait évidemment fait au détriment de la personne morale et, de façon ultime, au détriment des actionnaires ou membres de celle-ci.

En vertu de leurs devoirs fiduciaires, les administrateurs et dirigeants d’une personne morale doivent agir avec prudence et diligence, dans le meilleur intérêt de la personne morale. Toutefois, il est reconnu que les administrateurs n’ont pas à accorder une attention continuelle aux affaires de la compagnie. Il est tout à fait légitime que, dans l’exercice de ses fonctions, un administrateur présume que les dirigeants de la compagnie agissent de façon honnête et de bonne foi. Dans la pratique, ce sont les conseillers juridiques internes qui s’occupent des litiges auxquels est partie la compagnie. Le fardeau potentiel qui pourrait leur être imposé par l’article 54.6 du projet de loi nous semble exagéré. En effet, il nous semble profondément injuste que ceux-ci puissent devoir payer personnellement des dommages et intérêts résultant des actes qu’ils posent afin de défendre, dans l’exercice de leurs fonctions, la personne morale qui les emploie.

En tant qu’association représentant les entreprises de toutes tailles, cette question nous préoccupe d’autant que, suite aux recommandations du rapport Audet sur la gouvernance des PME, nous voulons encourager celles-ci à se doter de comités consultatifs ou conseils d’administration pour les aider à mieux performer. Bref, nous considérons que l’article 54.6 devrait être abrogé.

Globalement et malgré les objectifs louables du projet de loi, la fédération croit que les citoyens n’ont pas besoin d’une nouvelle législation pour exprimer leurs points de vue dans les débats publics et que les nombreuses oppositions citoyennes aux projets de développement économique des dernières années en sont la preuve.

Comme nous l’avons indiqué, le gouvernement doit considérer l’environnement concurrentiel auquel sont confrontées les entreprises québécoises. Dans cet environnement concurrentiel international, la moindre différence réglementaire est prise en compte dans une décision d’investissement. S’il apparaît plus difficile de faire affaire au Québec par rapport à un autre pays, un investissement peut lui échapper. La fédération considère qu’il est primordial de considérer la capacité d’attraction de l’investissement privé international lorsqu’on évalue la mise en oeuvre d’une nouvelle réglementation concernant les entreprises. Les investisseurs privés internationaux comparent différentes régions du globe avant d’arrêter leur décision d’investissement.

Par conséquent, nous demandons au ministre d’évaluer et de s’assurer que la législation actuelle, sans le présent projet de loi, permet aux citoyens de s’exprimer librement, de se mobiliser et de participer pleinement aux débats publics. Dans ce même contexte, nous lui demandons d’évaluer le poids supplémentaire de cette législation sur le fonctionnement de nos tribunaux. Après évaluation, si le ministre devait maintenir la présente législation, nous lui demandons d’apporter les modifications aux articles 54.4.5° et 54.6 tel que nous l’avons suggéré.

Nous vous remercions de votre attention et sommes prêts à répondre à vos questions. Et j’ajoute tout de suite que je ne suis pas avocate, alors je vais laisser beaucoup de place à Me Paradis, à côté de moi.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Mme St-Jacques, pour votre présentation. Donc, sans plus tarder, on va aller aux premiers échanges avec le ministre de la Justice.

M. Dupuis: Néanmoins, vous avez fait une très bonne présentation.

La Présidente (Mme Thériault): En 10 minutes.

M. Dupuis: Je veux vous souhaiter la bienvenue. Pour vous, Mme St-Jacques, c’est un retour à l’Assemblée nationale. Et, à Me Paradis, bienvenue à l’Assemblée.

Très honnêtement avec vous, je vais faire seulement quelques remarques, quelques commentaires auxquels vous pourrez répondre, puis ensuite je vais passer la parole, avec la permission de la présidente, à mes collègues ministériels. Ce qui me fait un peu de peine, peine juridique s’entend, là, ce qui me fait un peu de peine dans votre présentation, c’est que vous présentez votre point de vue, et corrigez-moi si je me trompe, comme si le projet de loi n° 99 était déposé en attaque agressive à l’égard des entreprises que vous représentez, ce qui n’est pas le cas. Honnêtement, là, ce n’est pas dans cet esprit-là qu’on a présenté le projet de loi n° 99. Je l’ai expliqué tantôt puis je pense que ça vaut la peine de le redire pour les gens qui souhaiteraient nous écouter, ou Me Paradis, qui n’était pas présent dans la salle lorsque je l’ai dit.

Le projet de loi n° 99, il ne cherche pas, je l’ai dit régulièrement, il ne cherche pas à protéger le libelle diffamatoire que des gens ou que des groupes pourraient faire dans une déclaration publique à l’endroit de l’une ou l’autre quelconque des entreprises qui sont membres de votre organisation. Ce que le projet de loi n° 99 cherche à faire, c’est permettre, comme vous l’avez souhaité dans votre présentation, qu’il y ait des débats publics qui s’engagent sur des projets qui sont présentés par des entreprises mais des débats publics qui s’engagent sur des enjeux qui sont des enjeux de nature légitime, qui sont des enjeux de société. Donc, on ne cherche pas à protéger le libelle diffamatoire, et ce n’est pas un projet de loi qui est déposé en attaque aux entreprises, pas du tout. Et dans le fond, dans votre présentation, ce que je ressens quand vous présentez votre mémoire, c’est que vous avez l’impression que c’est présenté agressivement à votre endroit, ce qui, je vous assure, n’est pas le cas, d’une part.

D’autre part, bien sûr, à partir du moment, Mme St-Jacques et Me Paradis, où l’Assemblée nationale… Puis j’emploie «l’Assemblée nationale» à escient parce que les deux autres partis ont concouru au moins à la présentation de ce projet de loi là. On verra ensuite, là, dans l’article par article s’ils sont toujours d’accord, mais, dans la présentation, ils ont concouru. Donc, à partir du moment où l’Assemblée nationale présente un projet de loi qui amende le Code de procédure civile pour discipliner ces questions-là, c’est certain qu’on doit aller vers la possibilité, pour une personne qui est poursuivie par une entreprise suite à une déclaration publique…

On veut lui donner la possibilité d’être capable d’ester devant les tribunaux, et c’est pour ça que la provision pour frais a été introduite. On avait le choix, c’était soit un fonds créé à partir du fonds consolidé du revenu ou par une provision pour frais. On a choisi la provision pour frais, et avec les dispositions qui sont indiquées.

Ce que je veux vous dire, en terminant, sur ces commentaires-là: on est toujours prêts à recevoir vos suggestions. Ce n’est pas parce que vous faites une présence à l’Assemblée nationale, qui est courte, j’en conviens, que vous n’avez pas le droit de continuer à faire des représentations. Mais je veux simplement vous assurer que le projet de loi n’est pas présenté comme étant une attaque aux entreprises.

n(16 heures)n

Et je termine vraiment, cette fois-ci, en vous disant: Il m’apparaît à moi humblement, bien respectueusement que, s’il y a un gouvernement qui a encouragé les entreprises à investir au Québec, s’il y a un gouvernement qui a cherché à alléger le fardeau réglementaire des entreprises, s’il y a un gouvernement qui a agi de façon substantielle, par exemple, eu égard à la taxe sur le capital, c’est bien notre gouvernement. Et évidemment, compte tenu de la situation économique qu’on connaît actuellement, on va continuer à encourager les entreprises à investir et à fleurir, si je peux employer cette expression-là, au Québec. Et je vous prie de ne pas estimer que ce projet de loi là est présenté avec aucun préjugé défavorable à l’endroit des gens que vous représentez. Je veux simplement vous indiquer ça. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. Je vais vous permettre de répondre à M. le ministre. Est-ce que c’est Me Paradis?

M. Paradis (Marc): Oui, très brièvement.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, Me Paradis.

M. Paradis (Marc): Vous savez, M. le ministre, la présentation que la fédération fait aujourd’hui ne vise pas à… On ne veut pas que vous compreniez que nous pensons qu’il s’agit d’une attaque contre les entreprises. Ce n’est pas ça. D’ailleurs, dans la présentation puis dans le rapport que nous avons déposé, nous sommes généralement d’accord avec les objectifs poursuivis par la législation.

La principale préoccupation… Nous avons deux préoccupations essentielles. La première vise la provision pour frais, puis la deuxième, la responsabilité personnelle des administrateurs. Et là peut-être est-ce une mauvaise compréhension de notre part, mais, lorsqu’on lit le texte de l’article 54.4 et 54.4.5°, qui est relatif à la provision pour frais, notre compréhension est que cette disposition-là élargit le débat et va beaucoup plus loin que les simples poursuites; je dis «simples poursuites abusives», mais que les poursuites abusives. L’article 54.4.5°, dans notre compréhension ? et, si notre compréhension est erronée, tant mieux ? semble s’appliquer à tous les litiges, peu importe que leur caractère abusif ait été reconnu ou non, et ça, c’est une préoccupation, pour la fédération, pour laquelle nous sommes ici.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Paradis. M. le ministre.

M. Dupuis: C’est dans le cas d’abus de procédure, dans le cas des abus, la provision pour frais, là. C’est dans le cadre du projet de loi qu’on dépose, qui, oui, élargit à plus que les poursuites-bâillons qu’on entend, là, généralement parlant, en matière d’environnement, puis tout ça, donc qui élargit les dispositions de la loi à toute espèce de poursuite qui serait abusive. J’emploie le conditionnel à escient. Donc, c’est limité à ces cas-là, premièrement.

Deuxièmement, pour ce qui concerne la responsabilité des administrateurs, comprenez que, si un administrateur devait être condamné personnellement à payer des dommages-intérêts, ce ne serait que dans le cas où il y a un jugement qui a été rendu, qui conclut à une poursuite abusive. Or, la poursuite abusive est une poursuite de mauvaise foi, est une poursuite qui a été introduite pour des motifs qui sont des motifs de détournement des fins de la justice, si vous voulez. L’administrateur aura toujours une défense à une condamnation éventuelle à payer des dommages-intérêts. Par exemple, s’il s’est opposé, au conseil d’administration, au dépôt d’une poursuite, alors il aura une défense, lui, en disant: Excusez-moi, là, dans la résolution du conseil d’administration, j’ai inscrit ma dissidence à déposer une poursuite. Il aura une défense. Alors, ce que je veux dire, Me Paradis, c’est que ce n’est pas automatique que, dans le cas de condamnations pour poursuite abusive, les administrateurs sont condamnés personnellement. Ça pourrait arriver, parce que le projet de loi le prévoit, mais il y aura une défense possible aux administrateurs.

Et je termine en vous disant: On n’invente pas le droit, là, dans cette matière-là. La responsabilité des administrateurs, c’est inscrit au Code civil. Ce qu’on ajoute par contre, je vous le concède, ce qu’on ajoute dans le projet de loi n° 99, celui qu’on a déposé, c’est la possibilité d’être condamné à des dommages-intérêts. Ça, on a ajouté ça. Simplement, c’est…

M. Paradis (Marc): …intérêts punitifs. Vous savez, au niveau de la responsabilité des administrateurs, notre préoccupation, elle est grande. Elle est grande de la façon suivante: d’abord, à notre connaissance, en Amérique du Nord, il n’y a aucune autorité ni législature qui aurait édicté une responsabilité des administrateurs en pareille circonstance. Nos autres préoccupations sont les suivantes: à la limite, cette responsabilité-là pourrait ? puis je dis «à la limite», là ? placer certains administrateurs en conflit d’intérêts avec leurs propres entreprises. C’est-à-dire que, moi, je suis administrateur d’une entreprise qui est confrontée à une décision soit d’intenter une procédure ou soit de défendre une procédure, et là je dois évaluer quel est le type de défense ou quel est le type de recours que je vais intenter, plus musclé ou moins musclé, plus difficile ou moins difficile. Et là on aura, au conseil d’administration, des administrateurs qui, craignant qu’ultimement leur responsabilité puisse être engagée, pourraient prendre une position d’être plus conciliants, une défense moins agressive, non pas pour protéger la société ou l’entreprise comme telle, mais pour protéger sa responsabilité comme administrateur. Ça, c’est un.

Deuxièmement, on va se retrouver nécessairement avec des recours qui vont être multipliés, parce que, vous savez, à partir du moment où on fera un débat sur: S’agit-il, oui ou non, d’une poursuite abusive?, les administrateurs, neuf fois sur 10, ne seront pas impliqués dans la procédure. Alors, il y a un débat qui va se faire entre l’entreprise et la partie défenderesse ou la partie demanderesse, où on va débattre si, oui ou non, il s’agit d’une procédure abusive. Lorsque ce débat-là aura été réglé, après possiblement plusieurs années, parce que vous connaissez la règle, Cour supérieure, Cour d’appel, on risque de se retrouver, si le jugement final dit: Oui, la procédure qui a été intentée par l’entreprise est abusive, on va se retrouver avec des recours maintenant contre des administrateurs personnellement. Alors, on vient de multiplier les recours. Et quelle est la défense que les administrateurs vont avoir sur le fond du dossier? Vous le savez fort bien, lorsqu’un tribunal supérieur a déterminé, par exemple, qu’une procédure était abusive, ça va prendre un administrateur qui va être bien représenté pour convaincre un autre tribunal dans une poursuite ultérieure que la poursuite n’était pas abusive. Peut-être y arrivera-t-il, mais le fardeau va être plus lourd. Alors, il lui reste ce que vous disiez, M. le ministre, tout à l’heure, la réponse de dire: Moi, je me suis opposé à cette procédure-là, j’ai voté contre ou je me suis abstenu.

C’est un précédent important. C’est ce que la fédération veut vous laisser comme message au niveau de la responsabilité des administrateurs. Vous savez, la responsabilité actuelle des administrateurs, elle est prévue par des dispositions du Code civil. C’est l’article 1457 du Code civil qui prévoit que toute personne est responsable des fautes qu’elle commet. Alors, un administrateur qui, dans ses fonctions d’administrateur, commet une faute, c’est une chose. Un administrateur à qui on dit: Si jamais votre entreprise est reconnue pour avoir pris des procédures abusives ou pour avoir abusé de son droit, vous allez être personnellement responsable de cela, dans notre livre à nous, la fédération, c’est une autre chose. Et, vous savez, ça risque d’avoir notamment comme conséquence de… On va attirer moins d’administrateurs éventuellement si on impose des responsabilités additionnelles à des gens qui souvent n’ont pas comme fonction première… Vous savez, les administrateurs de société ne sont pas tous administrateurs à temps plein et administrateurs au quotidien dans les sociétés, là. Alors, on risque d’avoir plus de difficultés à trouver des administrateurs qui vont venir accepter d’agir comme administrateurs, avec les responsabilités que cela peut encourir.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le ministre.

M. Dupuis: Sur la prolifération des procédures, qu’il me soit simplement permis de vous dire que je l’envisage différemment de la façon dont vous l’envisagez, c’est-à-dire qu’il m’apparaît à moi que, si on permet, sur requête, en début de procédure, de… qu’on décide s’il s’agit d’une poursuite abusive ou non, abusive quant à l’objet de la poursuite comme tel, ou alors quant aux procédures, ou alors quant au quantum des dommages ? vous savez, il peut y avoir des abus de différentes natures ? si on permet, dès l’introduction de l’instance, de déterminer ça, il m’apparaît qu’on réussit quand même à circonscrire le débat considérablement, si on réussit à le faire, et donc à éviter ce piège de la prolifération des procédures.

L’autre chose que je veux vous dire, c’est que, quand on envisage ces dispositions du point de vue de ce que j’appellerai, pour les fins de la discussion, l’intérêt public ? puis il n’y a pas de préjudice relativement à l’intérêt que vous défendez ? mais quand on l’envisage du point de vue de l’intérêt public, comme ces dispositions-là sont déposées afin de permettre la libre expression légitime, légale, juridiquement acceptable, évidemment l’autre côté de la médaille, c’est qu’on veut dissuader, on veut dissuader des gens d’intenter des poursuites pour faire fermer la trappe de quelqu’un qui voudrait faire une déclaration publique. Encore une fois, je le dis, je le répète, je le redirai toujours, il n’est pas question de protéger le libelle diffamatoire. Le libelle diffamatoire demeure un libelle diffamatoire. Et donc c’était simplement, là, ces éclaircissements-là que je voulais vous donner. Mais je comprends bien vos représentations. Non seulement les entends-je, on les comprend bien aussi.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. Il reste exactement trois minutes au député de LaFontaine, qui avait une question. Trois minutes, questions, réponses.

n(16 h 10)n

M. Tomassi: Oui, oui. Merci. Je voulais revenir sur la question des administrateurs parce que les gens avant vous, le Conseil du patronat avant vous ont dit la même chose que vous. Tantôt, nous avons eu l’APA qui a dit en réalité la même chose que vous pour dire que le fait d’avoir cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête, cette poursuite qui pouvait leur être intentée leur empêchait d’avoir des bons administrateurs. Mais, vous, en tant que représentants de sociétés, de compagnies qui doivent jouer un rôle important, où est-ce que l’administrateur a un rôle important à jouer, là, c’est l’administrateur de la société, même si, «day by day», l’administrateur n’est pas dans les décisions quotidiennes, c’est quand même les administrateurs alentour de la table qui font en sorte… qui prennent des décisions, qui entérinent des décisions prises par des dirigeants. Alors, ils ont un rôle très important. Ça ne doit pas seulement être comme un club social où est-ce que les gens ajoutent des… être membres d’un conseil d’administration sur leurs C.V. seulement parce que ça a l’air bien. Ils ont quand même un rôle qui est assez important.

Moi, je trouve que, suite aux explications du ministre, je crois que les explications données vont dans le sens où est-ce qu’un administrateur a un rôle à jouer qui est important, et vous risquez probablement d’aller recruter des vrais administrateurs, ceux qui vont prendre fait et cause dans la procédure, et, si jamais… Parce que vous dites ici: «Dans la pratique, ce sont les conseillers juridiques internes qui s’occupent des litiges…» Probablement que ça va être l’administrateur qui va allumer la lumière, puis il va dire: Écoutez, on va aller peut-être prendre un avis juridique à l’extérieur pour être vraiment sûrs que l’effet qu’on veut apporter sur cette question juridique est vraiment réel ou si elle est farfelue.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Vous avez une minute pour répondre, Me Paradis.

M. Paradis (Marc): Oui. Savez-vous, je comprends très bien ce que vous dites. La difficulté que nous rencontrons… Puis, je vous dis, je suis un juriste, je suis un avocat plaideur qui ne fait que de la représentation devant les tribunaux depuis 24 ans. Alors, je suis au quotidien devant la cour, Cour supérieure, Cour d’appel et toutes les instances au Québec. La difficulté qu’on a, c’est qu’on saura plus tard si effectivement la poursuite est ou non abusive. Et j’ai rarement vu dans ma carrière, je vous le dis, là, quelqu’un qui réunit un conseil d’administration et qui dit: Mesdames et messieurs, nous allons discuter de la poursuite abusive que nous avons l’intention d’intenter contre telle partie. Les gens ne font pas ça. Alors, dans la majorité…

M. Dupuis: Par contre, Me Paradis, par contre convenez avec moi, là ? puis il n’y a pas de préjudice à l’égard de qui que ce soit ? convenez avec moi qu’il y a des discussions sur comment on fait pour les faire taire.

M. Paradis (Marc): Ce que je voulais vous dire, c’est que, dans la majorité des cas, les gens exercent leurs droits de bonne foi. Et, lorsqu’il y a des procédures qui sont intentées, soit en demande ou soit lorsqu’on fait des procédures en défense, les gens croient sincèrement que la procédure, et leur argumentation, est valable. Ça, c’est la majorité des cas. Et, comme toute majorité, il y a des exceptions, puis on se retrouve, avec certains cas, dans des cas d’exception.

La difficulté que nous voyons au niveau de l’administrateur, c’est celle-ci: une entreprise d’une société décidera, un jour, d’intenter un recours. On sera tous, les membres du conseil d’administration, autour de la table et on croira tous de bonne foi que le recours n’est pas abusif. Mais un juge ou une juge pourrait ultérieurement décider le contraire puis en venir à la conclusion que, malgré notre bonne foi puis malgré nos discussions sérieuses, il s’agissait d’un recours abusif. Alors là, on va se retrouver, comme administrateurs, confrontés à une responsabilité personnelle parce que la cour aura décidé que le recours était abusif et que la responsabilité personnelle des administrateurs sera engagée.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. Dupuis: …je n’ai plus de temps, je suis bâillonné.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Paradis. Je ne fais qu’essayer d’exercer la tâche ingrate qui m’incombe, ce qui veut dire protéger le droit et le temps de tous les parlementaires. Donc, M. le ministre, votre temps est écoulé. Nous allons passer du côté de l’opposition.

M. Dupuis: Je suis certain que le député de Joliette veut absolument intervenir.

La Présidente (Mme Thériault): Bien, c’est ça, on s’en va du côté de l’opposition officielle, et la parole sera au député de Joliette, qui est porte-parole en matière de jeunesse. M. le député de Joliette.

M. Beaupré: Oui. Merci, Mme la Présidente. Comme le disait si bien le ministre de la Justice, je tiens absolument à intervenir. Donc, bienvenue en commission parlementaire à Mme St-Jacques et Me Paradis.

Vous avancez, dans votre mémoire, en page 5, la possibilité que l’adoption du présent projet de loi amène des projets de développement économique à être paralysés. Vous évoquez une opposition parfois systématique qui nuit à la réputation du Québec et défavorise l’attraction d’investissements étrangers.

Considérant que bien des législations anti-SLAPP existent déjà ailleurs, notamment aux États-Unis, est-ce qu’on peut dire que la situation que vous décrivez n’est pas unique au Québec? Et j’aimerais savoir également: En quoi voyez-vous que ce phénomène de contestation est plus marqué au Québec qu’ailleurs?

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Me Paradis.

M. Paradis (Marc): C’est Mme St-Jacques qui va…

La Présidente (Mme Thériault): Ah! oui. Mme St-Jacques.

Mme St-Jacques (Caroline): Pour une partie de la réponse, oui. Je vous dirais que, nous, on assiste souvent, de façon systématique, à des oppositions citoyennes ou autres, puis c’est correct, ils ont le droit de s’exprimer là-dessus. On ne voudrait juste pas encourager cette pratique-là, de sorte qu’on freinerait le développement économique du Québec. Je pense que c’est vraiment sur le principe qu’on essaie d’être prudents là-dessus et de ne pas alimenter le débat pour des mesures ou des considérations des fois un petit peu exagérées.

La Présidente (Mme Thériault): Me Paradis.

M. Paradis (Marc): Je pense que ça… Vous savez, ce que l’on craint particulièrement avec la provision pour frais, c’est de multiplier les recours. C’est la crainte que la fédération a. Je vais vous donner un exemple. Si, par exemple, une association veut se porter partie demanderesse contre une entreprise parce qu’elle prétend que l’entreprise est en violation de certains de ses devoirs environnementaux ou autres, la provision pour frais, qui n’existe pas actuellement, qui existerait dans le projet de loi, s’applique-t-elle à une entreprise en demande qui n’a pas les moyens, comme l’article 54.4.5° le dit, est dans l’impossibilité…

M. Dupuis: Non. Non.

M. Paradis (Marc): Elle ne s’applique pas? Alors, vous savez, la difficulté vient de là, M. le ministre, la difficulté vient de là, parce qu’à 54.4 il nous semble qu’il faudrait préciser, si ça ne vise que les cas d’abus de procédure ou d’abus de droit, que, 54.4, les pouvoirs que le tribunal a à 54.4 sont limités dans le cas d’abus de droit ou d’abus de procédure. Parce que, vous savez, la difficulté qu’on a, c’est la suivante: rappelez-vous que, selon les premières dispositions du projet de loi, un tribunal peut…

M. Dupuis: On va le préciser, Me Paradis.

M. Turp: Et c’est le titre de la section III qui le dit.

M. Paradis (Marc): Oui, sauf que…

M. Dupuis: Donc, on va le préciser.

M. Paradis (Marc): Vous savez, si notre compréhension est celle-ci, ça veut dire que la compréhension de plusieurs autres personnes peut être la même. Et c’est une difficulté que nous avions de façon importante, puis je vais vous expliquer pourquoi, puis je termine là-dessus. Les dispositions 54.1 et 54.2 permettent à un juge ou à une juge de rejeter purement et simplement une action si il ou elle la trouve abusive. Or, 54.4 va s’appliquer nécessairement lorsqu’elle ne sera pas assez abusive, l’action, pour être rejetée. Alors, comment vous allez préciser le 54.4, là? Parce que l’action ne sera pas abusive à un point tel qu’elle devra être rejetée, mais elle sera abusive pour que le juge puisse exercer les pouvoirs de 54.4. Il y a une précision, là, qui nous apparaît importante.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Paradis. On retourne avec le député de Joliette.

M. Beaupré: Oui. En page 9 de votre mémoire, vous revenez avec cet aspect que le gouvernement doit considérer l’environnement concurrentiel auquel les entreprises québécoises sont confrontées. Vous dites que «la moindre différence réglementaire est prise en compte dans une décision d’investissement». C’est un point qui est abordé à plusieurs reprises dans votre mémoire et c’est un angle assez différent pour aborder toute la problématique qui est discutée dans cette commission si on compare, là, avec la majorité des groupes qui sont venus se faire entendre auparavant. De votre point de vue, est-ce que vous dites que le gouvernement doit considérer l’environnement concurrentiel pour le développement économique? Il s’agit là d’une prémisse qui devrait guider le projet de loi. Et j’aimerais savoir: Où la situez-vous par rapport aux autres principes qui ont guidé le projet de loi, comme la liberté d’expression ou le droit à la mobilisation publique?

La Présidente (Mme Thériault): Mme St-Jacques.

Mme St-Jacques (Caroline): Oui. Merci. Écoutez, pour faire suite à ce que le ministre disait tantôt, je pense qu’on a toujours soutenu l’allégement réglementaire. On reconnaît qu’il y a eu beaucoup, beaucoup, beaucoup d’efforts qui ont été faits là-dessus. Ce n’est jamais assez, du point de vue entrepreneurial, c’est clair, il en restera toujours, mais c’est bien évident que c’est des considérants majeurs pour des entreprises qui viennent investir au Québec. En plus qu’on a double… avec le fédéral en plus, des fois c’est difficile d’harmoniser nos lois et règlements. Alors, nous, encore une fois c’est de façon préventive pour dire: On ne veut pas ajouter à la lourdeur administrative, étant conscients que ce gouvernement-ci à mon avis a déjà beaucoup allégé les règlements.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. M. le député de Joliette.

M. Beaupré: Je vais céder la parole à mon collègue.

La Présidente (Mme Thériault): Oui. Ça vous va? Parfait. M. le député de Marguerite-D’Youville.

M. Diamond: Merci, Mme la Présidente. Écoutez, Mme St-Jacques, tout à l’heure, vous disiez que vous n’étiez pas avocate, avec de l’humour, et, moi, je ne suis pas le critique en matière de justice, mais je suis le critique en environnement. Et puis, depuis un an et demi, j’ai rencontré bon nombre de citoyens et d’associations qui ont été de près ou de loin mêlés à des procédures abusives pour les intimider bien souvent parce que souvent il n’y a pas de suite aux mises en demeure. Parfois, il y en avait, puis évidemment ça mettait une situation conflictuelle autant dans leur vie familiale que dans leur vie au travail, que dans leur vie de militant.

n(16 h 20)n

Il va de soi que, depuis un an et demi, je constate que, même si la grande majorité des intervenants dans le milieu sont de bonne foi, il arrive des exceptions, et puis je pense que c’est le devoir du législateur de pouvoir contrer les exceptions et s’assurer que chacun puisse exercer ses droits d’expression d’une manière adéquate.

Tout à l’heure, vous parliez de la réputation des entreprises, et puis ce qui est vrai pour un citoyen est certainement vrai pour une entreprise aussi. C’est un droit de pouvoir défendre sa fierté, défendre son produit, défendre sa réputation lorsqu’il en est le cas, mais bien souvent les citoyens que je rencontrais, les citoyens qui dénonçaient une entreprise ne voulaient pas justement mettre un terme au débat, ils voulaient permettre à l’entreprise qu’elle puisse défendre sa réputation. Ce qui était sans contredit l’inconvénient dans les situations que j’ai rencontrées, c’est que bien souvent c’était de l’intimidation qu’on voyait, bien souvent c’était tout simplement pour faire taire les citoyens.

Donc, en quoi le projet de loi actuellement met un terme au débat public qui, je pense, est nécessaire, où l’entreprise pourrait défendre adéquatement sa réputation, surtout si elle a raison? En quoi ça pourrait mettre un terme à ça?

Mme St-Jacques (Caroline): Ce n’est pas tout à fait ça qu’on…

M. Dupuis: Je vous invite à traverser de ce côté-ci, M. le député.

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre…

M. Diamond: Pourquoi donc?

La Présidente (Mme Thériault): M. le ministre…

M. Turp: Non, non, il y a d’autres raisons pour ne pas traverser.

Des voix: Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Thériault): …pas interrompre… Mme St-Jacques, la parole est à vous.

Mme St-Jacques (Caroline): Oui. Ce n’est pas tout à fait ça qu’on dit. Moi, je crois que… On croit beaucoup à la liberté de parole, la parole citoyenne, c’est sûr, mais on croit qu’au niveau de l’environnement, par exemple, il y a des instances où les gens peuvent se faire entendre, que ce soient les entreprises, ou les citoyens, ou les municipalités. Je pense au BAPE en matière d’environnement, je pense à la commission de protection des territoires agricoles. Donc, il y a déjà beaucoup de lieux où on peut débattre de ces questions-là, à l’Assemblée nationale évidemment, comme on le fait aujourd’hui. Alors, pour moi ce n’était pas la question de dire: On va cesser la parole aux citoyens, au contraire, mais c’est de ne pas provoquer de façon abusive un arrêt total de certains projets qui à notre avis sont porteurs et qui méritent d’être développés.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Marguerite-D’Youville.

M. Diamond: Parce qu’à moins que j’aie mal compris, ce qui se pourrait très bien parce que c’est ma première intervention dans cette commission-là, mais votre mémoire faisait vraiment mention d’effectivement l’histoire de procédures, là, les projets, les… Et puis je suis d’accord avec vous parce qu’il y a bien des fois au Québec où on pourrait avancer plus rapidement mais que la levée de boucliers, pour toutes sortes de raisons mineures, nous empêche de le faire. Ça, c’est un débat sur lequel je suis tout à fait en accord avec vous. Mais il reste quand même que parfois ce n’est pas un devoir, ce n’est pas la réputation qui est en cause, là, c’est des entreprises qui pourraient débattre sur la place publique le bien-fondé de leurs décisions mais qui, à la place de le faire, empruntent la voie du bâillon, empruntent la voie de l’intimidation, des recours judiciaires.

Et, pas plus tard qu’aujourd’hui, on avait un groupe, Les Ami-e-s de la Terre, qui nous faisait la mention qu’effectivement le débat public aurait pu avoir lieu, devait avoir lieu, il était prêt pour le faire, mais que finalement c’est de se faire retirer le droit de faire le débat public qui était en cause, rien à voir avec l’avancement des projets qu’on peut penser louables. Donc, je répète ma question, je vois difficilement en quoi on met une menace, avec ce projet de loi là, à défendre une réputation corporative.

M. Paradis (Marc): Mais la position de la fédération n’est pas que ce projet de loi là constitue une menace, là, à défendre, ce n’est pas… Je vous le dis puis je le répète, là, on est en accord avec les objectifs généraux de la loi. Nous avions deux préoccupations principales: celle relative à la provision pour frais, qui nous semble en voie, là, d’être précisée, puis celle relative à la responsabilité des administrateurs. Maintenant, personne, à la fédération, ne veut empêcher les citoyens ou quelque groupe de pression de s’exprimer, et c’est vrai pour eux et c’est vrai pour les entreprises non plus. Je pense que tout le monde a le droit de s’exprimer librement.

Maintenant, vous savez, il faut être sur le terrain. Il y a des perceptions dans… Il faut faire du litige puis il faut être un avocat de cour pour comprendre les perceptions que les gens ont. J’ai rarement vu des gens, moi, qui sont poursuivis qui prétendent qu’ils sont poursuivis à raison puis j’ai rarement vu des gens qui poursuivent qui prétendent qu’ils poursuivent à tort. Donc, les gens qui sont poursuivis qualifient d’une poursuite-bâillon une poursuite x, et la partie qui poursuit qualifie autrement la même poursuite, et c’est pour ça que, dans certaines représentations que je crois que vous avez eues, on vous invitait à définir ce qu’est une poursuite-bâillon, pour qu’on ait un peu des guides ou des paramètres lorsqu’on se présentera devant les tribunaux.

Puis j’avais une remarque additionnelle, si vous me permettez, au niveau du texte même de l’article 54.4.5° parce qu’on dit que la cour peut «ordonner, pour des motifs sérieux, si les circonstances le justifient et s’il constate qu’une partie se trouve dans une situation économique telle qu’elle est dans l’impossibilité de valablement faire valoir son point de vue»… Imaginons que la cour constate le dernier membre de l’article 5°, et on constate qu’une partie est dans l’impossibilité de valablement faire valoir son point de vue de façon économique. Qu’est-ce que le tribunal va décider? Quels sont les motifs sérieux qu’il reste à examiner si… Il n’en reste plus beaucoup. Ou quelles sont les circonstances qui justifieraient… Est-ce que la simple constatation qu’une partie, si elle n’est pas valablement…

M. Dupuis: Non. Non.

M. Paradis (Marc): Non? Alors, les motifs sérieux vont être déterminés par la cour?

M. Dupuis: Oui. Bien oui, après avoir entendu les parties.

M. Paradis (Marc): Alors, est-ce qu’on ne devrait pas préciser quels sont les motifs sérieux puis quelles sont les circonstances qui pourraient justifier…

M. Dupuis: Si on faisait ça, Marc, on ferait un code de procédure civile qui aurait probablement 103 000 pages parce qu’on ne peut pas prévoir toutes les situations. Il faut laisser au juge le soin d’apprécier la situation, entendre… Excuse, c’est sur votre temps?

Une voix: Oui.

M. Dupuis: Mais entendre les parties. Le juge entend les parties et puis il juge en fonction des faits qui lui sont présentés.

M. Paradis (Marc): Je comprends, monsieur.

M. Dupuis: Mais c’est la même chose, Marc, que la définition d’une «poursuite abusive». Si j’introduis la définition d’une «poursuite abusive», je viens restreindre considérablement le champ parce que toute définition… Bien, toute définition m’apparaît être restrictive, alors qu’on a voulu plutôt, dans l’article, y aller en termes généraux pour permettre au juge de mieux juger.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre.

M. Paradis (Marc): On pourrait avoir, M. le ministre, quelques exemples de motifs sans que ce soit limitatif.

M. Dupuis: Je remercie le député de Marguerite-D’Youville.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

Une voix: …

M. Dupuis: C’est ça. Ça s’appelle la politesse.

La Présidente (Mme Thériault): Merci.

M. Paradis (Marc): Excusez-moi.

La Présidente (Mme Thériault): Non, ça va, Me Paradis, il n’y a pas de problème. Est-ce que, du côté de l’opposition officielle, vous avez encore des questionnements?

M. Diamond: Une dernière question, si c’est possible.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, une dernière. Il vous reste 2 min 30 s.

M. Diamond: C’est concernant l’encombrement des tribunaux. J’ai lu avec attention les extraits qui en faisaient mention, et puis il m’apparaît que l’usage des tribunaux, lorsque c’est le temps de faire appliquer une loi, c’est pour le bien-être d’un principe. Alors, l’usage ne devrait pas nuire le principe sous-jacent, qui est celui de respecter dans le fond la liberté d’expression de certains ou d’éviter les exceptions qui seraient malencontreuses.

Donc, à quel niveau l’encombrement des tribunaux pour vous se situe dans votre hiérarchie d’argumentation? Est-ce que c’est excessivement mineur ou c’est un argument fondamental?

La Présidente (Mme Thériault): Me Paradis.

M. Paradis (Marc): Non, c’est un argument qui est moins fondamental avec les informations que nous recevons au moment où on se parle. L’encombrement des tribunaux qui nous inquiétait ou qui paraissait pouvoir être inquiétant résultait de notre compréhension des règles relatives à la provision pour frais qui pouvait s’appliquer à l’ensemble des litiges, qu’ils aient été abusifs ou non. À partir du moment où on comprend que ce sera limité aux recours qui seront déclarés abusifs ou qui sont susceptibles d’être déclarés abusifs, on craint beaucoup moins l’encombrement des tribunaux que nous craignions dans un premier temps parce que notre compréhension était que la provision pour frais pouvait s’appliquer à l’ensemble des litiges qui pouvaient être intentés.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Paradis.

Une voix: …

La Présidente (Mme Thériault): Non, M. le ministre.

M. Dupuis: S’il reste du temps, je demanderais le consentement.

La Présidente (Mme Thériault): On va demander un consentement.

M. Dupuis: Oui, je demanderais le consentement.

La Présidente (Mme Thériault): C’est ça. On va demander un consentement au député de Marguerite-D’Youville. Il reste 45 secondes.

M. Diamond: Je vous donne tout le reste, là.

M. Dupuis: Il consent.

La Présidente (Mme Thériault): Ça vous va? 45 secondes.

M. Dupuis: En fait, toute la question de la provision pour frais joue un rôle aussi de dissuasion auprès des gens qui seraient tentés d’introduire une poursuite qui serait abusive. Ça joue comme critère de dissuasion parce qu’à ce moment-là la partie qui introduit la poursuite qui serait abusive ? j’emploie le conditionnel à escient ? sait qu’elle pourra peut-être être obligée de fournir une provision pour frais pour permettre à l’autre partie de se pourvoir. Alors, ça joue aussi comme facteur de dissuasion.

En fait, Marc, à partir du moment où on décide qu’on introduit des dispositions pour décourager les poursuites abusives, permettre la liberté d’expression, il y a tout un régime de droit qui suit, la provision pour frais faisant partie de ce régime-là, et c’est ça, la logique.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Merci, M. le ministre, pour cette précision. Donc, ceci met fin au deuxième bloc. Nous allons aller avec le député de Mercier pour le deuxième groupe formant l’opposition.

M. Turp: Alors, merci, Mme la Présidente. D’abord, merci pour votre mémoire, vos propositions. C’est intéressant parce que, j’imagine, vous vous parlez, le Conseil du patronat, et vous et d’autres, là, parce que, quand on a, dans le même mémoire, la référence à la loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis, je me dis: Ah! ils se sont parlé quand même, hein, le Conseil du patronat, la fédération des…

Une voix: …

n(16 h 30)n

M. Turp: Non, non, c’est ça, vous ne vous chicanez pas toujours. Mais, je comprends, on vient de les entendre, vous étiez là, je pense, quand le président et le vice-président étaient là, mais vous avez comme une attitude de toute évidence même un peu plus ouverte à l’égard du projet de loi, il y a moins de résistance. Mais il y a deux choses qui vous dérangent, puis vous nous apportez des arguments pour proposer modification d’un article et abrogation pure et simple d’un autre article. Alors, je pense que vous méritez, comme tous, d’être entendus.

Il y a eu un bel échange avec le ministre sur ces questions-là. Moi, je suis content de voir que le ministre tient bon sur la responsabilité des administrateurs parce que, vous savez, si on est un administrateur qui croit à la liberté d’expression, là, on ne sera pas inquiet. On ne sera pas inquiet. On va assumer ses fonctions d’administrateur en ayant à l’esprit, peut-être davantage même que maintenant, la liberté d’expression des groupes parfois qui ont des opinions différentes sur la façon dont se comportent les entreprises. Alors donc, ça devrait être dans le forum politique que les questions vont se débattre entre les entreprises puis les groupes plutôt que dans un forum juridique qui suppose des recours.

Et d’ailleurs ce qui me surprend beaucoup de votre position puis de certaines autres positions analogues, c’est que vous dites que, ah! ça va donner lieu à des recours, ça, à une multiplication des recours. Mais ce qui nous intéresse, nous, c’est justement d’empêcher des recours. Alors là, nous, notre but, c’est qu’il n’y ait pas de recours, puis, vous, vous pensez que notre loi, le projet de loi va entraîner des recours supplémentaires additionnels. Bien, moi, je pense que c’est le contraire qui va arriver. Il va y avoir moins de recours parce que, là, on va accepter mieux que des groupes puissent utiliser le débat public pour contester parfois les entreprises et qu’on va se demander vraiment si c’est une atteinte à la réputation qui donne un bon droit à une entreprise de poursuivre quelque groupe que ce soit ou quelque individu que ce soit, et, en fin de compte, en définitive, il va y avoir moins de recours. Il va y en avoir moins, de recours, puis les entreprises puis leurs avocats auront moins de recours à prendre parce qu’à l’origine ils n’auront pas pris le recours qui peut être assimilé à une poursuite-bâillon. Alors donc, peut-être que vous pourrez réagir à ça.

Mon autre question, c’est: Il y a quand même eu un débat, puis il n’est pas fini, dans cette commission, sur le fait que cet article sur la responsabilité des administrateurs est de nature plus substantive que procédurale. Et je ne me rappelle plus qui nous a dit ça la semaine dernière, quelqu’un nous a fait remarquer que ce n’est pas un amendement au Code de procédure…

M. Paradis (Marc): C’est probablement le Barreau du Québec qui…

M. Turp: Oui… Non, le Jeune Barreau.

M. Paradis (Marc): Le Jeune Barreau?

M. Turp: Je crois que c’est le Jeune Barreau. Le Jeune Barreau, comme vous, là, puis vous citez le Jeune Barreau dans votre mémoire, il n’aime pas cet article-là, il veut qu’on l’enlève aussi, et le Barreau aussi, qui va venir nous dire ça demain. Dans le mémoire, le Barreau du Québec propose ça. Mais peut-être que, si on veut respecter l’économie de notre Code civil, notre Code de procédure, si on y tient ? moi, je pense que c’est une bonne idée à cause du caractère dissuasif dont le ministre a encore parlé tout à l’heure ? bien peut-être qu’il faut penser à le mettre dans le Code civil plutôt que dans le Code de procédure civile. En tout cas, on verra dans la suite de nos débats puis l’étude article par article si c’est ça qu’il faut faire pour le rendre plus conforme à l’économie générale de notre droit. Peut-être qu’on devrait faire ça. Mais, je ne sais pas, quelle est votre réaction à la question des recours, là, la multiplication des recours?

M. Paradis (Marc): Je vais commencer par le dernier point.

M. Turp: Parce que ça me surprend toujours qu’on pense que ça va donner lieu à plus de recours, alors que l’idée, c’est de prévenir justement des recours, et, si on les prévient, il y en aura moins.

La Présidente (Mme Thériault): Me Paradis.

M. Paradis (Marc): Oui. J’ai deux choses, M. Turp, à vous répondre là-dessus. Lorsqu’on parle de multiplication des recours, le projet de loi n° 99 va au-delà des simples recours-bâillons et des recours pour empêcher des groupes de pression ou des groupes représentatifs d’un maillon de l’économie de s’exprimer puis effectivement de faire valoir leurs points de vue. Le projet de loi est beaucoup plus large que ça et il vise toute procédure qui pourrait être, un jour, déclarée abusive, mal fondée, frivole ou un comportement de plaideur qui multiplie les procédures dans un dossier avec ce qu’on appelle le détournement du processus judiciaire. On prend le processus judiciaire, on s’en sert pour vous épuiser. Alors ça, tout ça est prévu dans le projet de loi. Donc, le projet de loi va bien au-delà des poursuites-bâillons.

Je comprends que la question des poursuites-bâillons a été un peu à l’origine du projet de loi, mais on voit que le projet de loi est beaucoup plus large que les simples poursuites-bâillons. Lorsqu’on dit que ça risque, on ne dit pas que ça va nécessairement multiplier les recours. On dit: C’est susceptible de multiplier les recours parce qu’à partir du moment où on ajoute des responsabilités puis un recours face à des administrateurs d’un groupe et qu’il y a des poursuites qui se prennent… Parce que les poursuites vont continuer à se prendre au Québec, et peut-être qu’il y aura des poursuites qui se prendront encore, qui vont être encore des poursuites ou des défenses abusives. Parce qu’on parle de poursuites abusives, mais on pourrait dire aussi qu’une partie qui est poursuivie se défend de façon abusive en multipliant les procédures, en étirant la durée des débats, en multipliant les interrogatoires, bref en faisant toute chose qui serait interprétée comme étant un comportement vexatoire ou de mauvaise foi de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable.

Alors ça, on va vivre ce type de procédure là ou on risque de vivre ce type de procédure-là et là on dit: Non seulement l’entreprise, dans un premier temps, ou la partie civile ? ça n’a pas besoin d’être une entreprise, ça vise tout le monde, là, ces dispositions-là ? risque d’être responsable puis d’avoir à payer des dommages, mais, si c’est une personne morale, les administrateurs aussi. Alors, ça va faire deux recours: un premier recours, une personne X contre une entreprise, puis un deuxième recours, une personne X contre les administrateurs parce que le débat ne se fera pas dans un premier temps. Alors, s’il est vrai, en bout de course, qu’une entreprise, une personne morale est reconnue coupable d’avoir fait des procédures abusives ou d’avoir défendu à des procédures qui ont été intentées contre elle de façon abusive, bien il y a des recours contre des administrateurs qui sont susceptibles de se prendre, qui actuellement ne sont pas susceptibles de se prendre. La multiplication des recours, on la voit là, principalement.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député.

M. Turp: Écoutez, vous savez, ce débat-là pourrait s’inscrire dans un débat plus large sur la responsabilité des administrateurs. Avec ce qui est arrivé, là, avec Enron, avec ce qui arrive maintenant, là, dans toute cette crise financière, bien il y a des raisons pour qu’un législateur responsable exige des administrateurs un comportement qui est respectueux des citoyens, des consommateurs et des citoyens qui participent à des débats publics et veulent s’engager dans des débats avec des entreprises qui pourraient ne pas respecter l’environnement ou avoir des pratiques abusives, et tout ça.

Alors, moi, ce que j’aimerais entendre, en fait, quelque part, c’est que les administrateurs disent: Écoutez, en fait, c’est bon, cette affaire-là, parce que je n’ai pas peur de ça. Je n’ai pas peur d’une poursuite éventuelle parce que, s’il y en a une, là, mon comportement, je vais être capable de démontrer qu’il est hors de tout reproche, que soit que je n’acceptais pas l’idée qu’on fasse un tel recours parce que j’ai inscrit ma dissidence ou soit que finalement j’ai convaincu la compagnie de se désister du recours. Parce que ça peut être ça aussi. Alors, vous savez, dans le contexte actuel où on parle beaucoup des méfaits de la déréglementation en matière corporative, alors ici on a un exemple d’une volonté de réglementer, en effet, d’adopter une disposition pour que… Finalement, c’est quoi, donc? C’est que les administrateurs assument la responsabilité sociale qui est la leur. Et, dans la responsabilité sociale de l’entreprise, qui va bien au-delà de respecter l’environnement, peut-être même de soutenir le milieu ? parce que beaucoup d’entreprises maintenant soutiennent le milieu, donnent des subventions aux groupes communautaires ou aux groupes culturels ? bien peut-être la plus grande responsabilité sociale que doit assumer l’entreprise, c’est de respecter les droits fondamentaux, y compris le droit le plus fondamental, qui est la liberté d’expression.

Alors, je ne sais pas, est-ce que vous êtes sensibles à l’idée qu’une proposition comme celle-là à 54.6, c’est en fait l’idée d’un législateur qui veut faire assumer aux administrateurs une responsabilité sociale?

La Présidente (Mme Thériault): Me Paradis.

n(16 h 40)n

M. Paradis (Marc): Oui. Savez-vous, en lisant l’article de loi, on comprend cela. La difficulté et le danger qu’on y voit, c’est dans l’application de cette disposition-là. C’est-à-dire que, moi qui suis administrateur d’une société, je suis au conseil d’administration, je prends de bonne foi une décision de poursuivre une entreprise, ou un individu, ou un groupe d’individus ou de défendre à une poursuite et je fais ça de bonne foi, en ayant tout à l’esprit, sauf que je suis en train de commettre un abus de procédure. Et, lorsqu’on aura terminé ce débat-là devant un tribunal, dans un an et demi, deux ans, peut-être un juge ou une juge vous dira-t-il que vous avez, comme administrateur, pris une décision qui fait en sorte que l’entreprise a commis un abus de procédure, et là vous allez vous retrouver susceptible d’être condamné à des dommages et intérêts. Puis, on le sait quand même, les mêmes dommages et intérêts, là, ça inclut les honoraires extrajudiciaires de la partie qui sera votre partie adverse plus des dommages punitifs, où, comme administrateur, vous devenez personnellement responsable de cela, alors qu’à l’origine, en toute bonne foi, puis selon votre analyse, puis votre conscience professionnelle, puis votre conscience de citoyen, vous ne pensiez pas commettre un abus de droit. Bien, vous savez…

M. Turp: …juge devient l’arbitre. Notre système fonctionne comme ça. Même si un administrateur pense qu’il est de bonne foi, pense qu’il pose des gestes corrects, bien, à un moment donné, là, ce n’est pas lui qui décide si ce qu’il a fait est correct, ou conforme à la loi, ou respectueux de nos droits et libertés, puis, dans notre système, dans notre État de droit, c’est le juge. Il va bien falloir qu’on accepte ça, à moins qu’on veuille trouver un autre système. Donc, le dernier mot n’appartient pas à l’administrateur sur sa bonne foi.

M. Dupuis: M. le député de Mercier, si je peux me permettre d’ajouter, dans le cas…

M. Turp: …combien de secondes?

M. Dupuis: Il me reste…

La Présidente (Mme Thériault): Une minute.

M. Dupuis: …à peine une minute. Dans le cas que vous soulevez, l’administrateur au sujet duquel il est prouvé qu’il a agi de bonne foi ? il a fait une erreur, mais c’est une erreur de bonne foi ? il ne sera pas condamné à des dommages-intérêts punitifs. Il ne sera pas condamné. Bien non! Bien non!

M. Paradis (Marc): Selon le projet actuel, moi, ce que je vois, c’est qu’il est susceptible d’être condamné au paiement des dommages et intérêts.

M. Dupuis: Je prends votre exemple à vous, Marc. Dans le cas où l’administrateur témoigne, par exemple, puis les faits ont révélé qu’il a commis une erreur, il a décidé de poursuivre, mais il était de bonne foi, il ne le faisait pas de façon vexatoire, frivole, dilatoire, de mauvaise foi, etc., peut-être que l’entreprise va avoir un jugement final que c’était un abus, mais l’administrateur ne sera pas condamné, dans l’exemple que vous donnez, parce qu’il va avoir établi qu’il était de bonne foi. C’est dans le cas où il y a une mauvaise foi évidente de la part de l’administrateur qu’il va y avoir une condamnation pour dommages et intérêts punitifs. Comprenez-vous?

M. Paradis (Marc): Bien oui, je comprends ce que vous me dites, mais, si je lis l’article 54.6, je suis incapable de comprendre cela de l’article 54.6. L’article 54.6 nous apparaît clair. Il dit: «Lorsque l’abus est le fait d’une personne morale[...] ? c’est la discussion que nous avons ? les administrateurs [...] qui ont participé à la décision…» Alors, je participe à la décision, je dis: Oui, allons-y, nous intentons la poursuite ou nous nous défendons à la poursuite. On dit: Ces gens-là qui ont participé à la décision peuvent être condamnés personnellement au paiement des dommages et intérêts.

M. Dupuis: Ce qui était entendu, Marc, ce qui était entendu quand l’article a été rédigé ? je le sais, j’en ai discuté avec Me Longtin, là ? c’est: dans ce cas-là, il y avait une mauvaise foi qui était évidente, et le jugement final sur l’abus, c’est que l’abus a été fait de mauvaise foi, et l’administrateur ou les administrateurs qui ont consciemment pris la décision de commettre l’abus, eux seront condamnés à des dommages-intérêts punitifs. C’est ça qui était la pensée à l’origine de l’article 54.6.

M. Paradis (Marc): 54.6 va beaucoup plus loin que cela, je vous le soumets respectueusement. Je vous le soumets respectueusement.

La Présidente (Mme Thériault): D’accord. On vous a bien entendu, Me Paradis.

Je vais demander à mes collègues de ne pas bouger tout de suite pour vous saluer. Vous allez me permettre de passer un message d’intérêt public, puisque nous croyons tous à la démocratie et à la participation citoyenne. La preuve, c’est que nous sommes élus. Nous avons probablement tous été voter déjà ce matin ou par anticipation. Mes collègues m’autoriseront certainement à passer un message aux gens qui suivent les travaux de la commission: évidemment, d’aller voter. Et les bureaux de scrutin sont ouverts jusqu’à 9 h 30. Donc, pour ceux qui suivent nos travaux, j’imagine qu’ils sont intéressés par la politique, et, si on est intéressé à la politique, la moindre des choses, c’est d’aller voter. Et, même si on n’est pas intéressé et qu’on est tombé par hasard sur le Canal de l’Assemblée nationale, vous savez, il y a des pays où les gens se battent pour avoir le droit de voter, et nous sommes dans une démocratie. C’est la moindre des choses de choisir les représentants qui siègent dans les différents Parlements.

M. Turp: On pourrait suggérer de voter pour un parti en particulier?

La Présidente (Mme Thériault): Non, je vais tout simplement…

Des voix: Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Thériault): Vous allez me permettre, chers collègues, de souhaiter bonne chance à tous les candidats de toutes les formations politiques qui se présentent dans les 308 comtés fédéraux.

Et sur ce j’ajourne les travaux de la commission au mercredi 15 octobre, à 9 h 30, et je remercie les gens de la fédération de la chambre de commerce d’être venus nous voir. Merci.

(Fin de la séance à 16 h 45)

 

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"Sed quis custodiet ipsos custodes?" — Juvénal, Satires, VI, 346.  En français : « Qui nous protègera contre ceux qui nous protègent ? »  In English: " Who will protect us from those who protect us? "

 — Mauro Cappelletti dans Louis Favoreu (dir.), Le pouvoir des juges, Paris, Economica, 1990, p. 115.
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On the “Rule of Law”
“In public regulation of this sort there is no such thing as absolute and untrammelled ‘discretion’, that is that action can be taken on any ground or for any reason that can be suggested to the mind of the administrator; no legislative Act can, without express language, be taken to contemplate an unlimited arbitrary power exercisable for any purpose, however capricious or irrelevant, regardless of the nature or purpose of the statute. Fraud and cor­ruption in the Commission may not be mentioned in such statutes but they are always implied as exceptions. ‘Discretion’ necessarily implies good faith in discharging public duty; there is always a perspective within which a statute is intended to operate; and any clear departure from its lines or objects is just as objectionable as fraud or corruption.”

— Mr. Justice Ivan Cleveland Rand writing in the most memorable passage in Roncarelli v. Duplessis, [1959] S.C.R. 121 at the Supreme Court of Canada, page 140.
Random Quote

The social tyranny of extorting recantation, of ostracism and virtual outlawry as the new means of coercing the man out of line, is the negation of democracy.

— Justice Ivan Cleveland Rand of the Supreme Court of Canada, Canadian Bar Review (CBR)
Random Quote
Fears are mounting that the psychiatrist Anatoly Koryagin is near to death in the notorious jail of Christopol in central Russia. Letters that have reached the West from his wife and a friend indicate that he is so weak that unless he is given expert medical care he could die at any time. Dr. Koryagin has been in prison for the last four years for actively opposing the political abuse of psychiatry. The abuse takes the form of labeling dissidents as mad and forcibly treating them with drugs in mental hospitals.   ― Peter B. Reddaway, "The Case of Dr. Koryagin", October 10, 1985 issue of The New York Times Review of Books
"If we were lawyers, this would be billable time."
A Word on Caricature
“Humor is essential to a successful tactician, for the most potent weapons known to mankind are satire and ridicule.”

— “The Education of an Organizer”, p. 75, Rules for Radicals, A Practical Primer for Realistic Radicals by Saul Alinsky, Random House, New York, 1971.

I am no fan of Saul Alinsky's whose methods are antidemocratic and unparliamentary. But since we are fighting a silent war against the subversive Left, I say, if it works for them, it will work for us. Bring on the ridicule!  And in this case, it is richly deserved by the congeries of judicial forces wearing the Tweedle suits, and by those who are accurately conducting our befuddled usurpers towards the Red Dawn.

— Admin, Judicial Madness, 22 March 2016.
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